vendredi 30 avril 2010

Un Vivaldi qui décoiffe

Quand il évoquait l'œuvre de Vivaldi,  Stravinski se révélait particulièrement  lapidaire : « Quatre cents fois le même concerto! » Pourtant, au cours des dernières décennies, peu de compositeurs ont été réinstitués avec autant de conviction que le violoniste virtuose et renommé pédagogue  vénitien. Il est vrai qu'à force d'entendre des dizaines de versions édulcorées, on finit par s'en lasser. Et pourtant...

Hier soir, j'étais curieuse de découvrir la vision des Quatre Saisons que transmettrait le violoniste Stefano Montanari, invité du dernier concert de la 29e saison de l'Orchestre baroque Arion. La demi-heure de répétition que j'avais pu attraper lundi midi laissait présager une énergie débordante et une liberté de mouvement accrue. La rencontre avec l'artiste m'a permis de comprendre que les idées semblaient en constante ébullition et qu'on serait à des lieues du baroque gentil, tendance musique d'ameublement. L'écoute de son enregistrement réalisé il y a une dizaine d'années avec l'Accademia Bizantina confirmait que les tempos, les articulations, les phrasés, les intentions avaient été dépouillés de toute scorie. Mais je n'avais encore réellement rien entendu ou plutôt ressenti.

Le Vivaldi de Stefano Montari est effervescent, dangereusement délinquant et pourtant tout à fait naturel. Entièrement habité par la musique, il donne l'impression de l'écrire au fur et à mesure, de l'inspirer, de la danser, de la rire. La technique est irréprochable mais n'explose jamais en vaine pyrotechnie. Avec un magnétisme presque troublant, il nous force à respirer avec lui, à apprivoiser les sons de la nature comme si nous tentions nous-mêmes de les retranscrire, à voir les scènes défiler devant nos yeux, à apprécier comme si c'était la première fois ces pages que l'on aurait pu croire galvaudées. Une grande soirée, reprise ce soir.

On peut le voir ici en répétition avec Tafelmusik.



On peut aussi l'entendre dans cette playlist de l'Accademia Bizantina.

mardi 27 avril 2010

La délicatesse

Vous vous demandiez peut-être pourquoi j'ai pris autant de temps pour lire La délicatesse, ce livre aussi léger et délicieux qu'un de ces fameux « drink de filles ». D'une part, je suis en plein marathon. Le concert de mes élèves se donne dimanche et je dois donc inciter tous ces charmants interprètes en herbe à trouver en eux l'énergie de la 25e heure, histoire d'offrir une interprétation à la hauteur de leur potentiel (ou de mes attentes, ce qui revient au même). D'autre part, j'ai été plongée dans des recherches sur l'art et la littérature baroques, en prévision de conférences que je prononcerai jeudi et vendredi avant le concert de l'Orchestre baroque Arion, au Centre Pierre-Péladeau. Je mettrai en effet en parallèle les pages musicales des éternelles Quatre Saisons de Vivaldi avec les œuvres picturales, architecturales et littéraires de certains de ces contemporains. J'ai entendu une demi-heure de répétitions hier et avoue que j'ai été assez séduite par les choix interprétatifs du violoniste et chef Stefano Montanari. Il y a aussi que j'étais happée par la lecture attentive d'un manuscrit qu'on m'a confié.

Revenons à cette Délicatesse... Je dois d'abord vous raconter l'histoire derrière cette lecture. En effet, il y a quelques semaines, je me suis servie d'une amie qui passait quelques heures au salon du livre de Paris pour qu'elle remette à Caroline les prochains titres qui seront lus dans le cadre de La Recrue. Je m'étais entendue avec notre collaboratrice française que, plutôt que de remettre le montant du livre à mon intermédiaire, elle lui remettrait plutôt un livre. (C'est tout de même plus attrayant.) Caroline m'avait demandé si j'avais un titre en tête et j'avais été plus ou moins honnête là-dessus. En effet, j'avais lorgné La délicatesse, me disant que, peut-être, comme elle passerait au Salon, elle se sentirait obligée d'aller saluer Auteur Chouchou no 1 et que peut-être que, euh, pourquoi pas, elle pourrait m'en faire signer un exemplaire... Je trouvais que c'était vaguement cavalier de ma part de faire une telle requête alors je lui ai plutôt laissé carte blanche. Il semble  qu'elle ait lu dans mes pensées (c'est fort les liens dans la blogosphère!) et, oui, effectivement, j'ai un exemplaire dédicacé de la main du beau David, joli dessin inclus. Merci, Caroline!

Alors, côté satisfaction lecture? Si j'ai préféré Qui se souvient de David Foenkinos, on retrouve dans ce dernier opus ce qui fait sa marque de commerce de l'auteur: des histoires romantiques ancrées dans le 21e siècle, des références à Genève, ses personnages clins d'œil, un humour délicieux, un style efficace, toujours soigné.  
« Le conducteur proposa un peu de musique. Mais très vite, Nathalie lui demanda d'éteindre. C'était insoutenable. Chaque air lui rappelait François. Chaque note était l'écho d'un souvenir, d'une anecdote, d'un rire. Elle prit conscience que ce serait terrible. En sept ans de vie commune, il avait eu le temps de s'éparpiller partout, de laisser une trace sur toutes les respirations. Elle comprit qu'elle ne pourrait rien vivre qui puisse lui faire oublier sa mort. »  (p. 36)
On sort de la lecture avec un sourire presque tendre aux lèvres, porté par les mots, les situations, la perspective (l'illusion? mais il faut parfois rêver...) que, peut-être que, au fond, l'amour peut être aussi simple qu'il ne semble compliqué.

samedi 24 avril 2010

La rue de la musique?

Lentement mais sûrement, mon quartier se métamorphose. De l'extérieur, peut-être pas, mais derrière les portes closes, c'est autre chose. Non, rassurez-vous, je ne vous révélerai pas de détails croustillants sur mes voisins (même cette jolie blonde qui a recommencé à retrouver son amoureux toujours à la même heure). Je parle de l'invasion subtile de la musique, puisque j'ai quelques élèves qui habitent très près de chez moi.

En biais, il y a les petits jumeaux (bientôt huit ans). Un a commencé l'année dernière, l'autre cette année. Bien sûr, ce ne sont pas encore de grands pianistes mais, parfois, on a tout de même droit à de jolis moments de musique et l'un des deux aime beaucoup improviser et retrouver des airs classiques par oreille. Leurs parents jouent également (mais n'ont jamais osé le faire devant moi).

Un peu plus loin sur la droite, il y a mon élève promeneur de chien attitré. Quand je quitte pour 24 heures, il profite des visites au canin pour travailler sur mon piano à queue. Il paraît que le chien insiste (!) pour écouter de la musique quand il vient. (Sa mère se demandait d'ailleurs pourquoi la marche était si longue un certain soir mais il avait alors décidé de rejouer tout son répertoire pour le plaisir... On ne voit pas le temps passer quand on s'amuse, n'est-ce pas?)

Vers la gauche, il y a « les colocs ». J'enseigne à deux des quatre, de niveau avancé. L'une s'assoit devant l'instrument depuis presque 15 ans (même si elle étudie en littérature), l'autre souhaite être chef d'orchestre et a une tendance vaguement compulsive quand il s'agit de musique. Récemment, un futur cinéaste et un ami corniste se sont joints à la maisonnée, remplaçant un apprenti philosophe. Le corniste - également pianiste jusqu'à l'année dernière - travaille lui aussi avec un certain acharnement et, depuis quelques semaines, quand il le peut, dehors, sur le balcon avant, histoire de ne pas trop envahir la bulle de tranquillité des trois autres (en examens de fin de session ces jours-ci). Hier soir, il répétait des pages de suites de Bach et je n'ai pu m'empêcher de sourire en l'entendant. (En effet, l'instrument n'est peut-être pas des plus discrets mais, bien joué, que c'est beau et ce jeune homme est vraiment très doué.)

Il semble qu'au début leurs propriétaires - d'un âge certain - aient été vaguement déstabilisés par la présence quasi continuelle de musique (quand ils ne jouent pas, ils en écoutent ou organisent des fêtes auxquelles ils invitent d'autres musiciens!). Il y a quelques jours, ils sont plutôt venus cogner pour leur dire qu'il y avait beaucoup trop de guerre dans le monde et que les dirigeants devraient prendre exemple sur eux et jouer, tout simplement. Je pense que j'ouvrirai ma fenêtre la prochaine fois que je travaille, tiens...

mercredi 21 avril 2010

La musique en partage

J'avais rendez-vous cet après-midi avec les participants d'un atelier offert par Au Coup de pouce Centre-Sud, un organisme d'éducation populaire qui a pignon sur rue depuis 1973, rue Ontario Est et dont la mission est d'aider les gens du quartier, de briser l'isolement, de susciter l'entraide et d'éduquer. Noble mission, n'est-ce pas? J'y donnais un cours d'initiation au répertoire classique, un « Musique classique pour les nuls » si vous voulez. En fait, plusieurs des participants connaissaient le répertoire, sinon de façon encyclopédique, du moins avec le cœur.

Pendant plus de deux heures (j'ai beaucoup de difficulté à me limiter quand on me lance sur le sujet de la musique classique), j'ai tracé les grandes lignes des périodes musicales, ai évoqué les styles de certains compositeurs, les changements stylistiques, ai expliqué ce qu'était un concerto, l'inéluctabilité de la dissolution de la tonalité telle qu'on la connaissait au milieu du 20e siècle... Bien sûr, et plus important encore, j'ai fait écouter des extraits musicaux de Bach, Vivaldi, Mozart, Beethoven, Chopin, Smetana, Chostakovitch, Estacio, etc. parce que parler de musique sans pouvoir l'apprécier viscéralement me paraît complètement incohérent.

À la fin des dites deux heures, personne ne semblait vouloir décoller. L'une a commencé à évoquer le sampling et m'a demandé ce que j'en pensais. (Quand c'est bien fait, pourquoi pas?). Un autre nous a raconté une histoire absolument délicieuse sur l'achat de son premier disque Tchaïkovski à l'adolescence. (Il avait rapporté le disque au magasin car il ne savait pas que l'Ouverture 1812 comprenait des coups de canon et pensait que le disque sautait!) Une troisième a parlé avec fierté de sa petite-fille qui complétait un baccalauréat en musique à Waterloo. (J'aime voir les grands-mères rayonner de fierté.)

Cette rencontre, prévue depuis plusieurs mois, était entièrement bénévole. Je ne vous dis pas cela pour que vous applaudissiez mon sens civique. Je le mentionne seulement parce que, un instant, j'ai rêvé. Imaginons que tous les musiciens professionnels de la ville offrent un atelier du même genre dans l'année, un seul. Combien de vies seraient changées?

Oui, bien sûr, tous n'ont pas la fièvre nécessaire pour transmettre, c'est vrai. Nous ne sommes pas tous, comme Obélix, tombés dans la potion magique enfant. Changeons donc la donne. Imaginons qu'un dixième des musiciens professionnels offrent un tel atelier dans leur année. Déjà, l'impact serait troublant. Bien sûr, certains le font déjà. Par exemple, il faut saluer la constance du pianiste Alain Lefèvre, pourtant une « star », qui continue de rencontrer les jeunes dans les écoles et de visiter des délinquants pour leur parler de musique classique. Mais les autres? Combien oseraient, comme Pollini le faisait il y a quelques dizaines d'années, offrir un récital pour des employés d'usine par exemple? Et si la musique pouvait vraiment changer la monde?

Une chose est certaine. La prochaine fois qu'on m'invite, je n'hésiterai pas une seconde. L'amour de la musique croît quand on le partage.

lundi 19 avril 2010

Attachements. Observation d'une bibliothèque

« La bibliothèque est un lieu d'allers et retours, à l'image du labyrinthe... » (p. 87)

Alberto Manguel nous avait proposé il y a quelques années de très belles incursions dans le monde des livres et de sa bibliothèque en particulier. Plus récemment, Alain Finkielkraut avait fait de même, de façon un peu plus cartésienne peut-être. La poète et essayiste Louise Warren n'a pas non plus su résister à cet appel mais elle y répond de façon entièrement autre. À travers une série de textes courts, qui regroupent aussi bien portraits d'auteurs qu'analyses de livres, citations ou même retranscriptions de rêves liés à sa bibliothèque ou certains souvenirs de lecture, elle nous propose un voyage plus poétique que didactique, dans l'univers des auteurs ou dans son passé (toujours évoqué avec une rafraîchissante économie de détails).  

« À travers les livres, nous nous construisons. Il est rare que, dans nos gestes quotidiens, nous soyons sollicités de la sorte. » (p. 42) 
 On y retrouve aussi bien des livres qui ont marqué sa première enfance, son adolescence que des titres qui ont accompagné sa vie de mère, ont prolongé la magie de certains voyages, ont été offerts par son amoureux, dans un séduisant jeu de pistes qui nous pousse à nous approprier plus profondément certaines auteurs  (Antonio Munoz Molina, Marina Tsvétaïéva, Michèle Desbordes, William Carlos Williams, Philippe Jaccottet ou Saadi Youssef, par exemple) ou nous invite à replonger dans des mondes fréquentés jadis mais délaissés depuis (que j'ai aimé Gaston Bachelard, pour les mêmes raisons qu'elle).

Malgré l'inhérent foisonnement de la proposition, on ne se sent jamais perdu dans cette bibliothèque qu'on voudrait posséder en partie. On sort de l'expérience avec une liste de titres à s'approprier impérativement mais surtout avec l'impression d'avoir partagé un moment d'intimité avec une autre grande lectrice.  

« Ce qui m'unit aux livres tient en partie au rythme, à la respiration, à l'air qui passe entre les paragraphes, aux choses qui ne se voient pas, mais vibrent. La voix existe pour vrai, tournée vers moi. » ( p. 156)

samedi 17 avril 2010

Une visite au MOMA?

Vous ne savez pas quoi faire de votre week-end et considériez un voyage à New York mais, faute de fonds ou de temps, vous avez dû abandonner l'idée? Et si je vous proposais de visiter le Museum of Modern Art en 2 minutes 5 secondes, top chrono?

jeudi 15 avril 2010

Il ne faut pas parler dans l'ascenseur

Avec son premier roman, Martin Michaud aborde un genre peu traité au Québec : le polar. On pense connaître le genre, les codes, les lieux, et pourtant, avec Il ne faut pas parler dans l’ascenseur, l’auteur réussit à nous surprendre, mieux, à nous séduire. Une histoire de vengeance, un inspecteur sympathique et bougon, vaguement dépassé par les soubresauts de sa vie personnelle, une victime potentielle qui vit des expériences à la limite du paranormal, des liens qui s’établissent entre différents protagonistes, la toile dans laquelle Michaud tente de nous attraper est tissée avec une certaine minutie. Le style est enlevé, fluide, fait mouche presque à tout coup; on tourne les pages avec un plaisir presque coupable.

Je me suis attachée à l’inspecteur Lessard, ai été glacée par le tueur, troublée par Simone. J’ai surtout beaucoup aimé la façon dont l’auteur a réussi à transformer l’arrondissement Côte-des-Neiges- Notre-Dame-de-Grâce en témoin de ces histoires en chassé-croisé. J’y ai reconnu avec plaisir des lieux que je fréquente régulièrement, en ai cherché d’autres (pour réaliser que certaines libertés avaient été prises par l’auteur en lisant la notice en postface). J’avais l’impression, ce faisant, de devenir partie intrinsèque du récit, ce qui est rarement le cas avec un polar, genre abordé le plus souvent avec un certain détachement, conventions obligent. Une chose est certaine : je surveillerai avec plaisir la prochaine aventure de l’Inspecteur Lessard… en espérant qu’il ne soit pas réaffecté dans un autre quartier.

Les autres collaborateurs de La Recrue ont en général apprécié leur lecture. Vous pouvez lire leurs avis ici...

mercredi 14 avril 2010

De la pluralité des interprétations

Il y a deux jours, j'ai demandé à un ami, de passage à Montréal, de donner un cours à l'une de mes élèves avancées. Je sais pour en avoir discuté avec lui abondamment que nos visions ne sont en rien antagonistes, disons plutôt complémentaires. Alors que j'aime Schumann, il vénère Brahms. J'idolâtre Mozart, il préfère Beethoven. Je comprends Debussy presque viscéralement, il le laisse perplexe. Rien de grave; simplement de quoi alimenter les conversations. J'étais donc curieuse de voir sous quel angle il aborderait la pièce (le dernier mouvement de la Fantaisie opus 17 de Schumann), nullement inquiète qu'il pourrait ébranler les fondations de l'édifice érigé avec cette jeune femme au cours des dernières semaines. Je me suis assise confortablement dans mon sofa et j'ai apprécié une autre approche, en toute simplicité.

Dès le début, j'ai été étonnée par la ligne qu'il a choisi d'aborder, négligeant d'abord les détails techniques ou interprétatifs pour partager sa vision de l'œuvre, de façon imagée et par moments presque poétique. L'étudiante étant particulièrement interpellée par la littérature, le lien s'est donc établi entre eux en quelques instants. Une fois l'esprit ouvert, il s'est mis à travailler sur le corps, axant une partie de ses remarques sur la façon dont elle devrait utiliser le poids de celui-ci pour libérer les bras, les épaules, les poignets, sans que le son ne semble transmis par une souris.

Cet ami enseigne essentiellement à des débutants et quelques élèves intermédiaires. J'ai bien senti que, enfin, il était heureux de pouvoir partager ses connaissances à un autre niveau. Parce que, oui, on finit par se lasser de répéter, semaine après semaine, « fa dièse! », de quémander quelques minutes de travail supplémentaire quotidien ou d'essayer de trouver une nouvelle image pour faire comprendre à un enfant de huit ans que les trous entre les mesures ne sont pas une option. Le temps a filé à vitesse grand V et, n'eut été d'une autre élève qui débarquait chez moi peu après, peut-être que la leçon se serait prolongée.

Comment la jeune pianiste réussira-t-elle à intégrer tout cela à son jeu? Les semaines, les mois qui viennent nous le diront. Une chose est certaine: j'ai enseigné les trois heures suivantes avec une énergie renouvelée, portée par une autre vision que la mienne.

dimanche 11 avril 2010

Gagner en profondeur

Hier soir, j'entendais l'OUM (Orchestre de l'Université de Montréal) pour la première fois et ne savais trop à quoi m'attendre. Bien sûr, les instrumentistes sont triés sur le volet et sont encadrés par des chefs enthousiastes. Mais, quand même, on parle de jeunes musiciens en tout début de carrière, peut-être un peu moins aguerris que leurs aînés. J'avais tout faux et c'est tant mieux. Devant une salle comble, bondée  en majorité de jeunes, l'OUM a démontré qu'il n'avait rien à envier aux orchestres professionnels côté  excellence. Oui, bien sûr, je pourrais chipoter sur certaines fins de phrases un peu sous la note dans la section des cordes, quelques attaques plus ou moins nettes des cors (mais la section de l'OSM me fait régulièrement grincer des dents et j'ai pu constater il y a quelques semaines que le premier cor du Mariinsky n'était pas infaillible non plus), un vibrato qui aurait pu être plus prononcé ici ou là. Au fond, on parle de très légères imperfections, qui ne méritent même pas l'épithète d'irritants. J'ai surtout été séduite par la remarquable cohésion de l'ensemble, par l'énergie qui se dégageait des pupitres, par la façon dont on sentait les jeunes musiciens inspirés par la direction alerte d'Alain Trudel.

En première partie, le pianiste Serhiy Salov, premier prix du Concours de concertos de la faculté en 2009, reprenait l'œuvre qui l'avait sacré grand vainqueur du Concours Musical International de Montréal en 2004, le Deuxième Concerto de Brahms. Il y a presque six ans, j'avais été séduite par l'assurance de son jeu et sa façon de se projeter à travers la musique sans jamais s'imposer. Je l'avais entendu de nouveau l'année suivante avec I Musici dans le programme Autour de Chostakovitch et puis, plus rien, ou de loin en loin. Il y a quelques semaines, nos routes se sont recroisées alors que j'ai travaillé aux notes de programme de son prochain enregistrement, qui sera lancé dans moins de dix jours. En échangeant avec lui au sujet de son arrangement du mythique Sacre du printemps, j'avais découvert une nouvelle profondeur dans la façon dont il s'appropriait l'œuvre. J'avais donc très hâte de voir comment le Brahms s'était transformé depuis six ans.

Hier soir, Serhiy Salov a su se tenir loin de la pyrotechnie. Assuré, impérial, il a insufflé une ampleur à la sonorité mais surtout au phrasé. Jamais, je n'ai senti qu'il précipitait le geste, qu'il prenait un raccourci, qu'il contournait un obstacle. La partition respirait, inspirait. La sonorité était recherchée, pleine, à aucun moment métallique, malgré le côté brillant de l'instrument choisi. Dans le mouvement lent, cela a donné quelques pages magnifiques. Dans les trois autres, cela a permis de mieux saisir l'architecture de cet édifice imposant, d'en apprécier chaque angle.

Après avoir entendu une telle interprétation, on reste néanmoins perplexe. Comment se fait-il que que la carrière de cet artiste n'ait pas encore vraiment décollé et que, en lieu et place, soir après soir, on doive se taper des interprétations bruyantes ou mal assurées, dépouillées de toute substance? Le mélomane moyen manque-t-il vraiment à ce point de repères (historiques, discographiques, esthétiques) pour continuer de privilégier le bruit à la poésie? Je ne suis même pas certaine de vouloir répondre à mes propres questions...

vendredi 9 avril 2010

Invisible

Je ne l'ai jamais caché, j'aime Paul Auster. J'aime cet univers new-yorkais, sa propension à jouer avec les mots, les concepts, à faire référence aux auteurs qu'il admire, à prendre position, à tisser une trame dans laquelle il emprisonne le lecteur, parfaitement conscient qu'il est en train de se faire attraper mais qui n'ose pas se sauver. Quand mon ami m'a annoncé que son nouvel opus sortait en français, j'ai appris la nouvelle avec une certaine fébrilité. Quand, après l'avoir lu, il me l'a prestement prêté, parce qu'il tenait à avoir mon opinion rapidement, j'ai résisté vaillamment trois jours avant de l'amorcer, me disant que ce genre de récit à tiroirs s'apprivoise mieux dans un certain calme ou à tout le moins lors de séances de lecture concentrée. C'est donc sur la route, entre Montréal et Québec, que j'ai lu la plus grande partie de ce livre fascinant, dans lequel les histoires s'emmêlent, se superposent, se défont.

Cette fois encore, Auster nous fait le coup du récit au cœur du récit. On commence par plonger dans le quotidien d'Adam Walker, jeune étudiant à la plastie parfaite, qui se voit offrir par Born, professeur mystérieux à la psyché trouble, une mise de fond pour lancer une revue littéraire. Les liens entre eux deviennent rapidement ambigus, alors que Born l'invite à partager un repas et qu'Adam cède bientôt aux charmes de Margot, compagne improbable. On s'intéresse au récit, se demandant vaguement où cela nous mènera. Deuxième chapitre (plusieurs dizaines de pages plus loin): on réalise que cette histoire est en fait le premier de trois chapitres qui seront transmis au narrateur, ami d'université d'Adam.

À partir de là, on oscille entre 2007 et 1967, fiction et « réalité », narration à la troisième, à la première et à la deuxième personne. Ceux qui fréquentent l'œuvre d'Auster depuis un moment souriront aux divers clins d'œil qu'il y inscrit en filigrane: trois chapitres comme la Trilogie de verre, le passage à la deuxième personne quand Adam s'admet coincé dans son processus narratif alors qu'il aborde son deuxième chapitre (comme Auster l'a fait lui-même dans L'invention de la solitude, en deux parties), un Born aussi machiavélique que le Ben Sachs de Léviathan. Plus on avance dans la lecture du roman et plus on réalise qu'on est face à un casse-tête dont les morceaux ne s'imbriquent pas parfaitement les uns dans les autres puisque tous les narrateurs - Adam (le jeune poète incompris qu'était Auster), Jim (l'auteur à succès qu'est devenu Auster), Paul Auster lui-même, redoutable d'efficacité - ont plus ou moins transformé leur histoire. Qui dit vrai? Où s'arrête la réalité? Où s'amorce la fiction? On se met à imaginer la « vraie » histoire, celle qui aurait pu se passer, si seulement on nous avait laissé la raconter, sachant pertinemment que nous aurions pris d'autres détours, travesti d'autres faits, la littérature n'étant qu'une suite de libertés assumées. 
« J'ai déjà écrit de quelle façon j'ai mis en forme les notes de Walker. Quant aux noms, ils sont inventés et le lecteur peut, par conséquent, être assuré qu'Adam Walker n'est pas Adam Walker. Gwyn Walker Tedesco n'est pas Gwyn Walker Tedesco. (...) Même Born n'est pas Born. Son vrai nom était proche de celui d'un autre poète provençal et j'ai pris la liberté de substituer à la traduction de cet autre poète par celui que j'ai nommé Walker une traduction faite par moi, ce qui signifie que les références à L'Enfer de Dante, à la première page de ce livre, ne figuraient pas dans le manuscrit original de celui que j'ai nommé Walker. Enfin, je suppose que je n'ai nul besoin d'ajouter que je ne m'appelle pas Jim. » 
 On sort bluffé de sa lecture, perplexe, se demandant pourquoi l'auteur a terminé son récit à ce moment précis de cette histoire. On réalise que ce livre nous habitera, qu'il alimentera une réflexion sur l'écriture, sur l'importance de la littérature. On ne peut certes pas en dire autant de tous les titres. 

mercredi 7 avril 2010

Découvrir une oeuvre

J'étais au concert de l'OSM hier soir, pour une soirée qui s'annonçait électrique puisque les Montréalais auraient enfin la possibilité d'un doublé découverte: le jeune chef français Ludovic Merlot et la nouvelle coqueluche asiatique Yuja Wang, peut-être bien la plus girlie des pianistes sur le circuit aujourd'hui, qui a bâti en partie sa carrière sur les remplacements au pied levé. Eh bien, hier, c'était elle qui se déclarait malade et était remplacé par Stewart Goodyear, dans le Concerto de Ravel prévu.

Je pourrais vous parler de l'étrange expérience d'entendre deux orchestres différents avant et après l'entracte. Ce n'est pas la première fois (ni la dernière) que cela arrive, malheureusement. En première partie, nous avons eu droit à un orchestre plutôt mou, en apparence incapable de jouer plus fort que mezzo forte, aux bois brouillons et aux percussions fades dans le concerto. (Le premier coup de fouet a même réussi à sonner étouffé, il faut le faire!) Le pianiste n'a pas vraiment su tirer son épingle du jeu et nous a offert une interprétation correcte mais qui n'avait rien de transcendant (ce qui n'a pas empêché la salle de se lever d'un seul bond, je cherche encore pourquoi).

Les musiciens avaient-ils tous été remplacés par des clones? Peut-être bien. En deuxième partie, nous avons eu droit à des couleurs somptueuses, des plans sonores détaillés, une énergie rythmique saisissante dans certains passages des Danses symphoniques de Rachmaninov et une Valse de Ravel comme l'OSM sait la faire. Je retiendrai donc ceci et oublierai cela.

La véritable histoire de ce concert est ailleurs pour moi. En effet, alors que je quittais deux amis pour rentrer sagement à la maison en métro en compagnie d'un élève/ami féru de répertoire symphonique, nous avons croisé un autre jeune mélomane, meilleur ami d'un autre de mes élèves/amis avancés. (Oui, le monde du classique est minuscule, ici comme ailleurs.) N'ayant qu'une réaction « épidermique » à la musique (il s'est remis récemment au piano et avale des vinyles d'époque goulûment depuis quelques mois) et non pas sur-analytique tendance blasée comme la mienne, j'étais curieuse d'entendre ce qu'il avait pensé du programme. Visiblement encore sous le choc du deuxième mouvement du Concerto de Ravel, il a avoué qu'il n'avait rien retenu du troisième mouvement, bouleversé par ce qu'il venait d'entendre. J'ai aimé qu'il ait cédé aussi entièrement à l'envoûtement, qu'il n'ait pas peur d'en parler, que visiblement il venait d'intégrer un nouveau must à sa liste de lectures musicales. À ma droite, l'autre hochait la tête, en connaisseur, en amoureux comblé, qui continue d'aimer l'œuvre quelques mois après l'avoir découverte (grâce à une suggestion de ma part, je l'admets). Après, on essaiera de me faire avaler que la musique classique est désuète...

Pour vous convaincre de la beauté du mouvement, Martha Argerich avec son ex Charles Dutoit qui dirige l'Orchestre national de France.

mardi 6 avril 2010

Boulez le chef

Collaborateur privilégié  du Cleveland Orchestra depuis plus de 40 ans, fondateur mythique de l’Ensemble Intercontemporain, successeur de Leonard Bernstein à  la tête du New York Philharmonic, difficile de croire que Pierre Boulez  a embrassé la carrière plus par nécessité que par réelle volonté. « Mes débuts ont été très modestes. Je ne pensais pas du tout devenir chef d’orchestre. C’est une chose qui est venue s’ajouter dans mon existence et l’a envahie », explique-t-il dans L’écriture du geste. Pris au dépourvu par la carence de chefs acceptant de diriger des créations d’œuvres, il entreprend dès 1953 un travail méticuleux avec les musiciens des Concerts du Petit Marigny (société qui adoptera le nom de Domaine musical l’année suivante). Appelé à remplacer Hans Rosbaud en 1959 dans Le Mandarin merveilleux de Bartók à Donaueschingen et Aix-en-Provence, il est propulsé sur la scène internationale. Il a depuis été associé de près à la Südwestfunk de Baden-Baden, au Cleveland Orchestra, au BBC Symphony Orchestra, au New York Philharmonic et au Chicago Symphony Orchestra. Son répertoire de prédilection reste celui de son siècle, de Mahler à Stockhausen et Ligeti, avec détours obligés par Schoenberg, Bartók, Webern, Debussy, Varèse  et surtout Stravinski, dont il a signé plusieurs disques de référence dont un « live » incandescent, enregistré en 1963 avec l’Orchestre National de France lors du 50e anniversaire de la création du Sacre du printemps. (Je tiens ici à remercier le chef Jean-Pascal Hamelin qui me l'a fait récemment découvrir!)

Si vous souhaitez mieux connaître le chef, je vous invite à lire l'article que j'y ai consacré dans le numéro courant de La Scena Musicale. L'article se trouve en pages 42 et 43.

vendredi 2 avril 2010

Joyeuses Pâques

Je n'ai jamais dissimulé mon amour inconditionnel pour la comédie musicale et l'ère de gloire de la MGM et les extravagants numéros dansés qu'on intégrait alors aux films. (soupir...)
Me plongerai-je dans un des nombreux livres qui me font de l'œil (dont le dernier Paul Auster!) ou cèderai-je à la tentation de revoir Easter Parade ce week-end? Entre les deux, mon cœur balance... Ah, ce cher Fred quand même... quel danseur!
Bisous chocolatés à tous!




EDIT: Vive la programmation de billets raté! Avant de partir en week-end prolongé, j'ai programmé ce billet... pour le mois d'avril 2011. Oups! Et, pour les curieux, je n'ai pas regardé le film mais lu! Je vous en reparle dans les prochains jours.

jeudi 1 avril 2010

La vie devant soi

Oui, bien sûr, tout le monde a déjà lu La vie devant soi... Peut-être pas finalement. J'avais un vague souvenir de Momo et de Madame Rosa mais ne saurait en fait dire si c'était parce que j'en avais lu des passages, qu'on m'avait raconté l'adaptation filmée ou que les personnages, devenus plus grands que nature, avaient migré vers le réel à un moment ou l'autre. J'ai donc remédié à cette situation vaguement floue en me (re?)plongeant dans cette histoire qui n'a pas pris une seule ride depuis sa première publication en 1975.

En quelques phrases à peine, je me suis attachée à Mohammed, madame Rosa, madame Lola, monsieur Hamil, Banania... J'ai plongé dans les rues de Belleville que je connais plutôt bien, ai retrouvé les odeurs, les couleurs, les tonalités multiples qui maintiennent ce quartier en effervescence. J'ai aimé le regard tendre que Gary pose sur cet univers d'enfants oubliés, de prostituées aimantes, d'émigrants déracinés. J'ai aimé la façon dont il se sert d'une langue française en apparence malmenée pour nous pousser au questionnement, pour nous assener au visage certaines évidences que plusieurs souhaiteraient ignorer.

En lisant ces pages, j'ai aussi compris d'un seul coup comment cet univers avait pu rejoindre un ami cher qui a consacré de nombreuses heures de sa vie à l'auteur. Il porte le même regard sur les êtres, acéré, mais surtout profondément lumineux. Au fond, les classiques, c'est peut-être bien pour cela qu'on continue de les lire.