Nicolas Gilbert est l'un de ces êtres polyvalents qui refuse les étiquettes et multiplie les casquettes. Jeune compositeur, son catalogue comprend déjà une quarantaine d’œuvres de musique de chambre, de musique vocale et de musique orchestrale. Il est présentement compositeur en résidence de l’Orchestre national des Jeunes du Canada, membre du comité artistique de la SMCQ, président du Conseil régional – Québec du Centre de Musique Canadienne, excellent vulgarisateur qui n'hésite pas à prendre le public par la main lors de créations d’œuvres sans jamais lui donner l'impression qu'il est ignare... ah, et, oui, il écrit et signe un troisième roman, paru il y a quelques semaines à peine.
J'avais trouvé son Récital délicieusement décapant (et avais souri à de nombreuses reprises en reconnaissant les traits de l'un ou l'autre des intervenants du parfois très pointu milieu de la musique contemporaine montréalais), avais été diverti par Le joueur de triangle, qui démystifiait un peu la vie de musicien d'orchestre, mais Nicolas Gilbert pourrait-il écrire sur autre chose que la musique? Il a relevé le défi avec brio avec La fille de l'imprimeur est triste.
En compositeur conscient de la nécessité d'intégrer à une œuvre une forme cohérente, Nicolas Gilbert nous propose un exercice de style séduisant. Alternant au fil des chapitres l'histoire de deux protagonistes, tous deux nommés François Meunier mais que 150 ans et des milliers de kilomètres séparent, nous suivons tantôt l'un, photographe (il est d'abord spécialiste des daguerréotypes), en France puis à la Nouvelle-Orléans, tantôt l'autre, traducteur sans envergure, nègre d'une (auto)biographie d'artiste qui lui offre une rente confortable, qui n'a toutefois pas encore complètement abandonné l'idée qu'un jour il pourrait écrire, pour vrai.
Le second croise un autoportrait du premier au musée, est troublé par les ressemblances. Serions-nous en train de basculer dans le roman fantastique? Là réside peut-être la plus grande force du récit. On commence par s'interroger, cherche des indices, se rebiffe un peu, tente de relever des incohérences, puis on rend tout simplement les armes, tout en admettant les parallèles entre les deux histoires - les réponses musicales plutôt, un motif devenant contresujet d'un autre -, le collègue d'un François Meunier devenant le vieil ami de l'autre, les actions se télescopant d'un récit à l'autre, la figure de Marie, la femme aimée, hantant constamment les deux univers.
Moi que les romans historiques laissent habituellement passablement indifférente, j'ai plongé avec plaisir dans cette Amérique qui se déchirera bientôt, Guerre de Sécession oblige. J'ai aimé que, cherchant à réorienter sa carrière, François Meunier devienne photographe de guerre, qu'il choisisse de s'inscrire comme témoin. J'avais la curieuse impression non pas de regarder la scène d'un air détaché, mais de l'entendre: les chants qui galvanisent les troupes, les rires des soldats qui veulent oublier qu'ils mourront peut-être demain, le grondement des canons, les claquements des fusils, le cliché qui s'inscrit sur la plaque...
Avec ce troisième opus littéraire, Nicolas Gilbert prouve encore une fois qu'il sait transmettre, que ce soit en musique ou en mots. Je continuerai de suivre l'auteur et le compositeur avec intérêt.
8 commentaires:
Voilà un auteur qu'il faudrait que je découvre !
Je ne sais pas si tu aimes les livres avec contresujet musical, alors je te recommande certainement les deux premiers. Le deuxième est plus accessible peut-être, mais celui-ci est une pure évasion, mais fort intelligemment menée, ce qui est devenu trop rare.
Bonjour Lucie,
Je viens de passer un long moment sur ton site où j'ai découvert une mélomane et une plume talentueuse, ce qui n'est pas souvent le cas, ni chez les blogueurs ni chez tous les journalistes. Je revois encore Miss Lau dite Yue Yin morte de rire en lisant une chronique ''artistique'' dans La Presse. La musique ne m'a jamais parlé en dépit de 10 ans de solfège, il y a bien longtemps, mais l'écriture si.
Alors, à bientôt,
Le Papou
Le Papou: il faudra peut-être alors que je vous amène au concert un de ces quatre, histoire de vous convaincre autrement des bienfaits de la musique. :)
Oui, le journalisme artistique québécois n'est pas toujours inspiré, il faut l'admettre, et c'est bien dommage.
À bientôt!
Oh, que tu me tentes, là. J'avais beaucoup aimé "Le récital" et je tenterais bien le coup à nouveau avec cet auteur. Faut juste le trouver, maintenant.
Il était en super évidence chez Pantoute quartier St-Roch à Québec, dès le lendemain de son lancement, à ma grande surprise (c'est comme ça que j'ai appris que l'auteur avait publié un nouveau titre!) Je suis certaine que sur un site en ligne quelconque, tu ne devrais pas avoir de souci...
Ça y est, je l'ai!
Et comme j'avais beaucoup aimé les deux autres romans de Nicolas Gilbert tout comme toi, et que tu dis du bien de celui-ci, je me réjouis d'avance!
J'ai hâte de lire ce que tu en as pensé.
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