mercredi 31 août 2011

Sur le versant mâle

J'ai découvert ce documentaire parce que la trame sonore en est signée Gabriel Dharmoo, jeune compositeur que j'ai eu le plaisir d'interviewer il y a quelques semaines, lauréat du Prix d'Europe de composition Fernand-Lindsay.

Pourtant, je n'ai pu faire autrement que d'être happée par l'histoire de Calvin Neufeld, née Caitlin, qui, par intégrité, a choisi de changer de sexe. Il y est question d'acceptation bien sûr (aussi bien pour Calvin que pour les parents et la femme de Calvin, Sharon), d'amour, de soutien. Inspirant...

lundi 29 août 2011

Torturez l'artiste!

Un artiste peut-il créer si ce n'est dans la solitude, la douleur, la pauvreté, le désespoir? C'est ce que croit du moins l'influent Lipowitz qui fonde une société vaguement occulte, qui vise à encadrer, dès la première enfance, ceux qui pourraient régénérer l'art et l'industrie du divertissement américains. Il s'explique en ces termes dans une lettre à Harlan Eiffler, critique musical acerbe qui a perdu sa tribune et narrateur du récit, quand il cherche à le convaincre de l'utilité de sa mission:

« Irai-je jusqu'à dire que le divertissement a tué l'art? Les responsables du divertissement sont bien souvent plus des sexe-symboles que de véritables artistes. C'est là notre problème fondamental. Au lieu de l'art, nous avons le divertissement, et au lieu d'artistes, nous avons de jolies gueules qui cherchent la gloire, la fortune, et le plaisir. La souffrance est maintenue au minimum pendant que les profits sont maintenus au maximum. 
Désormais, je veux faire revenir l'art à tout prix, ou du moins renforcer le côté artistique du divertissement. Cela veut dire solliciter l'esprit artistique qui semble si absent des âmes contemporaines. Cela signifie trouver un véritable artiste et le conserver tel quel. »

Perplexe mais séduit, Harlan devient ainsi le manager de Vincent, de père inconnu et de mère nymphomane et droguée. Il opérera dans l'ombre pour apprendre au jeune auteur qu'une vie heureuse ne peut en aucun cas être synonyme de geste créateur. Il ne recule derrière rien pour stimuler l'écriture de chansons ou de scénarios de séries télé prisées: disparition de la mère, destruction de la résidence familiale, petites amies payées pour disparaître...

Joey Goebel en profite évidemment pour faire un procès décapant des univers de la pop, du cinéma, de la télé, n'hésitant pas à égratigner quelques célébrités d'aujourd'hui. Si le récit aurait peut-être eu avantage à être resserré à certains moments, on suit l'auteur avec un sourire vaguement crispé, conscient que, sous l'emphase littéraire essentielle ici (par exemple, cette relecture trash du Magicien d'Oz qui fait un tabac et donne froid dans le dos), le propos est loin d'être si abasourdissant qu'il ne pourrait à prime abord le paraître.

samedi 27 août 2011

La fille de l'imprimeur est triste

Nicolas Gilbert est l'un de ces êtres polyvalents qui refuse les étiquettes et multiplie les casquettes. Jeune compositeur, son catalogue comprend déjà une quarantaine d’œuvres de musique de chambre, de musique vocale et de musique orchestrale. Il est présentement  compositeur en résidence de l’Orchestre national des Jeunes du Canada, membre du comité artistique de la SMCQ, président du Conseil régional – Québec du Centre de Musique Canadienne, excellent vulgarisateur qui n'hésite pas à prendre le public par la main lors de créations d’œuvres sans jamais lui donner l'impression qu'il est ignare... ah, et, oui, il écrit et signe un troisième roman, paru il y a quelques semaines à peine.

J'avais trouvé son Récital délicieusement décapant (et avais souri à de nombreuses reprises en reconnaissant les traits de l'un ou l'autre des intervenants du parfois très pointu milieu de la musique contemporaine montréalais), avais été diverti par Le joueur de triangle, qui démystifiait un peu la vie de musicien d'orchestre, mais Nicolas Gilbert pourrait-il écrire sur autre chose que la musique? Il a relevé le défi avec brio avec La fille de l'imprimeur est triste.

En compositeur conscient de la nécessité d'intégrer à une œuvre une forme cohérente, Nicolas Gilbert nous propose un exercice de style séduisant. Alternant au fil des chapitres l'histoire de deux protagonistes, tous deux nommés François Meunier mais que 150 ans et des milliers de kilomètres séparent, nous suivons tantôt l'un, photographe (il est d'abord spécialiste des daguerréotypes), en France puis à la Nouvelle-Orléans, tantôt l'autre, traducteur sans envergure, nègre d'une (auto)biographie d'artiste qui lui offre une rente confortable, qui n'a toutefois pas encore complètement abandonné l'idée qu'un jour il pourrait écrire, pour vrai.

Le second croise un autoportrait du premier au musée, est troublé par les ressemblances. Serions-nous en train de basculer dans le roman fantastique? Là réside peut-être la plus grande force du récit. On commence par s'interroger, cherche des indices, se rebiffe un peu, tente de relever des incohérences, puis on rend tout simplement les armes, tout en admettant les parallèles entre les deux histoires - les réponses musicales plutôt, un motif devenant contresujet d'un autre -, le collègue d'un François Meunier devenant le vieil ami de l'autre, les actions se télescopant d'un récit à l'autre, la figure de Marie, la femme aimée, hantant constamment les deux univers.

Moi que les romans historiques laissent habituellement passablement indifférente, j'ai plongé avec plaisir dans cette Amérique qui se déchirera bientôt, Guerre de Sécession oblige. J'ai aimé que, cherchant à réorienter sa carrière, François Meunier devienne photographe de guerre, qu'il choisisse de s'inscrire comme témoin. J'avais la curieuse impression non pas de regarder la scène d'un air détaché, mais de l'entendre: les chants qui galvanisent les troupes, les rires des soldats qui veulent oublier qu'ils mourront peut-être demain, le grondement des canons, les claquements des fusils, le cliché qui s'inscrit sur la plaque...

Avec ce troisième opus littéraire, Nicolas Gilbert prouve encore une fois qu'il sait transmettre, que ce soit en musique ou en mots. Je continuerai de suivre l'auteur et le compositeur avec intérêt.

jeudi 25 août 2011

Femme de la Renaissance

Le tag courait depuis quelque temps, mais m'avait jusqu'ici épargnée. Puisque Lali insiste, je me prête au jeu, non sans difficulté. En effet, je réalise que si je peux aisément me projeter en femme célèbre du Moyen-Âge (Hildegarde von Bingen) ou encore du 19e ou 20e siècle, quand vient le temps de choisir une inspiration ayant vécu au temps de la Renaissance, je peine à assurer. En fait, la seule à laquelle j'aimerais m'identifier, que j'ai découvert relativement récemment, alors que j'ai dû écrire des notes pour un disque l'année dernière, est en fait à cheval entre la Renaissance et l'époque baroque. (Enfin, tout dépend de la date du début du baroque adoptée, qui diffère selon les divers experts.)

J'ai nommé ici Francesca Caccini (1587-1640). Souvent surnommée La Cecchina (l'oiseau chanteur),  elle a été également luthiste, guitariste, claveciniste et, dès 1614, elle devient la musicienne de cour la mieux payée. Au fil des ans, elle produira une impressionnante quantité de compositions, dont au moins 16 œuvres pour la scène, dont il ne reste malheureusement aujourd’hui (presque) plus rien. Versée également en poésie, elle écrit elle-même les poèmes qu'elle mettra en musique.

Vous pouvez en apprendre plus ici en lisant les dites notes que j'ai rédigées, mais surtout en écoutant l'une ou l'autre des plages proposées. Lasciatemi (Laissez-moi seule) est particulièrement troublante.

Je transmets le tag à qui voudra bien s'en emparer...

mardi 23 août 2011

De jeunes pianistes remarquables

J'aime ces journées qui vous offrent des révélations musicales. Hier, grâce à la suggestion d'un blogami, j'ai découvert le pianiste islandais Olafur Arnalds, très proche je trouve dans son esthétique du travail de Max Richter. J'ai tellement aimé ce que j'ai entendu que j'ai dû me procurer sur le champ (ou presque) deux de ses albums sur iTunes. Je partage ici le très beau vidéo de 3055.




Aujour'hui, j'ai abordé un registre tout à fait différent, grâce à un ami, celui de la poésie pure et de la technique transcendée, avec le jeune pianiste britannique de 19 ans Benjamin Grosvenor. Son jeu d'une remarquable maturité donne l'impression d'avoir affaire à un artiste du siècle dernier.

Je l'ai découvert dans ce délicat Nocturne de Chopin.



Je suis ensuite passée à son interprétation du Deuxième Concerto de Liszt aux Proms en juillet. En rappel, il réussit à transformer l'arrangement assez flamboyant (pour ne pas dire autre chose) de la célébrissime Danse hongroise de Brahms de Cziffra en petit bijou.

Curieuse, j'ai décidé de remonter dans le temps, en 2004 plus précisément, alors qu'il remportait le BBC Young Musician Competition... à l'âge de 11 ans. Je crois que rarement Vine a été aussi bien servi qu'ici.



Une carrière à suivre, assurément.

lundi 22 août 2011

Montréal en août

Les 4 coins ont changé un peu de formule et nous nous collerons maintenant à un thème précis, proposé en alternance par l'une d'entre nous, une fois par mois plutôt que toutes les semaines. Cette fois, il s'agissait de transmettre une photo représentant notre ville en août. Celle d'une terrasse tranquille, sise à l'ombre de la Grande bibliothèque, a été retenue, mais j'aurais aussi pu envoyer celles-ci, prises le même après-midi, le week-end dernier.






samedi 20 août 2011

Merci pour vos mots, M. Courtemanche

Je ne le connaissais pas du tout comme homme, mais respectais infiniment Gil Courtemanche comme journaliste et appréciais l'auteur, découvert avec son premier roman, Un dimanche à la piscine à Kigali. En apprenant la nouvelle de sa mort en lisant mon quotidien, j'ai été bousculée pourtant, comme si je venais de perdre non pas un ami ou un proche, mais une conscience.

Et puis, j'ai ouvert mon dossier « citations » et j'ai cherché quelques phrases de son Je ne veux pas mourir seul. Il aurait sans doute souhaité ici qu'on se taise et que ses mots parlent, une fois de plus, pour lui.

« On meurt tellement souvent durant le cours de la vie. Ce sont de petites morts que le vin, la musique ou le cul transforment en vies passagères, supportables. Peines d’amour, faillites d’ambitions, congédiements, déficits. Cela tue autant à trente qu’à quarante ans, quand on apprend la vie et l’amour sans savoir qu’on fréquente encore l’école. » (p.58)

« Quand on n’aime plus, les musiques perdent leur mystères et redeviennent musiques, seulement chansons ou symphonies, jamais émotions et rêves partagés. » (p. 60)

« La vie, l’écriture. Combien de fois m’a-t-on demandé pourquoi j’écrivais et combien de fois ma réponse franche a déçu. J’écrivais parce que c’était mon travail, comme d’autres réparent des robinets ou font sauter des cèpes. J’écrivais pour gagner ma vie et aussi, concession intellectuelle, parce que je croyais que j’avais certaines choses à exprimer. Mais cela, je tentais de le dire humblement et de ne pas y accorder une grande importance.
Maintenant, je sais. J’écris pour vivre encore. Quand j’écris, je vis un peu, je te parle, je discute avec toi, je te fais part de mes découvertes, de mes doutes, de mes regrets, de mes angoisses. Quand j’écris, j’entends ton souffle et aussi tes questions ou tes commentaires. Quand j’écris nous sommes ensemble car nous avons été réunis par des mots et des phrases qui formaient un livre dont nous avons parlé, une longue conversation qui s’est transformée en baiser. De baiser en étreinte en amour et en mariage. Puis les baisers que je gardais dans une escarcelle secrète comme un vieil avare de tendresse t’ont éloignée. Je ne peux plus te toucher qu’avec mes mots que tu liras certainement sans crainte d’être trop émue puisque je suis inscrit dans ta colonne des profits et pertes. » (p.111-112)

Vergers

Mon cœur s'est arrêté de battre une seconde hier quand, lors d'une promenade matinale, j'ai aperçu mes premières feuilles rougies. Quoi, déjà? Impossible! L'été vient de commencer, non? Ah non, bien sûr, j'ai tout faux. Après tout, certains reprennent ces jours-ci le chemin de l'école et plusieurs autres tentent de remettre la main sur crayons et cahiers égarés. Je viens moi-même de faire le ménage de ma table de travail, en me disant que, tout bientôt, les petits vont envahir de nouveau ma salle de musique...

Pour se consoler peut-être, un poème de Rilke.

jeudi 18 août 2011

Remettre en perspective

« Mais l’adolescent devient adulte. Les doigts des interprètes lui montrent la lune romantique, et de plus en plus souvent, il regarde les doigts. Il acquiert, avec la science de l’interprétation, le vice de la critique : ne plus lire le message, détailler le messager. Sans doute, l’adolescente se trompe : ce Chopin qui le saisissait d’angoisse joyeuse, ce n’était pas Chopin seulement, c’était aussi Arthur Rubinstein ou Dinu Lipatti. Mais nous nous trompons aussi, nous autres vieilles punaises de concerts, vieux rats de festivals : si prodigieux, si scandaleux que cela nous paraisse, l’œuvre préexiste à l’interprète; elle est pour lui, à tous les sens du terme, un moyen d’existence. » 

Etienne Barilier, Piano chinois

mercredi 17 août 2011

Être

La majorité de nos existences est constituée d'une suite de petits gestes qui se répètent, se déclinent, ponctués ici et là de moments forts, douloureux ou éblouissants, qui deviennent des jalons ou des cicatrices, que l'on contemple avec fierté ou que l'on caresse avec un léger pincement, des années après la blessure. Si l'on s'arrête à l'histoire d'une vie, on n'en retiendrait souvent pas grand chose, et pourtant...

Éric Simard a justement fait le pari dans son recueil de nouvelles Être de cibler certains de ces instants, ceux qu'on cache aux autres le plus souvent, mais qui finissent par nous définir. Vivre raconte la douleur d'un enfant mal-aimé, Apprendre celle d'une fillette qui veut découvrir le monde mais dont les parents - comme tant d'autres - lui imposent des limites qu'elle ne comprend pas, Communiquer pousse l'incompréhension jusqu'à son paroxysme. Souffrir bouleverse car l'auteur y questionne les flous qui entouraient les adoptions, qui enveloppent toujours la désinstitutionnalisation.  L'adoption est au cœur également de Mentir. J'y ai reconnu un récit que l'on m'avait il y a quelques années confié, en réalisant que, dans le Québec de la Grande noirceur - et même quelques années encore après -, trop d'histoires semblables avaient été vécues. Aimer et Penser se veulent deux faces d'une histoire qui pourrait être partagée. Comment peut-on accepter de rester quand tout nous pousse ailleurs? Comment peut-on vivre avec le départ d'un être que l'on croyait connaître. Rêver frappe fort et hante l'esprit, de longues heures après l'avoir lue, à laquelle répondra, comme un écho, Vieillir.

De la naissance à la mort (Mourir se veut un touchant hommage à Pauline Julien), les personnages de ce recueil unique en son genre se battent, continuent de vouloir s'affirmer, de (se) prouver que la vie vaut la peine d'être vécue. En refermant le livre, on ne regarde plus ceux qu'on côtoie de loin tout à fait de la même manière. Et si c'était lui? Et si c'était moi?

lundi 15 août 2011

Versicolor

Certains personnages de roman sont dessinés à traits si précis, semblent si denses, qu’on ne serait presque pas surpris de les voir surgir en chair et en os. Puisant sans nul doute dans son quotidien de médecin qui pratique aussi bien dans le Grand nord québécois que pour Médecins sans frontières, Marc Forget nous propose un alter ego qui démontre à la fois forces et faiblesses. On le retrouve David Dupuis en Abitibi, incapable d’oublier celle qui partageait sa vie.
« Je revois la baie rebondie des fesses, les longues plages du dos, ses épaules. Je revois le mouvement aqueux de ses chairs. Marianna. » 
Il fuit ensuite au Soudan  et plonge dans la réalité parfois impitoyable de l’aide humanitaire. Tant de vies à sauver, si peu de moyens, le sentiment d’impuissance s’installe sans qu’on ne puisse le contrer.
« Je baigne dans un monde hallucinant de différences, et pourtant il me faut communiquer, interagir, faire mon travail. Ça m’oblige à cet effort supplémentaire vers l’autre qu’on élude parfois en voyage. Mon tourisme se fait à l’intérieur des gens. Au propre et au figuré. »  
Ce segment opte pour un ton volontiers plus documentaire et ces chapitres qui ne jouent jamais la carte de la grandiloquence ou du sensationnalisme restent parmi les plus réussis de ce premier roman. Mais au milieu de la détresse, il y aussi la camaraderie, les amis qui nous suivent de loin et les prémices d’un nouvel amour.
Frappé par la maladie, David ne peut terminer son mandat. Après de longs mois passés dans le coma, il réapprend à vivre, en noir et en gris.
« Mon rapport aux couleurs, aboli, m’oblige à donner aux sons et aux formes une surcharge de sens. Les jeux d’ombres chinoises que font les feuilles sur le sol, les rangées d’arbres, le chant des oiseaux : je cherche dans leur évocation une nouvelle manière de beauté. » 
Il se laisse aussi emporter par un amour qui balaie tout sur son passage, exigeant et généreux. Parallèlement, il retrouve son ami Loïc, cinéaste, qui décide de lui confier un rôle technique dans sa prochaine production, tournée en Argentine, apprivoise l’idée de la paternité.

Marc Forget a-t-il vu trop grand ici en multipliant les lieux et les plans narratifs? Peut-être un peu. Entre les images du Soudan, la morsure de la peine d’amour, l’ode à l’amitié, les pages sensuelles, le lecteur a parfois l’impression de danser une valse-hésitation. C’est compter sans le style de l’auteur, riche, précis, jamais mièvre, auquel on est prêt à pardonner beaucoup de choses. Saura-t-il convaincre avec son deuxième opus? On le souhaite vivement.

Vous pouvez lire les commentaires des autres collaborateurs de La Recrue ici...

samedi 13 août 2011

Années de pélerinage

2011 est l'année du bicentenaire de naissance de Liszt et plusieurs festivals ont bien évidemment choisi d'intégrer le compositeur à leur programme. Nicholas Angelich a présenté dimanche dernier au Festival de la Roque d'Anthéron l'intégrale des Années de pèlerinage, sans nul doute mon œuvre préférée du compositeur, dense, multiple, poétique, jamais gratuite dans sa flamboyance. Arte Live Web a eu l'excellente idée de capter l'événement...

jeudi 11 août 2011

Piano chinois

Soir d'été au Festival de la Roque d'Anthéron, lieu mythique pour tout pianophile qui se respecte. La pianiste Mei Jin joue Scarlatti, Brahms, Chopin et Stravinski. Dans la salle: deux critiques, l'un en fin de carrière, l'autre ancien dauphin du premier, apprendra-t-on en cours de roman. Dès le lendemain matin, les deux recensent le concert entendu sur leur blogue respectif. L'aîné, Frédéric Ballade, entièrement séduit par ce qu'il a entendu (sinon troublé), porte la jeune pianiste aux nues.
« Au vrai, ce qui soudain nous atteint et nous déchire, ce ne sont pas les notes de Scarlatti: c'est leur présence parmi nous. C'est ce miracle d'une musique à l'état natif, telle qu'on peut parfois la pressentir en lisant les notes de la partition, dans le silence toujours menacé de notre monde intérieur, ou de ce qu'il en reste. Et la beauté, ce qu'on appelle la beauté, c'est sans doute cela: la présence pleine et entière de ce qui fut, de ce qui est mort, de ce qu'on n'atteindra jamais; la prolifération cristalline d'une parole engloutie, le dessin pur et net, immobile, immortel, de ce qui pourtant s,efface et meurt et fuit, comme un visage dessiné dans l'eau, subsistant à jamais. » (p. 8-9)
Le second, Leo Podolswky, vilipende, avec un malin plaisir. Après avoir comparé la pianiste à un produit  high tech haut de gamme, il précise:
« La comparaison pourrait être poussée encore plus loin si nous étions désobligeant: de même que les ordinateurs, chaque année, ont davantage de mémoire et de puissance, les pianistes classiques, à chaque génération (c'est-à-dire, là aussi, chaque année) ingurgitent des programmes plus énormes et les jouent avec des moyens plus tonitruants. Il est assez compréhensible qu'une grande maison de disques, en perdition comme les petites, ait tout misé sur ce nouveau phénomène qui, contrairement à ses prédécesseurs chinois, possède le charme incontestable de l'oxymore: ce corps plutôt menu, à la gestique plutôt discrète, déchaîne les mêmes ouragans sonores que les batteurs d'estrade, les broyeurs d'ivoire et autres éléphants d'Asie qui l'ont précédée dans la gloire médiatique. » (p. 10-11)
Pendant quelques jours, les deux critiques s'opposent par blogues interposés, dans une audacieuse relecture du roman épistolaire signé Étienne Barilier. Au fil des attaques, le lecteur réalise qu'il y a anguille sous roche, que ce ne sont pas seulement deux critiques qui défendent leur point de vue (ce qui donne néanmoins plusieurs pages magnifiques sur l'expérience de concert, le rôle du critique et la vitalité toute relative de la musique classique à notre époque), mais deux hommes qui ont été liés, qui souhaiteraient peut-être renouer en partie ce lien qu'ils ont laissé se distendre au fil des ans. Délaissant le blogue, les deux laissent peu à peu tomber les masques, par courriels interposés. Les pseudonymes disparaissent, le ton change, le lecteur est conduit ailleurs, dans ce qui se révèle une véritable réussite du genre. Bis!

Acheté à Paris (mais maintenant disponible au Québec), pour être lu dans le cadre du challenge Des notes et des mots.

Si vous voulez vivre en différé quelques grands moments de la présente édition de La Roque d'Antéron, Arte Live Web propose ici quelque captations, dont celle de Tigran Hamasyan ou d'Aldo Ciccolini (qui joue le Troisième de Beethoven et le Concerto de Schumann).

dimanche 7 août 2011

Le rossignol et autres fables : la magie à hauteur d’homme

L’opéra, genre souvent devenu lourd – ou prisonnier des multiples couches de conventions séculaires –, peine parfois à se redéfinir. Rarement rencontre-t-on, un même soir, un plateau éblouissant et une mise en scène qui mène l’imaginaire ailleurs, prolonge le propos musical, séduit sans réserve, sans que le spectateur ait l’impression d’être témoin d’un ego trip. Quand on fréquente la scène opératique nationale plus ou moins assidument, au fond, très peu de moments puissants se détachent de la masse. En première position, j’avais retenu jusqu’ici la puissance du diptyque Le Château de Barbe-bleue de Bartók et Erwartung de Schoenberg (appréciée dans sa mouture 2004 présentée à l’Opéra de Montréal). J’y ajouterai maintenant Le rossignol et autres fables, production présentée dans le cadre de la première édition du Festival Opéra de Québec, collage musical sur des pages de Stravinski, conçu et transmis de main de maître par ce  même Robert Lepage qui, ici, n’a aucunement cédé aux sirènes d’une machinerie de scène pyrotechnique, mais a opté pour un dialogue direct avec le spectateur.

On peut bien sûr relever l’audace d’avoir installé sur le devant de la scène du Grand Théâtre de Québec ce vaste bassin, dans lequel évolueront  chanteurs et marionnettes de Michael Curry dans Le Rossignol. On retiendra plutôt que ce choix artistique facilite une admirable transposition d’échelle, la scène se trouvant d’un seul coup dépourvue de son immensité pour devenir lieu intime, magique, qui permet ainsi le décuplement d’émotion. Malgré une salle comble, ainsi qu’un OSQ et un chœur imposant massés à l’arrière-scène, jamais je n’ai cru n’être qu’une parmi 2000. Au contraire,  j’avais l’impression que Stravinski s’adressait à moi directement, comme si, abritée dans une grotte naturelle, je me laissais raconter des histoires, tantôt ludiques, tantôt fabuleuses.

vendredi 5 août 2011

Lennon

Je me souviens précisément de l'endroit où je me trouvais quand j'ai appris la mort de John Lennon. Mes parents exigeaient que je promène le chien et leur rapporte le journal chaque matin avant de partir pour l'école. C'est donc le regard vide, dans l'incompréhension la plus totale, que j'ai lu le titre en première page du quotidien local. J'ai dû rentrer, le pas passablement moins élastique, le nez plongé dans l'article (que je collerais même sur un carton, c'est dire). Pour la première fois de ma vie peut-être, j'ai réalisé que les gens pouvaient être foncièrement mauvais - ou désespérés - et poser des gestes indéchiffrables. Et puis, bien sûr, ce jour-là, il a bien fallu faire le deuil des Beatles, premier émoi en musique populaire pour moi qui avais grandi avec de la musique classique dans mon biberon.

Ce préambule explique sans doute pourquoi j'ai décidé de lire le Lennon de David Foenkinos, même si je me tiens plutôt loin des biographies de façon générale (sauf celles que je consulte pour écrire des notes de programme). Et puis, il y avait aussi quand même David Foenkinos, un des auteurs chouchous de Caro (merci de me l'avoir envoyé!), que je retrouve avec plaisir sur une base annuelle. Il y a quelque chose dans son écriture qui me plait bien, quand je la fréquente de façon épisodique.

Ce livre s'inscrit dans la nouvelle collection de Plon qui propose des biographies romancées dans lesquelles les « sujets » s'étendent sur un divan (fictif) et se racontent. Foenkinos entre ici de façon assez habile dans la psyché de John Lennon, intégrant à nombre d'éléments véridiques (et vérifiables) des états d'âme plus que cohérents. On découvre Lennon le père, l'amoureux, l'artiste, mais aussi l'enfant blessé, l'adulte mal dans sa peau, le géant plus ou moins conscient de sa grandeur selon les jours. On y croise bien évidemment les trois autres Beatles et tous ceux qui ont gravité autour de ce quatuor de choc, qui devait redéfinir la musique pop. J'en suis sortie avec une meilleure compréhension de l'homme et la conscience aiguë qu'il ferait toujours partie de moi. Je pourrais d'ailleurs reprendre les derniers mots de la postface à mon compte:

« Il m'arrive de ne pas savoir ce que je pense de John Lennon. Je sais simplement qu'il me touche, sa musique m'accompagne tout le temps, et que je l'admire d'une manière infinie. Je sais qu'il est dans ma vie. »

mercredi 3 août 2011

Les boules roses

Parce que le plaisir est fait pour être partagé, je pique cette vidéo découverte sur le blogue de mon ami No...
Un regard tendre, respectueux, inclusif, sur le Village et la vie qui y bat, inspiré de l’œuvre concept de Claude Cormier. Une très belle mise en images et en contexte de Lezz, portée par la musique de Groenland.


Les Boules Roses from UbiqueMedia on Vimeo.

mardi 2 août 2011

Rejoindre l'autre par la musique

J'aime quand, au hasard d'un commentaire, d'un lien, d'une question d'une collègue, je tombe sur quelqu'un qui pratique la musique comme art de rejoindre l'autre, sans aucune barrière, sans aucune retenue même. Marc Vella fait l'éloge de la fausse note, expliquant que chaque pas entrepris, accepté, amène ailleurs, permet de grandir.
« Ça va toucher le cœur, ça va toucher la conscience et surtout, avec la musique, on peut s'élever, on peut vraiment élever l'autre à plus de conscience; ça, c'est quelque chose d'essentiel. »

Jean-Yves Bilien a tourné un documentaire sur ce musicien fascinant, qui a tourné le dos au circuit des concours de composition, des salles de concert traditionnelles, pour sillonner le monde, piano au dos ou presque (l'instrument voyage dans une caravane), histoire de changer des vies, une phrase musicale à la fois. On peut en apprécier ici les premières minutes. Marc Vella n'hésite pas à affirmer plus tard dans le documentaire:
« Les armes de destruction massives ne sont pas en Irak, elles sont dans notre coeur, elles sont dans notre façon de regarder la personne. »



On peut louer ou acheter le documentaire en ligne ici...
Le livre L'éloge de la fausse note sera disponible la semaine prochaine.