vendredi 31 juillet 2009

Dater

Bien sûr, toutes les œuvres d'art, qu'elles soient picturales, musicales ou littéraires, peuvent être datées. L'auteur aura laissé une note dans le manuscrit, dans son journal intime, dans une lettre à un ami. Cela relève de l'évidence la plus pure. Sinon, on peut toujours faire confiance aux experts pour dater une toile, un manuscrit, grâce à l'aide des technologies actuelles.

Mais, il faut bien admettre que certaines œuvres, quand elles traversent le temps, semblent terriblement datées. Un exemple facile: la musique de Salieri. Super-vedette à son époque (en partie grâce à certaines magouilles de sa garde rapprochée, mais peu importe), on ne peut que réaliser que ce qui avait pu sembler « frais » alors semble aujourd'hui terriblement convenu. On reconnaît une époque, à travers certains choix d'instrumentation, des progressions harmoniques, certaines arabesques vocales, mais on a souvent l'impression d'être face à un « sous-produit », la personnalité du compositeur ne transparaissant pas de façon évidente. Écoutez une symphonie de Beethoven pendant 5 secondes ou même une de ses oeuvres pour piano moins connues et, à défaut de pouvoir identifier avec précision l'extrait, vous saurez dire qui l'a signé. Après une écoute d'un air de Salieri (même chanté par cette chère Cecilia Bartoli), aucune envie de peser sur le bouton « rejouer ». Après des dizaines d'écoutes du Sacre du printemps de Stravinski (dont plusieurs en concert), l'écoute pour moi en demeure renouvelée.

En littérature, on peut établir le même genre de parallèle, bien évidemment. Si le temps a fini par faire son tri et que le bestseller de 1813 n'est vraisemblablement plus sur les tablettes des bibliothèques (les férus pourront toujours fouiller dans Project Gutenberg, qui reprend parfois des choses étonnantes), même ce que nous apprécions aujourd'hui comme une oeuvre majeure peut sembler par certains côtés désuète. Il faudrait ici préciser peut-être: pas dans son entièreté, seulement par certains aspects. J'ai ainsi lu tout récemment les Nourritures terrestres d'André Gide, dont je gardais le souvenir ému de sa Symphonie pastorale, lue à l'adolescence. Je suis sortie de ma lecture partagée. Le style littéraire est parfois éblouissant et la puissance de ses évocations picturales remarquable (certains paysages prennent pratiquement vie devant nous, particulièrement si on a les référents pour en susciter le souvenir) mais le côté mystico-religieux semble plutôt suranné. On comprend, on accepte ce qu'il a voulu transmettre mais on l'exprimerait maintenant autrement. Au contraire, des auteurs comme Shakespeare ou Molière n'ont pas pris une seule ride. La peinture de personnages est criante de vérité, aujourd'hui comme hier. Oui, peut-être pourra-t-on s'accrocher un peu dans les expressions d'alors (lire Shakespeare dans le texte exige tout de même une concentration accrue du lecteur, surtout en langue seconde) mais on s'y reconnait encore (et c'est bien pour cette raison que les compagnies continuent de le présenter chaque année).

Que restera-t-il des gros canons d'aujourd'hui? Là aussi, le temps fera le tri. On me pose souvent la question, à savoir quel compositeur contemporain est vraiment pertinent. Même avec un vocabulaire adéquat (dont disposent bien peu de mélomanes), le jugement est presque impossible à poser. Une chose est certaine: il (ou elle) sera celui (ou celle) dont on saisira l'essence en quelques notes, qui restera « contemporain », qui touchera encore profondément, qui deviendra un classique. Le compositeur Edgar Varèse l'a résumé admirablement en ces termes: « … tous les grands créateurs en sciences ou en art ont été romantiques : le génie est romantique. C’est l’œuvre qui est classique, lorsqu’elle a subi l’épreuve du temps. »

lundi 27 juillet 2009

La nuit des pianistes

Soupirs de contentement et sourires... Je viens d'écouter « live » la dernière partie de la Nuit des pianistes du Verbier Festival, ce prestigieux festival suisse. Des regroupements presque ad hoc, des surprises, des clins d'œil, l'impression d'assister à une fête entre amis. Dès demain matin, vous pourrez l'écouter en différé (merci www.medici.tv) et ce, gratuitement (il s'agit de s'inscrire). Après avoir entendu l'Humoreske de Rodion Schedrin, avec le compositeur au piano entre deux gros noms, accompagné par trois percussionnistes d'un soir (Evgeny Kissin, Misha Maisky et Joshua Bell!) en dernier rappel, on ne peut poursuivre la journée que le sourire aux lèvres...

samedi 25 juillet 2009

Une p'tite vite

Parfois, vous souhaitez vous plonger dans un univers littéraire et y demeurer pendant des heures, voire des jours. À d'autres moments, vous souhaitez simplement glisser une histoire dans votre sac, histoire d'alléger l'attente, de raccourcir le trajet de métro, de voler quelques minutes à un horaire surchargé à l'heure du lunch. Les éditions Bleu autour ont eu la bonne idée d'imprimer de tous petits livres, qui comprennent une seule nouvelle, histoire de vous mettre l'eau à la bouche, de vous faire découvrir un écrivain dont vous ignoriez tout jusque là. Tout récemment, une amie française m'a glissé dans une enveloppe Une histoire pour deux, un court texte plutôt philosophique, dans laquelle une mouette et la mer jouent des rôles plus que secondaires, écrit par Sait Faik Abasiyanik, un écrivain turc, décédé en 1954, renommé... pour ses nouvelles. À 1 euro, c'est bien moins cher qu'un latté et à peine plus qu'un quotidien. Je lance un appel aux éditeurs québécois: pourquoi pas des nouvelles à la pièce de nos grands auteurs pour... disons... 2 dollars? Y a-t-il preneur?

jeudi 23 juillet 2009

L'art peut changer les perceptions

Nous avons eu la preuve, hier soir, lors de l'émission de divertissement « familial » So you think you can dance que la danse peut transmettre des émotions d'une puissance exceptionnelle. Le chorégraphe Tyce DiOrio a choisi le pari audacieux - mais brillamment relevé - de traiter du combat contre le cancer du sein. Mener le spectateur dans une zone d'inconfort (tout le monde connaît quelqu'un qui a eu à se battre contre le cancer) et transcender la peur, la tristesse, en quelque chose de plus grand que soi en moins de deux minutes, à heure de grande écoute, chapeau!

mercredi 22 juillet 2009

Un coeur rouge dans la glace


« Toutes celles, tous ceux qui écrivent sont des abandonnés. Il nous faut sans cesse inventer notre vie, sans quoi c'est l'horreur et on veut se cacher tellement on a honte. » Robert Lalonde possède une voix bien particulière, qui pourrait séduire certains lecteurs et en déstabiliser d'autres. Peu d'auteurs maîtrisent aussi admirablement leur écriture pour créer l'illusion d'un arrêt subtil du temps, qui nous permet d'apprécier chaque bruissement d'une nature en perpétuel mouvement. Peu d'auteurs parlent avec autant de tendresse et de vérité du métier d'écrivain, des embûches qui jonchent le quotidien, des déchirements, des interrogations. « Écrire, ce n'est pas raconter une histoire. C'est s'attaquer à l'indicible, c'est chercher la transparence. »

Dans Un coeur rouge dans la glace, Lalonde oscille entre deux genres qu'il a abordés par le passé: la nouvelle et le roman, et nous propose plutôt trois novelle, qui nous permettent de plonger dans trois univers distincts mais complémentaires, de suivre trois fils de vie, de retrouver aussi certains traits de l'auteur. Avant de plonger dans l'univers de Lalonde, il faut néanmoins accepter d'adopter un autre rythme de lecture, de s'investir dans une certaine réflexion, de ne pas souhaiter choisir la facilité. Son style n'est pas véritablement ardu mais il faut parfois le suivre dans des chemins de traverse. « Je découds mon existence entière, me déchire en trente-six lambeaux dans la nuit, abasourdi de me reconnaître dans ce carnage. Toutes mes composantes se croisent et se fuient, comme ces taches de rouge, de jaune et de noir sur les tableaux de Riopelle. Au coeur de l'ouvrage, un tourbillon, un abîme de lumière que je regarde enfin franchement. »

Dans la première nouvelle, un professeur d'université, qui a de la difficulté à accepter son veuvage, dialogue avec le fantôme de Virginia Woolf, dont l'ombre plane bien sûr sur ces pages, tant au niveau de l'imaginaire que de certaines tournures adoptées.
« Elle n'allait pas tarder à m'apprendre qu'il n'y a que l'échec pour nous garder jeunes, que les ratés sont plus insouciants que ceux qui ont réussi et que tout animal de race ne peut s'empêcher de tirer sur sa laisse. » À travers d'autres rencontres-clé (avec des personnes bien « réelles » celles-là), à travers certains retours sur lui, il finira par assumer certains choix et optera pour une vie toute autre.

Dans la deuxième (qui donne son titre au recueil), un autre écrivain cherche à retrouver son frère, disparu un bon matin sans laisser de trace. Cousue de références au Grand Meaulnes, cette novella devient un road-trip littéraire, qui mène plutôt en soi qu'ailleurs. Le narrateur rencontrera en route Nicolas, dont l'histoire reprend de façon assez troublante une nouvelle particulièrement réussie du recueil précédent de l'auteur, Espèces en voie de disparition.

La troisième, Traduire Allison, est magistrale. Un auteur en manque d'inspiration part rencontrer une poétesse américaine, pensant retrouver le fil de son récit. Le destin en décidera autrement et il la suivra sur les plages de Cape Cod, traduisant au fur et à mesure les poèmes qu'elle soutire aux éléments. (Lalonde en profite d'ailleurs ici pour y aborder le délicat travail du traducteur, déjà évoqué dans Le monde sur le flan de la truite.) Sans trop l'avoir souhaité mais sans le combattre, il tombe amoureux d'Allison et essaie de lever le voile (qui ne sera jamais entièrement déchiré) sur le passé douloureux de celle qui grave ses poèmes dans le sable mouillé avec un bâton. Là aussi, le périple sera principalement intérieur.


Le livre refermé, les personnages continuent de nous habiter, on continue de les suivre en pensée et on se retrouve avec une furieuse envie de lire, d'écrire, de vivre. Bien peu d'auteurs sont capables de nous guider sur cette route.

dimanche 19 juillet 2009

Une rencontre avec Jonathan Crow


Si on tente d’accoler une étiquette à Jonathan Crow, on reste démuni tant il prend un malin plaisir à les balayer du revers de la main. Né à Prince George en Colombie-Britannique, il a adopté Montréal sans réserve depuis ses études universitaires. Quand il échange avec un interlocuteur, il le fait de façon volubile et pourtant, il semble toujours particulièrement attentif aux propos glissés par l’autre et y réplique sur-le-champ. Doté d’un physique plus qu’avantageux, il choisit le plus souvent la discrétion. On demeure avec l’impression qu’il a ni plus ni moins grandi sous le regard bienveillant des abonnés de l’OSM, troublés presque autant par sa justesse irréprochable et l’ampleur de sa sonorité que par son air d’éternel adolescent. On parle de lui en l’appelant Jonathan, jamais M. Crow. Difficile d’admettre, sauf en acceptant un décompte rapide – il est né en 1977 – que la poussette deux-places stationnée au pied de l’escalier de sa résidence et les petites espadrilles dispersées dans l’entrée confirment qu’il est un père comblé, qui ne s’offusque même pas que son aînée préfère le son de la voix ou du violoncelle à celui de son violon.

Je l'ai rencontré pour une entrevue qui se retrouve en couverture du dernier numéro de La Scena Musicale, qu'on peut consulter en ligne ici...

samedi 18 juillet 2009

Franchir la frontière

Demandez à un amateur de musique pop s’il aime la musique classique et il vous répondra vraisemblablement par une grimace expressive ou un commentaire du type « C’est vraiment pas mon truc! C’est totalement ringard! » ou encore « C’est bien trop compliqué, je n’y comprends rien! » (L’exercice inverse serait vraisemblablement aussi éloquent.) Pourtant, nombre de chanteurs ou groupes pop ont, à un moment ou un autre de leur carrière, « débauché » une page classique, de façon assumée ou non. Je vous invite à visiter le blogue Analekta pour jeter un coup d'oeil aux trois derniers billets, que j'ai consacrés à ces « emprunts ». Des hits devenus « classiques » mais aussi quelques curiosités. C'est par ici...

mercredi 15 juillet 2009

Pourquoi j'meurs tout l'temps

La maison d’édition Écosociété, qui se spécialise dans les essais très souvent engagés, n’a pas résisté à l’envie de publier ce récit assez troublant d’une jeune fille qui a choisi la rue. Dans un style tantôt punch et tantôt presque poétique, Anaïs Airelle raconte : le quotidien de ces laissés-pour-compte, leur combat pour survivre, leurs doutes, leurs déchirements, leurs blessures profondes. On y plonge les yeux ouverts et, un instant, on s’arrête à penser que ce pourrait être nous, si les circonstances de la vie avaient été moins clémentes. Elle détaille ses périples, de Montréal à Vancouver à une communauté plus ou moins marginale, située près d’Avignon. Elle questionne, invective parfois, ne fait pas de cadeau au lecteur. « Les citoyens, quand ils passent devant les marches du musée, ils plissent du nez. Ça se voit dans leurs yeux que, pour eux, nous sommes incultes, vulgaires, “criminels”… Ce qu’ils semblent oublier lorsqu’ils nous traitent de “camés”, c’est leur propre accoutumance à une routine stressante et paralysante. Chacun sa dope. Chacun son bad-trip. » (p. 25)

Comme tout premier essai du genre, Pourquoi j’meurs tout l’temps recèle quelques faiblesses stylistiques. L’alternance de la narration au « je » et au « elle » finit par lasser, même si elle permet de magnifier certains éléments du propos. La dernière partie du récit aurait eu avantage à être sérieusement resserrée, afin d’élaguer des longueurs inutiles dans un texte aussi court. Le ton y dérape aussi et devient un peu trop condescendant et vaguement subversif. Pourtant, jusque-là, l’auteure avait réussi à transmettre en toute limpidité la puissance de son message.

Néanmoins, voilà un texte nécessaire, qui trace un portrait sans complaisance d’une réalité que l’on souhaite trop souvent occulter.

Certains de mes collaborateurs de La Recrue n'ont pas vraiment accroché, d'autres ont été touchés. Pour lire leurs commentaires, c'est ici.

mardi 14 juillet 2009

Lectures de vacances

Lors de mes vacances à la mer l'année dernière, j'avais avalé six ou sept livres, portée sans doute par une volonté de tout oublier (les trois semaines précédant le départ avaient été mortelles côté boulot). Si j'ai retrouvé la même station balnéaire et mes repères, la solitude a été beaucoup moins au rendez-vous, puisque je cohabitais avec huit autres personnes, dont une puce de 15 mois, qui demandait tout de même une certaine attention de ses oncles et tantes d'occasion. Ce préambule tente de justifier que seuls quatre titres ont rejoint ma liste de lecture.

Mieux vaut tard que jamais, j'ai finalement lu Le portrait de Dorian Gray de Wilde, une peinture (c'est le cas de le dire) assez décapante d'une société oisive, qui s'étourdit soir après soir dans les mondanités et n'hésite pas à faire un pacte avec le diable en échange de la jeunesse éternelle. Cette déclinaison du mythe de Faust est assez étonnante et je me suis délectée de l'écriture alerte de Wilde.

Ma lecture suivante avait également trait à la recherche de la jeunesse éternelle, du moins indirectement. En effet, dans Ma reine, Normand Corbeil présente une version soft de Lolita, dans laquelle un journaliste dans la quarantaine entretient une relation vaguement torturée avec une nymphette dans la vingtaine. Un ton entendu, une écriture pas vraiment renversante, mais une façon tout de même assez habile de traiter ce sujet un tantinet éculé. J'avais rencontré l'auteur lors d'un lancement et étais curieuse de le connaître autrement. Je reste mitigée face à cette première expérience mais une amie, qui a lu plusieurs titres de l'auteur, m'a mentionné que son premier roman, Un congé forcé, est bien plus fort (ainsi que le texte sur lequel il travaille actuellement). Je retenterai donc vraisemblablement le coup.

Peut-être par volonté de m'extraire un peu de la masse sonore ambiante, j'ai ensuite relu L'invention de la solitude, un premier texte particulièrement achevé de Paul Auster, dans lequel il revient à la fois sur le lien qu'il entretenait avec son père mais aussi la nécessité de transcender cet abandon et d'apprivoiser sa nouvelle paternité par l'écriture. Des pages inspirées et inspirantes. « Au début, j'ai imaginé que cela viendrait spontanément, dans un épanchement proche de l'état de transe. Mon besoin d'écrire était si grand que je voyais l'histoire se rédiger d'elle-même. Mais jusqu'ici les mots arrivent très lentement. Même les meilleurs jours je n'ai pas réussi à faire plus d'une ou deux pages. Comme si j'étais en butte à une malédiction, à une défaillance de l'esprit, qui m'empêchent de me concentrer. Cent fois j'ai vu mes pensées s'égarer loin de leur objet. Je n'ai pas sitôt formulé une idée que celle-ci en évoque une autre, et puis une autre, jusqu'à une telle densité d'accumulation de détails que j'ai l'impression de suffoquer. Je n'avais encore jamais eu autant conscience du fossé qui sépare la pensée de l'écriture. » (p. 52-53)

Aussi inspirant peut-être, mais dans un autre registre, La fabrication de l'aube de Jean-François Beauchemin, dont tout le monde me disait le plus grand bien depuis sa sortie il y a quelques années (roman en lice lors du dernier Combat des livres de Radio-Canada, défendu avec verve par Emmanuel Bilodeau). J'avais beaucoup aimé Garage Molinari, un peu moins Ceci est mon corps, mais Beauchemin possède une indéniable maîtrise de l'image poétique. Dans ce récit, il revient sur sa visite dans l'antichambre de la mort mais surtout sur la façon dont il a dû réapprivoiser sa vie, incapable de retrouver celui d'« avant », celui qu'il croyait connaître. Pour se reconstruire, il a eu besoin de retrouver le geste de l'écriture et exprime admirablement certains des questionnements qui ont mené à la complétion de ce texte volontairement en marge, truffé de références à ses textes, à ses souvenirs d'enfance et porté par l'amour qu'il porte à sa compagne. Plusieurs petits papiers déchirés (j'avais oublié mes post-it à Montréal et me suis donc rabattue sur un menu d'un restaurant local) émaillent les pages du livre, que je recopierai dès que possible dans mon carnet de citations. Comme je ne suis pas chiche, j'en partage une ici avec vous. « Certains de ceux qui s'intéressent au métier d'écrivain me demandent à l'occasion si j'éprouve quelque détresse devant le vide d'une page blanche. Je ne connais pas ce sentiment, puisqu'à ma table de travail je ne suis jamais devant le vide, mais plutôt face à un roc nu, duquel je dois extraire une forme. Le vrai défi est d'insufffler la vie à cette sculpture de mots, c'est-à-dire de lui léguer une vérité telle que le coeur, l'esprit et le corps reconnaissent en elle le mouvement même de leur propre vertige. Ce que je ressens sur le seuil d'une nouvelle phrase tient donc davantage du tournis, de ce trouble un peu houleux annonçant une ébriété éphémère et toujours imparfaite. C'est en ce sens que l'écriture est un acte de jeunesse. Peu importe leur âge, les gens jeunes font cela aussi: insatisfaits, puis grisés par une s`ve superbe, ils creusent une pierre. Ils y trouvent parfois ce qu'ils réclamaient: un ciel jusque-là emmuré, à la fin délivré de ses chaînes. » (p. 60)

lundi 13 juillet 2009

Montréal variations

J'aurai vécu la 3oe édition du Festival de jazz de Montréal en périphérie, c'est le moins qu'on puisse dire... En effet, j'aurai assisté à deux concerts: le premier donné le premier soir (Angèle Dubeau & La Pietà dans leur portrait de Philip Glass) et le second étant le concert de clôture du Festival. J'étais vaguement déchirée par tous ces concerts auxquels je ne pouvais pas assister mais l'appel de la mer étant très fort, j'ai cédé. (Cela valait la peine puisqu'il n'a plu que trois heures pendant mes dix jours de vacances, et de nuit en plus!)

Néanmoins, j'étais heureuse d'être de retour pour le concert Montréal Variations, tiré de l'album-concept Analekta lancé l'année dernière, certainement l'une des compilations les plus satisfaisantes qu'il m'ait été donné d'écouter récemment. La prémisse est simple en apparence: confier à neuf pianistes la mission d'évoquer un quartier ou un lieu montréalais. Pour unir les différentes déclinaisons, de courtes plages de transition, qui reprennent les trois notes du métro qui démarre et qui donne l'impression d'être porté d'un lieu à l'autre.

En version « live », cela s'articulait tout aussi agréablement, alors que les neuf pianistes ont présenté leur variation sur le thème imposé puis enchaîné avec « leur » coup de coeur (alors que de magnifiques photos de Luc Robitaille des artistes étaient projetées). Lorraine Desmarais a ouvert la soirée avec une touchante Mont-Royal Romance, toute en subtilité. François Bourassa a ensuite enchaîné avec son évocation aux couleurs impressionnistes de l'Oratoire. J'attendais avec impatience certaines lectures, dont celles de James Gelfand (sublime Saint-Laurent, soutenu par une vidéo en noir et blanc des rapides de Lachine) ou encore celle d'Alain Lefèvre (dans une version filmée de sa contagieuse Ville Émard la belle). J'ai encore une fois souri à l'écoute de La Main de Guy Dubuc qui a su capter son effervescence, ai été séduite par l'expérience indéniable d'Oliver Jones, un de nos très grands (St-Henri). Le Macchiato sur Saint-Viateur de Luc Beaugrand a quant à lui été pris uptempo, transformant la pièce de façon convaincante.

En bonus, les huit pianistes présents ont offert leur lecture de Je reviendrai à Montréal de Charlebois, tantôt seuls, tantôt en duo, ce qui a donné lieu à des échanges hauts en couleurs et quelques prouesses pyrotechniques et citations absolument savoureuses. Une soirée qui confirme éloquemment l'excellence de nos pianistes jazz montréalais.

Pour l'écouter le disque en streaming, c'est par ici...

Je vous reviens bientôt sur mes lectures de vacances...