mardi 29 juin 2010

La disparition du mercure

Le titre est volontairement ambigu, la couverture vaguement évanescente. À quoi s'attendre quand on feuillette les pages de ce premier roman de Denis Fortier? D'abord, à un dépaysement de lecture ou plutôt à une façon autre d'aborder le récit. Au fond, une fois le livre refermé, alors qu'on tente de résumer le propos du livre, tout semble assez simple. Pourtant, il y a une densité telle au propos qu'on ne pouvait l'aborder de façon entièrement linéaire.

On y découvre le petit Olivier, qui mène un combat impitoyable contre la leucémie, sa mère Maryse, une infirmière d'usine, le narrateur, hommes d'affaires mais aussi pianiste, profondément attaché à Olivier. Très tôt, on se retrouve confronté à la mort, mais toujours de façon subtile, comme si l'auteur improvisait une mélodie lancinante, qu'il développait au fur et à mesure des pages. Parce que la musique, on la perçoit souvent, souffle, soupir, sourire aussi. Parfois, on a l'impression de s'y perdre un peu, de s'arrêter à la beauté d'un accord, d'une phrase bien amenée, à la limpidité d'un toucher, comme lorsqu'on écoute un ami improviser, un soir très tard, et que l'esprit se laisse bercer, sans bien saisir où telle progression d'accords, telle tonalité, nous mènera.

Ce parallèle musical n'est pas fortuit, l'auteur nous proposant sur le site du livre un périple en musique (la sienne, née en parallèle de la rédaction du roman) qui permet d'en apprendre un peu plus sur les lieux et les personnages de cette histoire à la fois onirique et brutalement réaliste. Une façon étonnante de repenser le roman.

samedi 26 juin 2010

Brèves de comptoir

Je quitte dans quelques instants pour une rencontre de travail de La Recrue mais fais un petit crochet pour vous parler de l'opération Masse critique. Ceux qui fréquentent les blogues français sont sans doute tombés à un moment ou l'autre sur un livre lu dans le cadre de ce partenariat avec les éditeurs. Depuis quelques jours à peine, les blogueurs québécois peuvent également s'y inscrire et recevoir gratuitement (selon intérêt et après tirage au sort) un livre québécois. Seule « exigence »: en faire recension sur son blogue et le site de Babelio.

Je vous transmets les informations techniques « officielles », toutes simples:

Pour participer, il vous suffit d’être inscrit sur Babelio et de tenir un blog.
Vous pouvez découvrir la liste des titres proposés sur la page Masse Critique : cochez un ou plusieurs titres qui vous intéressent et gagnez le droit de les recevoir après le tirage au sort.
Si vous gagnez un des titres, vous vous engagerez à lire le livre et à en publier une critique dans le mois qui suit sa réception. La critique devra être publiée à la fois sur Babelio et sur votre blog.
Pour les  nouveaux-venus, sachez que vous pouvez grâce au widget personnalisable de Babelio afficher votre bibliothèque, vos dernières lectures ou vos livres préférés directement sur votre blog ou votre site.
Vous pouvez également afficher la mosaïque de vos auteurs préférés sur votre blog.
N’hésitez pas à créer les vôtres ! Pour cela, il vous suffit de vous connecter à Babelio et de cliquer sur l’onglet « Autres » de votre page profil.

Tout est ici...


Le Festival de jazz est commencé: le bonheur!

La grande fête du jazz est en ville et, déjà, de très belles découvertes... grâce à des articles lus et/ou des suggestions d'amis jazzophiles. Trois coups de cœur depuis hier: le pianiste flamenco Dorantes qui renouvelle le genre classique, le pianiste américain d'origine indienne Vijay Iyer, au jeu subtil, métissé et très actuel et un « vieux de la vieille » dont j'ignorais tout jusqu'ici (oui, je sais, c'est mal!) Gil Scott-Heron. Je lévite avec Me and The Devil.


Je salue aussi l'excellente initiative de cyberpresse de nous proposer un jukebox quotidien qui permet de mieux découvrir leurs coups de cœur du jour (les deux noms mentionnés ici s'y retrouvaient hier, avec le contagieux Brian Setzer Orchestra et Miles Davis). C'est par là...

jeudi 24 juin 2010

Bonne Saint-Jean!

24 juin, Saint-Jean-Baptiste, fête nationale des Québécois... S'il y a une journée dans l'année où il est essentiel de lire, d'écouter, de vibrer québécois, c'est bien celle-là. Alors, en partage, un poème d'Hector de Saint-Denys Garneau...

L'avenir nous met en retard

L'avenir nous met en retard
Demain c'est comme hier on n'y peut pas toucher
On a la vie devant soi comme un boulet lourd
           aux talons
Le vent dans le dos nous écrase le front contre l'air
           On se perd pas à pas
           On perd ses pas un à un
           On se perd dans ses pas
           Ce qui s'appelle des pas perdus
Voici la terre sous nos pieds
Plate comme une grande table
Seulement on n'en voit pas le bout
(C'est à cause de nos yeux qui sont mauvais)
On n'en voit pas non plus le dessous
D'habitude
Et c'est dommage
Car il s'y décide des choses capitales
À propos de nos pieds et de nos pas
C'est là que se livrent des conciliabules géométriques
Qui nous ont pour centre et pour lieu
C'est là que la succession des points devient une ligne
Une ficelle attachée à nous
Et que le jeu se fait terriblement pur
D'une implacable constance dans sa marche
           au bout qui est le cercle
           Cette prison.
Vos pieds marchent sur une surface dure
Sur une surface qui vous porte comme un empereur
Mais vos pas à travers tombent dans le vide
           pas perdus
Font un cercle
           et c'est un point
On les place ici et là, ailleurs,
           à travers vingt rues qui se croisent
Et l'on entend toc toc sur le trottoir
           toujours à la même place
Juste au-dessous de vos pieds
Les pas perdus tombent sous soi dans le vide
           et l'on croit qu'on ne va plus les rencontrer
On croit que le pas perdu c'est donné une fois
           pour toutes perdu une fois pour toutes
Mais c'est une bien drôle de semence
Et qui a sa loi
Ils se placent en cercle et vous regardent avec ironie
Prisonnier des pas perdus.

Hector de Saint-Denys GARNEAU, Regards et jeux dans l'espace. Les Solitudes.

mardi 22 juin 2010

Infrarouge

Ceux - nombreux - qui avaient cédé aux charmes de Lignes de faille attendaient certainement cet ouvrage avec une hâte non dissimulée. Quatre ans, c'est long, quand on aime une auteure. Si la question de la filiation est encore très présente dans ce 12e roman - dans lequel Rena, photographe de 45 ans, offre à son père et sa belle-mère une semaine en Toscane en sa compagnie -, Nancy Huston choisit d'aborder un tout autre registre, rouge... comme dans Infrarouge bien sûr, titre du livre et technique que Rena utilise pour percevoir l'homme sous son enveloppe corporelle dans ses moments de plus grand abandon - et donc de plus grande fragilité. Rouge aussi comme la couleur de la passion, du sang, de la sexualité entièrement assumée.

Résumer ce roman à ces scènes souvent très chargées, parfois très crues, serait toutefois inutilement réducteur. Oui, les choses sont nommées, mais toujours avec une dignité sous laquelle on reconnaît la plume fluide de Huston. Je parlerais plutôt d'écriture assumée, libérée, pas tant féministe (oui, pour une rare fois, c'est la femme qui regarde, qui examine, qui triture, qui ravage parfois) que profondément incarnée dans une féminité moderne, moins vindicative que multiple. Oui, Rena aime les hommes, les consomment parfois comme d'autres engloutissent dans un buffet tout compris, mais elle est bien plus que cela: elle est fille (les liens avec son père ont parfois été troubles), sœur (son frère a dansé dès le début une étrange danse de la séduction avec elle), mère (de deux jeunes hommes qu'elle chérit), professionnelle, amante, épouse, amie. Elle s'indigne, cherche à comprendre les choses, y pose un autre regard, littéralement.

Au cours de cette semaine qui pourrait sembler idyllique à Florence, à Sienne, dans la campagne toscane (ceux qui ont visité les lieux les reconnaîtront, magnifiés), elle devra apprivoiser certaines blessures, les intégrer à ce qu'elle est devenue, afin de pouvoir se renouveler, encore et toujours. Ce livre ne laisse pas indifférent et a déjà suscité certaines réserves chez les blogueuses. Je l'ai plutôt perçu comme l'écoute d'une voix différente, qui transmet un message brûlant certes, mais dans lequel plusieurs se retrouveront.

Nancy Huston, toujours aussi troublante à 56 ans, lit ici un extrait de son livre...

dimanche 20 juin 2010

Pierre Lapointe seul au piano

Première incursion en salle pour moi aux Francofolies hier soir, alors que Pierre Lapointe lançait sa tournée « seul au piano » Théâtre Maisonneuve. Un chanteur que j'aime beaucoup mais que je n'avais jamais vu en spectacle jusque là... J'avais raté son dernier passage montréalais en août dernier car je devais récupérer une amie à l'aéroport le même soir, j'avais considéré aller l'entendre à Paris en octobre alors que j'y étais de passage mais n'avais pas réussi à convaincre mon ami de m'y suivre; bref, trop de rendez-vous manqués pour résister une fois de plus, moi qui ai écouté en boucle son album live avec l'Orchestre Métropolitain et Sentiments humains.

En première partie, Arnaud Fleurent-Didier, dont je n'avais jamais entendu parler. Oui, c'est vaguement franchouillard (avec un nom comme le sien, forcément, me direz-vous), pas très « musclé » mais, musicalement, il y a des trucs plutôt intéressants, plus recherchés qu'il n'y paraît à première vue et le jeune homme (il en a en fait 36 ans mais en paraît 22 tout au plus) possède une assez jolie voix et sait s'entourer. Quelques coups de cœur, à l'écoute par exemple de France Cultures ou d'Imbécile heureux ou Si on se dit pas tout. (Pour écouter l'album, c'est ici...) Comme quoi, tout est question de perception, la personne qui m'accompagnait a râlé pendant (presque) tout l'entracte que c'était insupportable, cliché, que le chanteur n'assumait pas son homosexualité, qu'elle en avait de l'urticaire, que... (vous voyez le topo) Moi, ce matin, j'ai plutôt eu le goût de découvrir l'album.

Plat de résistance maintenant - et quel plat c'était! Pierre Lapointe nous a offert un concert de près de deux heures mais qui a semblé durer moins de 25 minutes. Une voix, un piano, des éclairages léchés, un son travaillé (un peu distordu dans les fortissimo mais on lui pardonne tout), une proximité (malgré les quelque 2000 sièges de la salle), l'impression de réentendre toutes ces chansons, pourtant connues, aimées, comme si c'était la première fois.

Que ce soit Plaisirs dénudés proposé en version instrumentale en ouverture ou ses hits 27-100 Rue des partances, La Reine Émilie ou le contagieux Deux par deux rassemblés qui devient une ballade presque existentielle une fois dépouillée de sa section rythmique, j'ai écouté, les pores grand ouverts, émerveillée par la richesse subtile des arrangements piano, par la façon dont cette sobriété permettait de magnifier les textes et la somptuosité de la voix très assurée du chanteur. Quelques moments magiques parmi d'autres: la reprise de Moi Elsie (sublime collaboration avec Richard Desjardins et la chanteuse Elisapie Isaac), la décapante Boutique fantastique, un participatif Au bar des suicidés ou l'épurée Nous restions là. Mais j'aurais aussi bien pu citer une dizaine d'autres moments. Reverrai-je Pierre Lapointe en spectacle? Assurément.

Les dates de la tournée sont ici...

vendredi 18 juin 2010

Existe-t-il vraiment un hasard?

Depuis quelques jours, je suis plongée dans le passé... en 1861, plus précisément à Lachine. Vous admettrez que ça commence à être assez pointu. En effet, je travaille à un numéro spécial - et dernière édition papier - du journal La Clé qui, justement (c'est mon concept) est daté de septembre 1861, au moment où les sœurs de Sainte-Anne ouvrent l'école qui deviendrait éventuellement le Collège Sainte-Anne (il y a bientôt 150 ans, donc). J'ai pu ainsi notamment me plonger dans de vieux numéros de La Minerve et divers ouvrages traitant de la colonie d'alors (dont certains manuels d'histoire de l'époque assez peu nuancés). Certains livres n'étant disponibles qu'en consultation à la Collection nationale, j'ai donc pu pousser la porte de l'antre des chercheurs. Atmosphère et éclairage contrôlés, signature obligatoire à l'entrée si on a un sac plus grand, l'impression de pénétrer dans le Saint des Saints...

En sortant, je n'ai évidemment pas pu résister à l'appel des autres étages et suis donc partie avec quelques disques (pas plus de trois, bien malheureusement), plusieurs partitions (de Schumann à Brubeck) et quelques livres (eh oui, malgré ma titanesque PAL). Au rayon des nouveautés, je me suis arrêtée spécifiquement dans la section des S, à Saramago plus précisément, espérant y trouver son dernier livre de billets parus dans son blogue, traduit récemment. J'ai eu entre les mains Le voyage de l'éléphant, que je suis passée à deux doigts de prendre et que j'ai ensuite vaillamment repoussé, consciente que trois romans étaient bien suffisants pour cette fois. J'arrive ici et ouvre l'infolettre hebdomadaire de Dimedia, pour apprendre que, oui, le grand romancier portugais est décédé hier. Une façon d'oublier le passé (plus ou moins lointain) et de reprendre pied, bien brutalement, dans le présent.

J'ai beaucoup lu Saramago - mais pas tout encore - et j'aime beaucoup cet auteur, cette voix unique, cette respiration à nulle autre pareille, dans laquelle il faut se couler si on ne veut pas être laissé en plan. Un ami m'avait offert L'aveuglement il y a plusieurs années déjà. (Le livre est d'ailleurs nettement supérieur au film.) Au début, j'avais été déstabilisée par l'écriture puis je me suis dit que s'il avait choisi de me l'offrir (il a enseigné la littérature pendant de nombreuses années), c'est que l'ouvrage devait être important. Quelques mois auparavant, il m'avait mis L'attentat de Khadra dans les mains (éventuellement, ce serait La fête au bouc de Vargas Llosa), je pouvais donc lui faire confiance. Je me suis donc accrochée et, après quelques dizaines de pages, j'ai fini par m'attacher à cette musique si particulière, à ce regard à la fois acéré et tendre, à cette verve épique avec laquelle l'auteur peut transformer un geste insignifiant en objet littéraire.
« J'écrivais un roman comme les autres, avait-il expliqué au Monde des Livres du 17 mars 2000. Tout à coup, à la page 24 ou 25, sans y penser, sans réfléchir, sans prendre de décision, j'ai commencé à écrire avec ce qui est devenu ma façon personnelle de raconter, cette fusion du style direct et indirect, cette abolition de la ponctuation réduite au point et à la virgule. Je crois que ce style ne serait pas né si le livre n'était pas parti de quelque chose que j'avais écouté. Il fallait trouver un ton, une façon de transcrire le rythme, la musique de la parole qu'on dit, pas de celle qu'on écrit. Ensuite, j'ai repris les vingt premières pages pour les réécrire. »

Sa voix me manquera... heureusement qu'il l'a transmise dans ses livres. J'aurais envie de lui offrir le Dichterliebe,  « Les amours du poète », un des enregistrements rapportés.

mercredi 16 juin 2010

L'enfant prodige

Bien avant que le nom d'André Mathieu soit sur (presque) toutes les lèvres, je connaissais déjà le compositeur, de l'intérieur. En effet, dès mes premières années d'enseignement, j'avais travaillé de ses pièces « faciles » avec des élèves (qui avaient participé à un documentaire sur le compositeur de Jean-Claude Labrecque). Au fil des ans, j'ai aussi écrit des articles et des notes de programme sur Mathieu. Je pouvais donc difficilement omettre de voir le film en salle. Je partage mes impressions sur le blogue d'Analekta... 

Histoire de vous convaincre encore plus peut-être, voici la bande-annonce.

mardi 15 juin 2010

Fol allié

La littérature – qu’elle soit chick lit ou autre – regorge d’exemples d’histoires de rupture racontées d’un point de vue féminin, qui nous font passer tour à tour de la révolte à la dépression à l’acceptation. Mais un regard masculin? Ces messieurs souffriraient-ils aussi quand nous les quittons? Poser la question, c’est y répondre et, pourtant, peu d’hommes avaient osé aborder ce registre. Il faut saluer ici l’impudeur – ou l’avant-gardisme – de Patrick Dion, qui signe avec Fol allié un premier roman urbain, bourré de testostérone, plutôt attachant.

L’écriture tour à tour scalpel ou pinceau de soie se prête bien à cette plongée au cœur de la relation, puisque l’auteur dissèque autant qu’il caresse, transperce aussi facilement qu’il est bouleversé. J’ai aimé ce compte à rebours dans le désordre, les chapitres étant identifiés par des lettres jalonnant le périple d’Éric, qui permettent de découvrir le narrateur par pans. Si de faire grandir le personnage dans une famille plus ou moins abandonnée par un père alcoolique ne témoigne certes pas d’une très grande originalité, il faut saluer la façon dont Patrick Dion a su juxtaposer colère refoulée et une certaine tendresse. Les retours au présent et à la fameuse lettre-confession vidéo me convainquaient moins. Je comprends bien que, en fervent défenseur des nouvelles technologies, il ait souhaité « moderniser » son approche – une lettre ou un journal intime lui semblant peut-être ringard –, mais j’ai trouvé que ces passages alourdissaient souvent ma lecture.

L’auteur aura à surveiller lors d’un prochain roman sa propension à détourner les mots de leur sens premier. Dans certains cas, cela donne quelque chose d’aussi réussi que « Mes paupières doivent peser une tonne, mille et une livres pour que le conte soit bon », et dans d’autres, des phrases franchement balourdes comme « Maintenant je sais que le téléviseur ou la corde accrochée au plafond, c’est ça le pouvoir infini du câble. » Pour son deuxième opus, saura-t-il puiser ailleurs que dans l’autofiction? On ose le souhaiter.

dimanche 13 juin 2010

Classik Beat

J'aime quand je pars au concert sans savoir ce qui m'y attend. Et parfois - comme jeudi dernier -, cela laisse place aux surprises agréables des premiers instants à la fin de la soirée. En effet, mon ami Michel Fournier m'avait invitée à la deuxième présentation d'un tout nouveau programme monté en collaboration avec NEMESIS, ensemble de percussion de Sherbrooke. J'étais déjà gagnée à l'avance et avais hâte de découvrir comment le jeu subtil du pianiste se marierait à une masse sonore de percussions.

Premier coup de cœur: le lieu du concert. Niché dans le Vieux Saint-Eustache, le Centre d'art La petite église est des plus invitants... et j'ai découvert que plusieurs artistes québécois des plus connus (dont Fred Pellerin, Kevin Parent ou Pierre Lapointe, par exemple) s'y produisaient à des taris très concurrentiels! Le lieu, qui possède un cachet remarquable, accueille un très intime 250 personnes et le service de bar est proposé. À n'en point douter, j'y retournerai!

Deuxième coup de cœur: le spectacle lui-même. Après une courte première partie (qui mettait en vedette Yogane Lacombe, jeune pianiste qui fait de plus en plus parler d'elle dans les Laurentides), nous avons pu découvrir le concept de la soirée: raconter en musique, à travers des airs classiques, du jazz, des compositions originales, en formations à géométrie variable, l'ascension du Mont Mégantic, une journée d'août, histoire de pouvoir être récompensé de l'« effort » par la contemplation d'une pluie des Perséides. Pour ceux qui connaissent le répertoire classique symphonique, un parallèle s'établit aussitôt avec la Symphonie alpestre de Richard Strauss (qui « suit » la vie d'une montagne pendant 24 heures) mais là s'arrêtera la comparaison.

Le spectacle se présente comme un parcours, les pièces s'enchaînant très souvent les unes aux autres (ce qui oblige le public à retenir ses applaudissements). On passe ainsi de Bach (l'amorce de la Toccate et fugue en mineur puis un mouvement du concerto pour clavier dans la même tonalité) à une pièce d'inspiration africaine mettant en vedette le côté plus tribal des percussions à des bribes de Mozart ou au sublime mouvement lent du Concerto de Ravel, dans lequel les sept percussionnistes endossent avec brio le rôle de l'orchestre (un marimba et un vibraphone joués avec un archet peuvent produire des sons absolument célestes, la résonance veloutée de l'instrument  étant magnifiée par ce geste en apparence anachronique). Je tiens d'ailleurs à saluer ici la qualité des arrangements et des créations de Thierry Pilote, qui ont su mettre en lumière les capacités multiples des percussions.

On a aussi  droit à de très belles pages où le piano brille de tous ses feux: le thème d'On Golden Pound, la conclusion du Clair de lune de Debussy par exemple ou lorsqu'il dialogue avec une caisse claire traitée aux balais dans Young Love d'Errol Garner. Les éclairages absolument magiques d'Augustin Rioux plongent dans un état de communion remarquable avec les œuvres.

Quelques petites réserves à peine... J'aurais peut-être souhaité sentir un peu plus la trame narrative, lâche par moments. On nous avait par exemple annoncé qu'à mi-parcours de l'ascension, on rencontrerait une église... que je crois avoir identifiée mais sans en être certaine à 100 %. Aurait-on dû intégrer quelques projections ponctuelles ou une ou deux phrases inspirées ici ou là? Peut-être. La personne qui m'accompagnait n'ayant en rien perçu ce « flou artistique » comme un handicap, peut-être suis-je simplement trop prosaïque. J'ai aussi eu l'impression que certains moments étaient disposés comme écrins au pianiste, ce qui, là aussi - et même si je trouve le jeu de Michel quasi irréprochable - m'a laissée un peu sur ma faim côté progression de la narration (et de l'ascension). Plusieurs puristes auraient hurlé au sacrilège en entendant certaines de ces juxtapositions. J'ai plutôt considéré chaque pièce comme un instantané d'une journée chaude d'été, passée en agréable compagnie, face à l'immensité de la nature.

Le programme sera repris jeudi prochain, à Saint-Jean-sur-le-Richelieu pour les intéressés. Un vidéo a été tourné il y a quelques jours et devrait pouvoir servir de véhicule de promotion. Ce spectacle doit être vécu par d'autres, cela relève de l'évidence.
Un article paru dans La Tribune...

jeudi 10 juin 2010

Y a-t-il un compositeur dans la salle?

Bien sûr, si vous allez au concert entendre, disons, la « Pathétique » de Tchaïkovski ou même le Sacre du printemps de Stravinski, vous ne vous étirerez pas le coup pour voir si, peut-être que, par hasard, le compositeur est assis à quelques sièges du vôtre (à moins que vous ne perceviez des choses que bien peu d'entre nous soupçonnons). Mais si vous assistez à la première d'une œuvre, vous admettrez que la donne est légèrement différente. Il y a de fortes chances que le compositeur sera dans la salle et pourrait donc - sauf si vous êtes assis au dernier balcon - être votre voisin immédiat ou presque. Est-ce que cela changerait quoi que ce soit à votre expérience de concert?

Le compositeur américain John Adams, une mégavedette, il faut bien l'admettre, s'est trouvé dans cette disons légèrement compromettante position et en parle avec son humour décapant habituel sur son blogue. Lors d'un concert récent, son voisin ne s'est rendu compte de rien, n'a pas hésité à lever les yeux au ciel et à échanger quelques commentaires plus ou moins discourtois sur l'« imbuvable musique contemporaine » (je paraphrase mais les guillemets sont essentiels et il faudrait peut-être mettre des majuscules à tout ça!) ou à consulter ses courriels pendant les pauses entre les mouvements. (Le Blackberry et l'IPhone ne sont-ils pas merveilleux pour cela?) Bien sûr, une fois qu'Adams se fut levé pour saluer la foule après l'interprétation de l'œuvre en question, le dit voisin s'est empressé de trouver la pièce absolument for-mi-da-ble et y est presque allé de grandes claques dans le dos. (Nous sommes aux États-Unis, que diable!)

Ne devrait-on pas toujours vraiment écouter au concert ou, du moins, faire l'effort de se laisser toucher par la musique entendue? J'ai assisté il y a deux semaines à un concert de la Neuvième Symphonie de Mahler, une œuvre magistrale mais qui, avec ses 85 minutes, peut être taxée de quelques longueurs (même si certaines de ses langueurs sont absolument somptueuses, notamment dans les premier et dernier mouvements). Pendant le premier mouvement, j'ai remarqué que le vieux monsieur assis devant moi était parfaitement immobile. Oui, bien sûr, il est possible qu'il ait été si captivé par ce qu'il entendait qu'il ait décidé de se plonger en lui-même pendant une vingtaine de minutes. Laissons-lui le bénéfice du doute, me direz-vous. (L'année dernière, celui derrière moi ronflait à la fin de City Life de Steve Reich. Le bénéfice du doute, là aussi?) Trois sièges plus loin, un hurluberlu lisait calmement, non pas ses notes de programme mais une brique en poche: Les Bienveillantes de Jonathan Littell. On parlait ici d'un billet au parterre (allez consulter les tarifs sur le site de l'OSM si vous y tenez ou croyez-moi sur parole que ce n'est pas pour toutes les bourses) et l'homme en question était seul. (Non, mauvaises langues, il n'avait pas été « trainé » au concert par sa femme, qui se mourrait de voir le « beau maestro Nagano ».) Qu'il ait choisi de lire ce livre tout en écoutant la symphonie dans son salon, bravo, mais est-ce que le concert n'exige pas un minimum d'implication? C'est peut-être moi qui suis vieux jeu, allez savoir...

mardi 8 juin 2010

Ute dans Weill

Parfois, on trouve de petits bijoux en jouant au « ping-pong » sur Youtube, à comparer des interprétations. Des notes à écrire sur un programme vocal aujourd'hui et je tombe sur cette interprétation, à donner le frisson... Alors, je partage!

Pour les visuels, vous pouvez y accéder en cliquant ici (je ne peux malheureusement pas intégrer la vidéo à ce billet). Pour les auditifs, cliquez sur le disque que voici pour une vision encore plus dramatique. La plage à écouter de toute urgence: Je ne t'aime pas...


dimanche 6 juin 2010

Du souvenir qu'on entretient des lectures

Il y a quelques jours, nous étions cinq à évoquer  la littérature, certains titres coups de cœur, certains moments de lecture marquants. Un s'est alors enflammé pour Le silence de la mer de Vercors (pseudonyme de Jean Bruller), texte écrit en pleine guerre (1941), précisant que nous devions lire ce livre. Il a commencé à faire un résumé de cette novella qui, selon lui, impliquait la confrontation silencieuse entre une jeune fille française qui jouait du piano et un officier allemand qui l'écoutait, ému. Bien sûr, l'évocation d'une trame musicale ne pouvait que m'interpeller.

Des promesses d'échange ont été conclues, qui nous permettraient de découvrir le titre. Deux jours plus tard, le livre avait été remis à mon ami qui, les mains pleines, l'avait glissé dans mon sac jusque chez lui... sauf que j'ai oublié de le sortir de mon sac et il s'est plutôt retrouvé au milieu des emprunts que j'avais effectués dans la bibliothèque de leur appartement, avec Beckett et Saint-Denys-Garneau. J'ai donc pris cela comme un signe que je devais lire le texte séance tenante, avant de le remettre en circulation.

Le texte est très beau, puissant, sombre, presque douloureux mais ce qui m'a surtout surprise c'est que l'histoire m'avait été racontée de façon complètement erronée, l'érosion du souvenir de lecture ayant au final transformé le propos en une toute autre histoire, peut-être même plus intéressante que l'originale. De fait, la jeune fille (nièce du narrateur) ne joue pas de piano. L'instrument qu'on découvre est un harmonium, dont elle ne jouera pas pendant toute la durée du séjour de l'officier allemand (une centaine de jours). Le musicien de l'histoire, c'est l'Allemand, un compositeur qui, une seule fois, touchera l'instrument et jouera le 8e prélude du Clavier bien tempéré de Bach (l'auteur ne mentionne pas de quel livre mais je soupçonne que ce soit le premier, une page particulièrement inspirée, qui serait connue d'un non-professionnel). Après avoir terminé, l'officier rejoint ses hôtes et dit:
« Rien n'est plus grand que cela. Grand?... Ce n'est pas même le mot. Hors de l'homme, - hors de sa chair. Cela nous fait comprendre, non: deviner... non: pressentir... pressentir ce qu'est la nature... la nature divine et inconnaissable ... la nature... désinvestie de l'âme humaine. Oui, c'est une musique inhumaine. »
Il parut, dans un silence songeur, explorer sa propre pensée. Il se mordillait lentement une lèvre.
- Bach... Il ne pouvait être qu'Allemand. Notre terre a ce caractère: ce caractère inhumain. Je veux dire: pas à la mesure de l'homme. » (p. 46)

Le texte en est surtout un de réflexion sur la bêtise de la guerre, sur la façon dont elle peut transformer les gens. L'officier allemand est persuadé au départ que cette guerre saura être bénéfique autant pour son pays que pour la France, dont il connaît et apprécie les grands auteurs. À la fin de l'histoire, il demande à être muté ailleurs car il réalise que la guerre ronge les cœurs, qu'elle détruit la créativité, qu'elle n'a rien de constructif. La musique que l'on entend, en fait, c'est celle de l'Histoire qui se juxtapose à la petite histoire, celle d'un artiste dont on ne saura jamais s'il pourra retrouver son élan créateur. Une musique poignante.

jeudi 3 juin 2010

Le jeune Benjamin Beilman remporte le CMIM

Une fois n'est pas coutume pour un concours international, le jury du Concours Musical International de Montréal a décidé de récompenser des musiciens plutôt que des techniciens. En effet, les trois lauréats - l'Américain Benjamin Beilman qui, à 20 ans a fait l'année dernière ses débuts avec le Philadelphia Orchestra, l'Allemand Korbinian Altenberger qui a su démontrer, à 28 ans (il avait quand même le double de l'âge du plus jeune candidat!), que la maturité pouvait encore séduire et le Russe Nikita Borisoglebsky, à la sonorité somptueuse - ont misé sur le fait qu'ils n'étaient pas que des super-machines hyper-performantes qui pouvaient enfiler 10 000 notes à la minute mais qu'ils privilégiaient une approche à la fois plus réfléchie et plus viscérale.

Toucher l'auditeur est devenu un choix presque marginal et pourtant, quand on s'y arrête, n'est-ce pas là l'essentiel de la transmission du message musical, faire vibrer l'autre, partager?  Je n'ai pas écouté les récitals de quart de finale et demi-finale de tous les candidats du CMIM mais ces trois musiciens m'avaient accrochée, gardée captive, réconciliée même avec le répertoire pour violon. Pour une surspécialiste, ce n'est tout de même pas rien... « Nous sommes tous humains et nous avons tous nos travers, nos failles. Nous voulons les entendre, les ressentir, c'est ce qui rend la musique magnifique. Ce n'est pas une machine qui joue, mais quelqu'un qui a un cœur », expliquait Benjamin Beilman en entrevue après son récital de quart de finale. Parfois, il y a de ces évidences qui vous réconcilie avec votre métier...

On peut entendre toutes les prestations des candidats ici... Je vous recommande tout particulièrement le récital de quart de finale du gagnant, celui de demi-finale d'Altenberger et celui de demi-finale de Borisoglebsky.

mercredi 2 juin 2010

Les livres...

« Pour Borges, l'essentiel de la réalité se trouvait dans les livres; lire des livres, écrire des livres, parler de livres. De façon viscérale, il était conscient de poursuivre un dialogue commencé il y avait des milliers d'années et qui, croyait-il n'aurait jamais de fin. Les livres restauraient le passé. » (p.33)

« Dans le cas de Borges, c'étaient son œuvre, ses sujets, la matière dont était son univers qui étaient immortels, et c'est pourquoi il n'éprouvait pas le besoin de rechercher une existence éternelle. « Le nombre des thèmes, des mots, des textes est limité. Par conséquent rien ne se perd jamais. Si un livre est perdu, quelqu'un l'écrira de nouveau, tôt ou tard. Cela devrait suffire à n'importe qui, comme immortalité », me dit-il un jour où il parlait de la destruction de la bibliothèque d'Alexandrie. » (p. 74)

Alberto Manguel, Chez Borges

mardi 1 juin 2010

Emmanuel Pahud: la puissance du souffle

Véritable vedette de la flûte, Emmanuel Pahud possède une curieuse faculté de se renouveler, se multiplier, déjouer les pronostics. Soliste recherché qui séduit les foules d’Europe, d’Asie et d’Amérique, chambriste convaincu qu’on retrouve aussi bien aux côtés du claveciniste Trevor Pinnock que de son complice de longue date Éric Le Sage, membre de l’illustre Philharmonique de Berlin, créateur infatigable d’œuvres contemporaines, seul flûtiste à s’être vu offrir au cours des dernières années un contrat d’exclusivité par une étiquette prestigieuse, jazzman assumé qui dialogue avec le pianiste Jacky Terrasson, pédagogue qui intègre les cours de maître dans les rares plages libres de son calendrier, cofondateur du Festival de l’Empéri de Salon-de-Provence, Pahud sillonne les corridors aériens de la planète comme d’autres se calent au quotidien dans un train de banlieue. Étonnamment, on ne le sent jamais dispersé.

Les puristes pourraient décrier cette polyvalence, mais il la défend avec la même conviction qu’un concerto de Matthias Pintscher, Michael Jarrell, Marc-André Dalbavie ou encore son album jazz, Into the Blue. « J’ai grandi comme cela, j’ai combiné deux univers, explique-t-il lors d’une entrevue téléphonique donnée d’une chambre d’hôtel à Caen. J’étais toujours dans les clubs de jazz et je sortais la flûte de temps en temps, mais c’est une énorme responsabilité de faire de la musique improvisée, de la “composition instantanée”, devrais-je plutôt préciser. C’est très différent d’interpréter une œuvre classique ou même de revisiter un standard de jazz. C’est une fenêtre ouverte sur un autre monde. Il ne faut pas se contenter de regarder par la fenêtre, mais ouvrir la porte et sortir ! On aime bien la spécialisation aujourd’hui, mais la musique peut être apprivoisée sous des formes différentes. Il faut la percevoir en compartiments, en moments différents. Je pourrais faire le parallèle avec un mégaplex de salles de cinéma et ses multiples propositions, auxquelles nous pouvons répondre selon l’inspiration du moment. »

Je l'ai interviewé et il est en couverture du numéro courant de La Scena Musicale, disponible en version Flash facile de consultation (qui vous donne l'impression de tourner les pages vous-mêmes). Pour lire l'article (page 8 et suivantes)...