vendredi 31 décembre 2010

Lectures 2010

L'archivage se fera dans les prochains billets (histoire de pouvoir repartir en neuf avec le début de l'année), mais déjà, que retiendrai-je des 88 lectures recensées de l'année (les livres lus « pour le plaisir »)?

Auteurs chouchous

Paul Auster a frappé fort avec son Invisible cette année encore, un texte dense, aux multiples lectures possibles, à la fois profondément original et typiquement austérien.

Littérature québécoise

Je ne veux pas mourir seul de Gil Courtemanche est un livre d'une rare puissance, qui continue d'habiter des jours sinon des semaines après avoir été refermé. Et puis, côté poésie, Un livre, une fois de Dominique Lauzon (et les deux autres recueils que j'ai avalés un matin chez une amie, alors qu'elle se préparait). Je m'en voudrais d'oublier Attachements de Louise Warren, une ode magnifique à la lecture.

Littérature française

Grand coup de cœur pour Neige de Maxence Fermine, un petit bijou, tout simplement parfait, et Le canapé rouge de Michèle Lesbre. Quelques jours à peine après en avoir terminé la lecture, je les avais déjà offerts en cadeau.


Littérature étrangère

Oui, je sais, il est encore (très) frais dans ma mémoire et c'est un peu tricher peut-être de l'inclure ici mais peu importe, je fais ce que je veux avec mes listes, non? Alors, j'inclus donc L'appel de la rivière de Ketil Bjornstad (qui m'a permis de découvrir par la bande son dernier album, Remembrance, dont j'avais raté la sortie, shame on me!)

Livre offert en cadeau le plus souvent

Cette année, je n'ai pas été très originale et ai offert à trois amis, dans trois langues différentes (anglais, français et allemand), le même titre, certes le livre qui m'a le plus habitée au cours des cinq dernières années: Le temps où nous chantions de Richard Powers. Comme un livre signature... Un de ceux-ci a fait la même chose et m'a offert Le loup des steppes d'Hermann Hesse, « son » livre signature. N'empêche qu'on aborde un livre différemment quand on connaît l'importance qu'il a pour un ami cher.

jeudi 30 décembre 2010

Coups de coeur 2010

Fin d'année, heure des bilans... Si on multipliait les catégories cette fois?


Concert classique

Je suis une surspécialiste tellement blasée que cette catégorie aurait bien pu être la plus difficile à remplir mais, en fait, cette année a été quand même intéressante, si je regarde les billets de concert gardés. (Le billet de concert lambda se ramasse automatiquement au recyclage dès le lendemain.) Alors, quand même, je retiendrai le Concerto pour orchestre de Bartok par le Philharmonique de Rotterdam, le récital de Marc-André Hamelin chez Pro Musica (en dépit d'un piano exécrable), le Deuxième Concerto de Brahms par Serhiy Salov... Je devrais aussi inclure les créations de deux opéras inspirés par le monde de la BD, Bungalopolis (chez Codes d'Accès) et Les Aventures de Madame Merveille (ECM+). À quand une reprise de l'un ou l'autre, d'ailleurs?

Si je devais n'en retenir qu'un seul, pourtant, ce serait - et haut la main - l'intégrale des suites pour violoncelle seul de Bach offerte par Jean-Guihen Queyras. Tout simplement magnifique!


Jazz et pop

Deux grands moments: le spectacle piano solo de Pierre Lapointe (et ce, même si la relecture contemporaine de ses titres avec le Quatuor Molinari était aussi fort sympa mais moins puissante selon moi) et la très grande leçon de musique (et non pas de savoir-vivre après le concert, mais, bon...) donnée par Keith Jarrett et ses acolytes lors de leur présence au Festival de jazz.



Danse

Sans hésitation, Red Bull Flying Bach, que je reverrais avec autant de plaisir demain ou l'année prochaine.

Théâtre

Pas de Bob qui vient bousiller toutes les cartes ou de Wadji Mouawad (dans quelques mois, par contre...)  Peut-être la scénographie absolument magnifique de Huis Clos au TNM ou, pour le propos et le jeu, Une musique inquiétante au Rideau-Vert. Sinon, bien sûr, la Trilogie de la villégiature, en italien, purement jouissive...

Expos

Les expos liées à la musique ont eu la cote. Dans des registres diamétralement opposés, We Want Miles au MBAM et l'expo Xenakis au CCA. Il y avait quelques jours d'émouvant à découvrir les partitions de ce géant de cette façon.  Je m'en voudrais de ne pas mentionner les deux expos du DHC ART, celle de la cinéaste, photographe et vidéaste finlandaise Eija-Liisa Ahtila et celle de l'artiste Jenny Holzer (certains de ces documents déclassifiés me font encore froid dans le dos quand j'y repense).

Disque chouchou

Impossible de n'en noter qu'un seul, bien sûr. Côté classique, la relecture particulièrement inventive du Sacre du printemps de Stravinski par Serhiy Salov. Sinon, la grande révélation de l'année pour moi: Brad Mehldau. Plusieurs de ses albums ont beaucoup roulé dans mon iTunes, dont Highway Rider, Love Songs (avec Anne-Sophie von Otter) ou l'un ou l'autre de ses prestations en concert.



Entrevue


En tant que journaliste, j'ai le privilège de rencontrer des gens exceptionnels - ou du moins de m'entretenir avec eux par téléphone ou via skype. Dans la première catégorie (téléphone), j'ai mis des semaines à me remettre de la tornade Gidon Kremer et ai dû en parler à tous ceux que j'ai rencontrés pendant cette période. Vingt minutes qui ont paru deux heures, tant son propos était dense. Après le concert donné avec la Kremerata Baltica, j'ai même fait la queue à l'arrière-scène pour faire signer ma copie du magazine, chose que je fais très rarement. Dans la seconde (skype), Jean-Guihen Queyras qui, d'une chambre d'hôtel d'Amsterdam, a fait preuve d'une générosité remarquable et a parlé de musique, d'amitié mais aussi n'a pas hésité à aborder le délicat sujet de la conciliation travail/famille. J'aurais eu de la matière pour un article de trois pages mais, malheureusement, le contrat n'était que d'une seule. Peu importe, la musique fera le reste.

Dans le prochain billet, les lectures...

mercredi 29 décembre 2010

Du plaisir de lire... dans son canapé

Je dors encore comme une marmotte mais n'ai plus besoin de siestes en journée, ce qui me laisse du temps pour faire du cinéma de rattrapage (selon les inspirations des postes de films) et, ciel, quel concept inusité, lire au salon. Je sais, c'est standard, non, d'avaler des dizaines de pages, pelotonné sur son canapé. Du moins, plusieurs en parlent comme d'un plaisir de la vie. Eh bien, ils ont raison! Ma vie professionnelle est si folle que je dois généralement me rabattre sur deux endroits pour pratiquer mon sport préféré: les transports en commun (attention de ne pas rater la station ou même la marche d'escalier quand le chapitre n'est pas terminé une fois arrivé!) et mon lit. Mais là, de pouvoir un livre presque en entier en un après-midi, dans un calme relatif, c'est rudement sympa!

Je reviendrai peut-être à ce titre quand les commentaires de lecture de La Recrue seront publiés et articulerai alors un « vrai » commentaire de lecture, mais déjà, à chaud, comme ça, L'homme blanc de Perrine Leblanc est un premier roman remarquable. On n'y dénote peut-être pas une maîtrise éblouissante des figures de style (mes petits post-it sont restés sagement en couverture) ou même une structure narrative inusitée. Pourtant, voilà un livre qui possède quelque chose de rare: il réussit à nous faire plonger dans un univers, une époque, des lieux qui n'ont rien à voir avec ceux fréquentés par les auteurs habituellement. Pas de portrait sociologique de l'époque actuelle, aucun détour par l'autofiction, un refus d'aligner des phrases vides de sens. Un récit de vie - certes marginal -, un personnage qui aurait pu être rébarbatif mais auquel on s'attache pourtant en quelques pages... et le plaisir de se faire raconter une histoire.

lundi 27 décembre 2010

L'appel de la rivière

De retour parmi les vivants... du moins, croisons les doigts. Pendant que vous vous massiez la panse d'avoir trop mangé, j'étais vraisemblablement en position horizontale, combattant fièvre, courbatures, congestion et toux. La machine humaine a ceci de merveilleux qu'elle peut fonctionner sur l'adrénaline jusqu'à la dernière parcelle d'énergie. Tombez en vacances et voilà, crash, tout s'effondre.

Lors des rares heures pendant lesquelles j'étais capable de me concentrer, j'ai plongé avec plaisir dans le deuxième volet de la trilogie de Ketil Bjornstad. Quelques pages ont suffi pour qu'Aksel Vinding redevienne un « ami », que me reviennent par pans son amour pour Anja, sa relation avec Rebecca, ses questionnements par rapport à son instrument.
« J'observe le piano à queue dans le salon en songeant tout à coup que l'instrument se dresse entre le monde et moi; que je me suis noyé en lui et ai à peine survécu à cette noyade, moi qui suis censé transmettre un message important sans pour autant que je sache tout à fait si le message de la musique est important. Je suis pour la énième fois saisi par une soudaine incertitude quant à la justesse de mon choix: je me demande à nouveau si je veux vraiment devenir musicien, si je peux avoir aux yeux des gens autant d'importance que Marianne en a eu pour ses patientes parce qu'elle est, elle, en permanence impliquée corps et âme dans ce qu'elle fait, parce qu'elle a un devoir social et une vision politique. » (p. 421)
 Je n'avais certes pas oublié l'impitoyable Selma Lynge, pédagogue à la main de fer - qui démontre ici enfin une troublante fragilité. La musique se glisse entre toutes les pages du livre, que ce soit les œuvres majeures du répertoire pianistique ou encore des hits de Joni Mitchell, contrepoint essentiel. Surtout, on se laisse happer par cette histoire d'amour qu'on devine dès le début condamnée, par cette plongée dans la folie humaine, par cette impossible acceptation du deuil quand il frappe ce qui nous est le plus cher.

Un reproche, un seul, peut-être. Une révision plus complète aurait été appréciée. Laxisme du traducteur, paresse du réviseur norvégien qui aurait laissé échapper des bourdes, peu importe. Si l'on peut survivre à une ou deux structures syntaxiques mal amarrées, difficile de ne pas broncher quand des noms d'écoles (Julliard plutôt que Juilliard), de pianistes (Badura Skoda) et d'œuvres (le Woltemperierte Klavier de Bach n'a certes pas besoin d'un s à la fin de l'adjectif!) sont massacrés ou que l'opus 110 de Beethoven devient tout à coup (une seule fois mais quand même!) l'opus 100 ou qu'on nous ressort deux ou trois fois l'Étude « de la Révolution » de Chopin. Que le traducteur ne soit pas pianiste, je l'admets volontiers. Que la maison d'édition n'ait pas jugé bon de faire vérifier les informations musicales par un « spécialiste » (à qui la révision des passages en question aurait pris tout au plus une heure de son temps) pour un roman essentiellement axé sur la musique, je trouve ça un peu dommage.

Ceci m'empêchera-t-il de demeurer fan de Ketil Bjornstad, auteur, compositeur et pianiste? Certainement pas. L'artiste me fascine.

jeudi 23 décembre 2010

Village global

J'aime que, grâce à la technologie, les frontières entre les gens et les continents disparaissent. Cette semaine, j'ai reçu un appel de l'Orchestre royal du Maroc qui souhaitait réutiliser un de mes articles, écrit en 1999. (C'est fou comme on change en 11 ans; j'ai donc procédé à quelques ajustements essentiels.) J'en ai profité pour échanger avec son directeur sur les difficultés de transmettre la musique classique dans un pays musulman, qui n'a pas toujours les références pour l'apprécier, notamment la critique, inexistante ou presque.

Et puis, ce midi, alors que j'espérais un cadeau d'anniversaire pris quelque part entre l'Allemagne et ici, je reçois un cadeau de Noël et une carte estampillée de Paris, totalement inattendus. J'admets que j'aurais de la difficulté à vivre sans le courriel, l'Internet, skype, MSN, les postiers, mais surtout sans le plaisir de pouvoir échanger librement.

Et si, au fond, Noël, ce n'était que ça: écouter l'autre, en sachant qu'il nous écoute aussi attentivement. Je reste persuadée que le monde s'en porterait certainement mieux!

Joyeuses fêtes à vous!

mardi 21 décembre 2010

Relire l'histoire sainte

Et si Marie accouchait demain matin du petit Jésus, comment l'histoire serait-elle racontée? Surtout, comment la technologie aurait-il pu lui sauver nombre de soucis? Une vidéo rigolote, juste assez décalée pour être partagée...

dimanche 19 décembre 2010

Semer

« Les maîtres d'école sont des jardiniers en intelligences humaines », écrivait Victor Hugo, citation qui est glissée entre les pages de mon livre ces jours-ci grâce aux bons soins de Gwenn qui m'en a fait un signet. Toutes les semaines, je jardine à côté du piano. Je bêche, sarcle, élague. Je présente, décortique, évoque des compositeurs morts il y a des lunes. Je transmets, inlassablement, sans jamais trop savoir ce qu'il en restera, dans deux mois, deux ans, dix ans. Peu importe, l'important est dans le partage et je sais pertinemment que je serais incapable de ne pas transmettre cet amour de la musique qui me dévore.

Il y a quelques années, j'ai enseigné à un enfant, plutôt réservé, délicat, charmant, rieur à ses heures. Il a fait ses premiers pas à l'instrument alors qu'il avait à peine cinq ans. Chaque année, il a travaillé de nouveaux compositeurs, découvert de nouveaux univers, repoussé de nouvelles frontières. Quand il m'a laissé, huit ans plus tard, pour découvrir la guitare, il était devenu un adolescent. Je savais confusément que, peu importe l'instrument, la musique aurait toujours une part importante dans sa vie. Qu'il choisisse une voie de traverse était secondaire.

Il y a quelques semaines, alors que je me rendais au concert, j'ai entendu sa voix résonner derrière moi. « Lucie, c'est toi? » J'avais pensé à lui très fort quelques jours auparavant, en avait même parlé à un ami. Quatre ans déjà, qu'était-il devenu? Nous allions tous deux au même endroit. Déjà, j'étais renversée. Et puis, il m'annonce, comme ça: « Tu sais, j'ai repris le piano cette année. » J'ai retenu juste un peu mon sourire. Il a poursuivi: « L'année prochaine, je change d'orientation. Je passerai les auditions en février pour entrer au Cégep en piano classique. »

Non, vraiment, on ne sait jamais ce que l'on sème. Surtout, on ne réalise pas toujours la joie que la récolte procure parfois.

jeudi 16 décembre 2010

La lecture en cadeau

C'est mon anniversaire aujourd'hui et j'espère pouvoir voler quelques minutes pour lire en cours de journée. Pas évident, entre textes à rédiger et leçons à donner mais, bon, n'est-ce pas, ce pourrait être sympa de prendre, disons, dix minutes - quinze tout au plus - et d'avoir l'impression de faire l'école buissonnière... et terminer Sept écrivains pour Mozart, pas du tout ce que je pensais comme bouquin, mais très sympa. En fait, les auteurs des textes tracent des parallèles entre des auteurs classiques (dont Goethe, Pouchkine et Kiekegaard) et Mozart. Les a-t-il influencés? Comment parlent-ils de lui dans leurs livres? J'ai ainsi appris par exemple que Goethe avait écrit une suite à la Flûte enchantée et qu'il souhaitait même la proposer à Mozart pour qu'il en écrive la musique. Ce cher auteur n'avait malheureusement pas eu vent du décès du compositeur. (Je n'ose imaginer le choc qu'il a dû ressentir quand un ami a dû lui annoncer la chose.)

Et puis après (demain peut-être), je pense que je plongerai dans L'appel de la rivière, suite de La société des jeunes pianistes de Ketil Bjornstad. Un coupon de 30 % de rabais sur un livre, deux jours seulement (hier ou aujourd'hui) m'a convaincue de céder à la (trop grande) tentation.

Et pour vous faire sourire... écho peut-être au swap musique et littérature... J'ai reçu mon paquet annuel (le facteur est vraiment mon héros!) de la part de mon amie américaine (nous étions colocataires à l'université) et voilà ce qui s'y cachait notamment... oui, mes élèves sont tous très jaloux!

mercredi 15 décembre 2010

Ton nom dans ma main

Une femme laisse derrière elle l’homme qu’elle aime, non pas en lui tournant le dos, mais plutôt en cherchant à cerner la profondeur du lien qui les unit. Elle se sert surtout de cet océan entre eux pour mieux comprendre qui elle est, femme, amante, descendante d’une lignée maternelle qui  la hante au quotidien.

Avec une économie de moyens remarquable, Anie Ouellet effleure, dessine à traits légers, laisse le lecteur s’immiscer entre les phrases, certaines en vers libres, d’autres des concentrés d’émotions, d’impressions. 

sur la bordure / de mon cahier / un trait / de fusain / comme  une caresse / une impression / de déjà vu
Le lecteur accompagne la narratrice dans son périple intérieur, s’y retrouve, s’y questionne avec elle. En refaisant le parcours, on y trouve une autre densité, une autre couleur, entre douleur et légèreté. Un très beau premier recueil, que l’on voudrait garder pour soi, mais qu’il est essentiel de partager.

Je vous invite à découvrir la Recrue du mois, Sandra Gordon, ici...

lundi 13 décembre 2010

Ru

Que reste-t-il encore à dire de ce charmant petit livre, que tous ont vraisemblablement lu au cours de la dernière année, sauf peut-être partager deux citations...

« Avec cet ami, j'ai appris que la musique provenait de la voix, du rythme et du cœur de chacun, et que la musicalité de ces mélodies non notées pouvait soulever le rideau de la brume, traverser les fenêtres et les moustiquaires pour venir nous réveiller doucement telle une berceuse matinale. » (p. 114)

« Quant à moi, il en est ainsi jusqu'à la possibilité de ce livre, jusqu'à cet instant où mes mots glissent sur la courbe de vos lèvres, jusqu'à ces feuilles blanches qui tolèrent mon sillage, ou plutôt le sillage de ceux qui ont marché devant moi, pour moi. Je me suis avancée dans la trace de leurs pas comme dans un rêve éveillé où le parfum d'une pivoine éclose n'est plus une odeur, mais un épanouissement: où le rouge profond d'une feuille d'érable à l'automne n'est plus une couleur, mais une grâce: où un pays n'est plus un lieu, mais une berceuse. » (p. 144)

dimanche 12 décembre 2010

L'amour avant que j'oublie

En 2010, au hasard des rencontres, j'ai pu m'entretenir avec un poète, un documentariste et un animateur de radio haïtiens. Prolongement naturel, il me restait à plonger dans cette littérature particulière et le cadeau conceptuel de Catherine au swap musique et littérature ne pouvait donc pas mieux tomber. Je n'ai donc pas résisté longtemps à son appel. Malgré ce que le titre pourrait laisser deviner, ce roman de Lyonel Trouillot n'est en fait pas une histoire d'amour, mais plutôt la projection de fragments d'histoires d'amour, sous toutes ses formes.

« L'étranger aurait pu la conter. Une histoire banale et singulière comme le sont toutes les histoires. Banale pour qui regarde. Unique pour qui les vit. Toutes les histoires d'amour se prennent pour une autre. » (p. 123)
À 50 ans, un écrivain se rappelle, essaie de capter certains instants importants de sa vie, pour les immortaliser dans le regard d'une autre, femme fantasmée plutôt qu'incarnée. Il espère qu'elle changera définitivement sa vie, mais si tel n'est pas le cas, peu importe au fond, il aura fait son devoir de mémoire et aura raconté des pans des histoires de l'Étranger, de l'Historien, de Raoul, de Marguerite, de Robert, de Jacques... À travers ceux-ci, il en profite pour tracer le portrait d'un pays en mutation, d'un écrivain qui refuse de se laisser emprisonner dans les filets de la littérature, d'un homme qui aimerait être revenu de tout mais qui continue de s'émerveiller, aujourd'hui comme hier. Une fois le livre refermé, il reste un parfum d'arbres en fleur, d'odeurs qui se mêlent dans la moiteur d'un début de soirée, de paradis perdu.

« L'amour, est-ce autre chose que le renouvellement de la victoire du rêve? De sa défaite aussi. J'avais oublié la nécessité d'un ancrage intérieur, d'un commencement qui s'installe dans la permanence. d'une réponse à la question: dans quel état es-tu? Je suis dans l'état de celui qui a envie de se rapprocher de toi. Dans ce tremblement. Demain, sans changer d'état, je retournerai à ma vie, je veux dire à mes habitudes. » (p. 179)

jeudi 9 décembre 2010

Générosité

Certains artistes sont d'une rare générosité sur scène. Le violoncelliste Jean Guihen Queyras nous l'a démontré hier soir, en proposant au public montréalais un programme parmi les plus exigeants, tant pour l'interprète, seul sur scène avec son instrument, que le public: l'intégrale des suites pour violoncelle de Bach.

« Je vis pour l’expérience, l’échange du concert, me confiait-il en entrevue. J’aime m’abandonner, partir dans l’inconnu, me dire que le concert de ce soir-là sera quelque chose qui n’aura encore jamais eu lieu. Je pense que l’interprétation évolue toujours, mais je ne saurais être à même de juger de son degré qui, je pense, se fait presque à mon corps défendant. Pour moi, l’essentiel est que chaque concert soit un moment particulier et qu’il vive vraiment. Avant de monter sur scène, j’essaie de remettre mes priorités en ordre. Je pense à mon public et je me dis : “Eux aussi partagent mon besoin de vivre la musique, de plonger dans ces univers exceptionnels que nous offrent les grands génies de la musique.” Je me mets la barre très haute, car il faut réaliser que, lorsque nous allons sur scène, nous sommes aussi des instrumentistes qui se préoccupent de mettre les doigts là au bon endroit et s’assurent que la production du son soit satisfaisante. Être à la fois artisan et artiste demeure un aspect passionnant de notre métier. Nous sommes toujours dans un travail d’équilibre, entre l’idéal et l’incarnation de cet idéal. Avec des moyens très pauvres, le musicien a le devoir d’aller explorer des univers assez immenses. »

Vous pouvez lire l'article dans le numéro courant de La Scena Musicale ici, à la page 49...

mardi 7 décembre 2010

Donka: pour la poésie du moment

Peut-on aborder un spectacle/concert/film avec trop d'idées préconçues? Semble-t-il que oui... du moins, c'est ce que j'ai réalisé dimanche en assistant au spectacle Donka: Une lettre à Tchekhov. J'avais parlé au metteur en scène Daniele Finzi Pasca, qui avait évoqué l'importance de la glace, des clins d'œil à l'œuvre du dramaturge, des parallèles aussi à établir entre les univers des deux hommes. Bref, quand je me suis assise dans la salle, plutôt que de mettre en mode de réception inconditionnelle, mon cerveau travaillait peut-être un peu trop. Par exemple, pour moi, l'idée du chandelier de glace qui fondait se voulait essentiellement une image poétique. J'imaginais un objet disparaissant plus ou moins sous nos yeux tout au long de la représentation, symbole du temps qui fuit peut-être, ou de l'impossibilité pour les personnages tchekhoviens de faire face à leur réalité. On a plutôt eu droit ici à un moment de pure jouissance enfantine, avec bataille de boules de glace et rigolade délirante.

Après l'entracte, j'ai décidé de remiser au vestiaire toutes mes attentes, et là, la magie a opéré entièrement. Je me suis laissée bercer par la  remarquable partition musicale de Maria Bonzanigo et happer par la beauté pure de certains tableaux, notamment le numéro de pêche ou celui de roue Cyr, duquel semblait occulté tout sentiment de danger (on s'entend que quiconque tentant l'expérience se retrouverait en quelques secondes face à terre) tellement le moment est sublime (et très proche de l'idée de la nostalgie telle que la pratique Finzi Pasca). J'ai été émue par ce monologue de la clown Beatriz explique où se situe l'âme de l'homme (« Nous, les clowns, nous savons qu'elle se trouve... dans nos souliers! », confie-t-elle en les pointant du doigt), par cette réflexion sur l'écriture (un auteur est comme un pêcheur: on dirait qu'il ne fait rien mais il attend d'attraper l'idée). J'ai été troublée par ces patients pris dans leur douleur (extraordinaire utilisation des rubans) et ai été complètement assommée par la dernière scène, qui nous rappelle que la grande faucheuse et l'étincelle de vie sont deux faces d'une même pièce de monnaie. 

Mais tout n'est pas tragique dans l'univers de Daniele Finzi Pasca, au contraire. Quand il nous propose un « faux » numéro d'acrobatie délicieux (clins d'œil aux premiers truquages du cinéma), met en scène un numéro loufoque de mini-xylophone (en forme de petit lit) et que l'interprète est trop paf pour être cohérente, chorégraphie un duel complètement déjanté (qui aurait pu être légèrement écourté néanmoins), impossible d'oublier que, derrière toute la réflexion et le travail sur la plastie (remarquables éclairages, qu'il a également signés), Finzi Pasca revendique haut et fort son statut de clown et que, à travers le rire ou les larmes, il sait nous toucher.

dimanche 5 décembre 2010

Signé Daniele Finzi Pasca

On l’a découvert il y a déjà presque vingt ans de cela dans Icaro, théâtre de l’intime pour un spectateur privilégié qui devient complice de cette fable inclassable, qui trouble, émeut, suscite aussi bien rire que larmes, et habite des années après. Cette fois, il s’approprie l’univers du dramaturge Anton Tchekhov, dont on célèbre en 2010 le 150e anniversaire de naissance. Après avoir refusé à deux reprises la proposition de se frotter à l’œuvre mythique de celui que le metteur en scène Giorgio Strehler considérait comme « le grand révolutionnaire du théâtre contemporain », Daniele Finzi Pasca a fini par accepter l’inéluctable : « Si un père te demande de cuisiner pour le mariage de sa fille, c’est qu’il aime ce que tu fais. » Désirant s’éloigner d’une vision trop classique de Tchekhov, il a aussi fait siens de larges pans de sa vie : « J’y ai trouvé des aspects qui m’ont  touché, fasciné, de petits détails, des choix qu’il a faits, la façon dont il choisit d’écrire la réalité humaine. » Comme pour Icaro, il demeurait essentiel de  raconter une histoire qui puisse soigner : « Tous les arts ont cette possibilité de faire passer la peur à un enfant la nuit, de donner du courage, de guérir. Le théâtre est peut-être le moins élevé des arts de la scène – comment rivaliser avec la musique, par exemple –, mais il est celui qui englobe tous les autres. »

Je l'ai rencontré et vous pouvez lire l'entrevue en couverture du numéro courant de La Scena en format PDF ici ou en version flash là...



Le spectacle Donka - Une lettre à Tchekhov est présenté à l'Usine C jusqu'au 18 décembre. J'y serai cet après-midi.

samedi 4 décembre 2010

Rencontre inédite

Peut-on juxtaposer le monde très pointu de la musique contemporaine à l'univers iconoclaste de Pierre Lapointe? Voilà le pari assez audacieux pris hier par le Quatuor Molinari qui a décidé de défendre, avec sa rigueur habituelle, deux soirs seulement, des relectures signées par des compositeurs de demain de chansons connues et aimées.

Impression troublante d'avoir été invité à pénétrer dans un laboratoire de création unique, de laisser au vestiaire tout repère préétabli, tout souvenir qu'on croyait avoir de l'une ou l'autre des pièces du répertoire de Pierre Lapointe. Déjà, lors de son précédent spectacle, piano solo (le disque devrait être lancé en mars), l'auteur-compositeur-interprète avait joué la carte de l'audace, privilégiant nouveaux tempos et harmonies dépouillées pour magnifier ses textes. Ici, la donne semble encore plus complexe, l'auteur-compositeur devant laisser toute la place à l'interprète et accepter de fondre sa voix dans le langage harmonique d'étudiants en composition du Conservatoire. Il y avait quelque chose d'émouvant à le découvrir fragilisé, moins en contrôle (lui qui, on le devine, doit roder ses spectacles au silence près) mais en même temps profondément émerveillé par les nouveaux habillages que l'un ou l'autre avait offerts.

On a eu droit à clins d'œil ludiques (astucieux, cette introduction nébuleuse signée Gabriel Ledoux à laquelle le public participait en chantant la tierce sol-mi sous la main de Pierre chef d'orchestre, avant de plonger dans 27100 rue des Partances), des arrangements resserrés (dont la dense relecture d'Émilie Girard-Charest du Lion imberbe ou le très subtil accompagnement d'Hugo Gravel, qui nous a également offert un Colombarium inspiré, de la chanson inédite, douloureusement poétique, La date, l'heure et le moment) et trois pièces résolument baroques sur instruments d'époque (saluons ici les arrangements de Sean Dagher - un pro du genre qui roule sa bosse depuis quelques années - des Vertiges d'en haut et des Petites morts).

En milieu de ce (trop) court spectacle, le Quatuor Molinari a glissé en douce le Quatuor no 3 de Philip Glass. La qualité d'écoute des fans du chanteur a-t-elle semblé se dissiper? Nullement. La preuve, encore une fois, que, lorsque le contexte s'y prête, le public n'est pas si fermé qu'on le croirait à la découverte.

vendredi 3 décembre 2010

Flying Bach

Je m'attendais à être soufflée par les prouesses athlétiques des danseurs; bien sûr, ce fut le cas. Je sentais que la juxtaposition Bach et hip-hop n'aurait rien de choquant; une fois sur place, cela relevait de l'évidence. Mais ce spectacle ingénieux est beaucoup plus que cela au fond. Il se veut aussi une réflexion sur la violence en milieu urbain (sans jamais tomber dans les clichés), sur la rencontre entre deux êtres (brûlant de poésie retenue), sur le geste de violence qui fait basculer l'amour dans l'horreur (tellement bien amené qu'on en reste le souffle coupé pendant de longues secondes), sur la transmission aussi du savoir (savoureuse parodie d'un cours de danse classique qui se métamorphose dès que le professeur a le dos tourné), sur l'amitié (la camaraderie entre les membres demeure presque palpable).

De façon remarquable, la chorégraphie permet de voir les lignes mélodiques des fugues de Bach, de comprendre en un coup d'œil comment elles se superposent, se répondent, se veulent complémentaires. J'aurais voulu pouvoir disposer du vidéo de certaines de celles-ci pour les présenter aux élèves, toujours démunis face à la « cérébralité » des fugues de Bach, incapables de faire ressortir les différentes voix, de les faire chanter. Voir le motif qui devient une série de gestes répétés par les différents danseurs, comprendre la strette en les voyant enfin danser à l'unisson, tout devient d'une limpidité désarmante dans ce contexte.

Si l'énergie des danseurs hip-hop est viscéralement masculine (difficile de trouver une forme d'art plus bourrée de testostérone que ces mouvements athlétiques), elle est astucieusement jumelée à celle de Yui, de formation  classique et contemporaine aux lignes magistrales, en un mélange des styles parfaitement cohérent avec les différentes couleurs de ces douze premiers préludes du premier livre du Clavier bien tempéré. Saluons en terminant le travail d'échantillonnage de Ketan et Vivan Bhatti qui, jamais, n'ont dénaturé le matériau de base qui leur était imparti et ont su démontrer que Bach pouvait être aussi pertinent aujourd'hui qu'il y a 250 ans.

Le spectacle devrait être en tournée nord-américaine à l'automne prochain. J'y retourne.