lundi 30 novembre 2009

Proud to be a Gleek

Je ne passe pas toutes mes soirées au concert ou plongée dans un livre. Oui, parfois, il m'arrive d'avaler deux ou trois séries télé. J'aime bien visionner les premières émissions - ce que les Américains appellent des pilots. Je décide ensuite si je m'investirai pendant un certain nombre de semaines. Dans cette catégorie, quelques coups de cœur convaincants au cours des dernières saisons: Les Invincibles, La Galère ou Les Hauts et les bas de Sophie Paquin. Du côté des émissions américaines, j'ai cédé il y a des années à la fièvre CSI (mais seulement la version originale, « Las Vegas ») et la saison dernière à Fringe.

Cette saison, deux grands gagnants, une émission produite ici, Aveux (série qui s'est malheureusement terminée la semaine dernière mais qu'on peut toujours visionner sur Internet) et l'autre, à l'opposé du spectre, Glee. Aveux se jouait dans l'intensité, la profondeur, les non-dits et misait sur une écriture particulièrement maîtrisée du dramaturge Serge Boucher et un jeu exceptionnel d'acteurs qui pouvait tout révéler en un seul regard. Glee est une émission feel good, ciblée pour un public d'adolescents (ou d'adolescents attardés) et de fanas de numéros musicaux. Tous les archétypes associés aux émissions d'ados s'y retrouvent: le joueur de football, les meneuses de claque, le bum au cœur tendre, l'intello vaguement rejeté, l'artiste en devenir. On y intègre aussi un homosexuel à la garde-robe extravagante (peut-être bien le personnage le plus délicieux), un professeur de chant attentif, une conseillère pédagogique vaguement névrosée (qui a peur de se salir les mains), une virago... Alors, pourquoi ai-je craqué après moins d'une heure? Bien sûr, à cause de la musique, qui présente une série relectures de hits. Et puis, parfois, dans ces temps difficiles, on a besoin de retrouver l'ado que nous avons été ou que nous avons rêvé d'être.

Le clip de présentation...


La chanson Don't stop believing, tirée de l'album. (Malheureusement, des questions de droit d'auteur ne permettent pas le partage du clip original.)

samedi 28 novembre 2009

Rendez-vous manqués



Parfois, on sort emballé du visionnement d'un film, de la lecture d'un livre. Parfois, à l'opposé, on déteste la pièce, on exècre une exposition que l'on considère inutile. Entre les deux, il y a cette zone trouble, celle des rendez-vous manqués, quand on a l'impression que tous les éléments étaient pourtant en place pour que l'objet artistique nous rejoigne mais que, pour une raison ou une autre, la connexion ne s'est pas établie, ou sinon, de façon sporadique.

Dans la même semaine, j'ai vécu deux de ces rendez-vous manqués. Peut-être étais-je dans un univers parallèle et cela m'a empêchée de céder aux charmes d'une œuvre, je ne sais pas. La surcharge de travail aurait-elle suffi à me faire basculer de l'exaltation ressentie après avoir vu, entendu et ressenti par toutes les pores de ma peau l'opéra de Gilles Tremblay? Je cherche encore... Hier soir, j'étais au TNM. Au programme: L'imposture d'Evelyne de la Chenelière. Le résumé me laissait présager un moment de communion lumineuse: Ève, une auteure égocentrique, offre à son fils Léo son roman, pour qu'il lui serve de prête-nom, que le texte connaisse une gloire - fût-elle éphémère. J'attendais avec impatience les phrases magnifiques sur le geste d'écrire, une toile tissée de façon subtile entre les personnages, des jeux de pouvoir, de fragilité aussi. Certes, j'ai vibré lors de certains passages (ceux qui traitaient de l'écriture mais aussi certaines images mère-fils) mais ai ressenti un agacement certain pour cette histoire de Justine (soeur de Léo) qui devient esclave plus ou moins consentante d'un gang de rue. Souhaitant peut-être opter pour un traitement postmoderne du propos, l'auteure nous a arrosés de poncifs sur les jeunes Noirs qui ont fait déraper le texte vers un univers parallèle qui n'avait que peu à voir avec la (déjà touffue) trame principale. Je suis donc sortie du théâtre perplexe, emballée par le jeu d'acteur du jeune Francis Ducharme, énervée par la caricature du personnage d'Ève transmise par Violette Chauveau et avec le sentiment que le texte aurait eu avantage à être resserré, élagué. Less is more...

Quelques jours auparavant, j'avais terminé la lecture de L'hiver retrouvé, premier roman de Marie-Noëlle Gagnon, un diptyque assez intrigant. En première partie, on assiste à la quête d'un jeune homme qui souhaite oublier son passé et se réinventer dans le petit village de Sili, duquel la mer s'est retiré il y a des années. Il y tombe amoureux de Cerise, s'intègre avec plus ou moins de facilité au quotidien du village, tente de devenir sans succès celui qui y ramènera la mer. Un conte pour grands enfants, servi par une écriture assez directe, mais qui s'égare parfois. J'aimais bien l'idée de cette quête impossible, qui mènerait irrémédiablement à l'exil du narrateur. Je me suis laissée convaincre par plusieurs histoires parallèles, comme celle de la fille laide. Pourtant, j'avais l'impression de ne pas entièrement saisir où l'auteure souhaitait me mener.

En deuxième partie, rupture de ton, de lieu, d'atmosphère. Le jeune homme débarque sur une île où règne en maître l'hiver... et une ogresse, qui a dévoré tous les habitants de son village, dont son ancien amant. Un troublant pas de deux s'initie entre les deux, porté par un dialogue poétique, puissant, envoûtant. La narration de l'histoire passe de l'un à l'autre: d'abord l'apprivoisement, puis la passion, puis la réalisation que cet amour ne peut en être de contes de fées. Ceci donne lieu à des pages vraiment magnifiques, mais dont on cherche le lien avec l'atmosphère plus bon enfant de la première partie. Aurait-il été souhaitable de lire les deux sections comme deux novellas indépendantes, mettant en lumière le même personnage? Peut-être. Aurait-il fallu se concentrer sur l'une ou l'autre des histoires? Je ne sais pas. Une chose est certaine: je ne ressens aucune indifférence face à ce curieux objet littéraire. Mieux: il y a suffisamment de qualités pour que je lise le deuxième opus de l'auteur. Le rendez-vous n'est peut-être pas tout à fait manqué, maintenant que j'y pense...

jeudi 26 novembre 2009

Du baroque à la bouche, bouchées exquises pour musique baroque.


Certains se souviendront peut-être de la défunte chronique La Cena musicale que je tenais jadis pour La Scena Musicale, qui avait plusieurs adeptes et proposait des recettes inspirées d’œuvres musicales, de compositeurs ou d’interprètes, que ce soit poires Belle Hélène, pasta Tetrazzini ou tornedos Rossini. Chaque année, on insiste pour que je fasse mon semifreddo (une recette initiée par Verdi) à la crème de marron, une création concoctée après avoir testé trois ou quatre déclinaisons de la recette.

J'étais donc particulièrement intéressée par le nouveau disque / livret de recettes des Boréades, qui n’en sont pas à leur premier métissage et qui nous offre ici, juste à temps pour le temps des fêtes (quel hasard!) une association gourmande entre musique baroque (ou apprêtée à la sauce baroque, comme c'était le cas avec ses albums Beatles Baroque, aux charmes desquels j'avais volontiers cédé jadis, crime de lèse-majesté pour tout puriste qui se respecte!) et gastronomie, des bouchées apéritives aux desserts à partager.

Les recettes, qui mettent en valeur les produits Première Moisson – chez qui le disque/livret de recettes est disponible à un prix modique – sont simples mais attrayantes. On y trouvera ainsi un Petit Croc Baroque tout simple (des canapés fromage de chèvre, dattes, bacon) jumelé à Norwegian Wood des Beatles, d’exquises tartines aux deux canards (recette que j'ai hâte de tester) associées à un mouvement d’un concerto de Michel Corrette ou des biscuits de pain perdu accompagnant Don Quichotte chez la duchesse de Boismortier. Un cadeau d’hôtesse idéal mais vous voudrez peut-être bien en garder une copie juste pour vous!

mardi 24 novembre 2009

Les petites filles dans leurs papiers de soie

Les blessures de l'enfance sont souvent les plus insidieuses. Morgan Le Thiec l'a compris et signe avec Les petites filles dans leurs papiers de soie un troublant recueil de 14 courtes nouvelles. À la limite entre expérience narrative et poétique, ces instantanés presque impressionnistes nous révèlent des personnages troublés, troubles, pourtant proches du lecteur. Raccourcis, ellipses, l'auteure suggère, insinue. « Il pleut sur la rue Scribe, sur le théâtre, à deux pas. Il pleut sur Nantes. Une pluie d'été pleine de chagrin. Je suis un assassin aux petits pieds, assis dans un café. Depuis quelques heures, j'ai un fils qui s'appelle Emmanuel. » (p. 89) Peu de mots inutiles, chaque phrase semble calibrée avec une minutie presque maniaque. Plutôt que des vagues de mots, on en perçoit plutôt des éclats, comme si l'auteure avait cherché à concentrer au maximum les heures de non-dits, la douleur de l'abandon, le malaise, l'incompréhension.

Morgan Le Thiec manie la chute avec une dextérité étonnante, nous laissant tantôt errer quelques minutes, seuls dans une brume d'émotions (La Naine rouge, En ce jour infranchissable, ou L'Héritier par exemple), précipitant la déchirure à d'autres (Coquelicot ou Memorial Drive). Aurait-elle le souffle pour produire un roman? Il faudra voir. Mais quand vient le temps d'extraire l'émotion, elle est remarquable. À savourer à petites doses, en laissant les destins des personnages se mêler à notre quotidien quelques instants encore.

lundi 23 novembre 2009

Cyberchef

Début de semaine maussade. Pour vous faire sourire un peu, ce clip tiré du projet de l'Orchestre de jeunes autrichien, qui nous offre une intrigante télécommande qui pourrait peut-être bien renouveler entièrement l'expérience de concert telle que nous la connaissons.



Les autres titres tirés du même DVD sont tout aussi savoureux. Ici...

dimanche 22 novembre 2009

Le monde d'un critique musical

Le fait est suffisamment rare pour que j'en fasse mention. Dans l'édition du week-end de La Presse, la musique classique a droit à un spread de trois pages complètes (plus une image qui gobe toute la couverture du cahier Arts et spectacles et un visuel sur la une!), qui nous permet d'entrer dans le monde musical du critique Claude Gingras. Il y partage ses 10 œuvres coup de coeur, pose la question à des chefs d'orchestre. On peut aussi visionner une série de vidéos qui nous permettent de découvrir son impressionnante collection de vinyles et de CD et de l'écouter évoquer certaines de ces oeuvres importantes.

C'est par ici...

vendredi 20 novembre 2009

Ravissement pour les yeux et les oreilles


Première hier soir de l'opéra L'eau qui danse, la pomme qui chante et l'oiseau qui dit la vérité de Gilles Tremblay. Les yeux happés aussi bien par l'univers féerique magnifiquement rendu par un dispositif scénique à la fois audacieux et sobre que les éclairages somptueux et les superbes costumes, j'ai cédé en quelques secondes à peine au charme de cet immense ouvrage du duo Tremblay-Morency. Le livret de Pierre Morency, où l'image prime et les sonorités de chaque terme ont été savamment peaufinées, continue de me hanter. (Saluons d'ailleurs l'idée astucieuse de nous le remettre, histoire de prolonger le plaisir, les derniers applaudissement éteints.) La musique de Gilles Tremblay, chatoyante, ondoyante, percutante, s'y collait en aplats particulièrement réussis, qui soutenait tantôt le côté féerique et mystérieux des quêtes de nos héros et, à d'autres, commentaient astucieusement les états d'esprit des personnages.

Une distribution solide, habilement encadrée par Robert Bellefeuille, a transmis l'œuvre avec brio. Je retiendrai particulièrement la performance de Claudine Ledoux qui, en pomme qui chante des onomatopées a réussi à transmettre frissons et chair de poule, la présence scénique remarquable de Jean Maheux, dans le rôle d'Yby, semi-parlé, semi-chanté, le velouté de la voix du ténor Sylvain Paré dans le rôle de Chérot, la gestuelle d'oiseaux du contreténor Scott Belluz et de la mezzo Stéphanie Pothier. La chef Lorraine Vaillancourt a défendu la partition avec une rigueur éblouissante et les musiciens du NEM ont démontré une maîtrise exceptionnelle de ces pages aux multiples strates sonores. Chapeau aux créateurs!

Il vous reste deux occasions de vivre la magie de l'oeuvre, ce soir et demain soir au Monument National. Si je n'avais pas déjà un impondérable demain soir, j'y retournerais, c'est tout dire...

Infos ici...

photo: Matthieu Dupuis

mardi 17 novembre 2009

Pause BD


Même enfant, je n'étais pas très friande de bandes dessinées. Bien sûr, j'ai dévoré les Astérix (le côté rigolo mais aussi le contexte historique m'interpellaient et j'ai adoré en lire une ou deux aventures en latin au secondaire) mais Tintin et Lucky Luke me laissaient plus froide. Dans mon panthéon personnel, il y avait plutôt Peanuts (Snoopy en écrivain paumé reste mon idéal de littéraire et Schroeder qui joue pour une Lucy pâmée sur son piano mon idéal de musicienne), Gaston Lagaffe, Achille Talon et les Rubrique-à-brac. Un peu plus tard, j'ai cédé sans réserve aux planches hilarantes et décapantes de The Far Side et à la tendresse de quelques Paul. Souhaitant faire une petite pause lecture, j'en ai profité pour m'enfiler deux BD, deux soirs de suite, dont les univers sont particulièrement éloignés l'une de l'autre.

Will Eisner pratique un dessin en noir en blanc et raconte des histoires brèves dont New York est souvent la toile de fond et qui transmettent en quelques bulles à peine un état d'esprit, qui pousse souvent à la réflexion. On y aborde la misère ou la mort de front, sans fard, mais aussi les joies oubliées d'une enfance passée dans les ruelles de la mégapole. Marsi privilégie quant à lui une bande dessinée plus ludique, qui interpelle l'enfant en nous. Les planches sont un délicieux amalgame entre une approche classique de la bande dessinée et une coloration festive des traits. J'ai souri plusieurs fois en détaillant le tracé des personnages ou en lisant les savoureuses insultes qui ponctuaient l'arrière-plan (très Hergé).

De juxtaposer ces deux façons d'aborder le médium démontre surtout combien le neuvième art, tout comme la littérature ou la musique, est multiple et qu'il serait inutilement réducteur de tenter de le circonscrire dans un seul moule. Vive la BD libre!

Salon du livre demain

Eh oui, voici venu le temps des allées surchargées de livres et de rencontres impromptues avec des auteurs d'ici et d'ailleurs. Demain soir, j'y serai à titre officiel, alors que j'animerai une table ronde démontrant combien la musique a toujours tenu une place importante dans le cœur des Québécois. Vous en doutez? Vous ne devriez pas.

Je m'entretiendrai alors avec deux musicologues, un historien et un professeur en cinéma et audiovisuel: Amélie Mainville (auteure de La vie musicale à Trois-Rivières), Réal Larochelle (Le patrimoine sonore du Québec, qui souligne le 20e anniversaire de la Phonothèque québécoise), ainsi que Marie-Thérèse Lefebvre et Jean-Pierre Pinson (Chronologie de la musique au Québec, une encyclopédie de la musique religieuse et de concert). C'est à 19 h 15 à l'Agora.

dimanche 15 novembre 2009

L'immense abandon des plages

Comment réussit-on à saisir, à apprivoiser le deuil d’une mère, surtout quand « Elle est l’écume sur les plages, elle est au bord de toutes les grèves, aux frontières de chaque continent. Il me semble que c’est son parfum que le vent trimballe et qui entoure les Îles dans un tourbillon vaporeux » (p. 64)? Mylène Durand l’évoque dans un premier roman à la forte charge poétique. Décliné en phrases courtes, en incises, qui deviennent respiration et rappellent le lancinant et apaisant reflux des vagues, L’abandon des plages nous propose trois regards entrecroisés qui révèlent progressivement les pans d’une histoire tumultueuse, dont les effets continuent de hanter aussi bien Élisabeth que Claire. Cette dernière choisit plutôt l’action, Elie la fuite vers Montréal. L’une s’incarne dans le quotidien, dans les petits gestes; l’autre dans les mots. « Est-ce que je dois écrire pour ne pas mourir? Ou est-ce que je meurs un peu plus à chaque mouvement de crayon? » (p. 57)

Le lecteur se laisse bercer par les propos entrecroisés, happer par la beauté envahissante des Îles, et à l’occasion se perd un peu dans la trame narrative. L’idée d’intégrer trois voix distinctes (les lettres de Claire, le journal d’Élisabeth et un narrateur omniscient) était intéressante mais m’a semblé non entièrement assumée. J’aurais souhaité une distinction plus apparente entre ces trois voix, plutôt qu’un écho fragmenté en trois récits. Néanmoins, je me suis laissé porter par la puissance des mots choisis, par leur pouvoir d’évocation. Mylène Durand reste à son meilleur quand elle extrait l’intensité d’un moment, d’une émotion, en quelques mots ciselés. Bien égoïstement (sachant comment cette route est solitaire au Québec), j’aimerais qu’elle aborde la poésie dans son prochain opus. « J’aime la poésie. Je lis quelques lignes, quelques mots, qui me peuplent et, telles les vagues, se déposent quelque part au fond de moi, sur des blessures. » (p. 24) Une chose demeure certaine : je la relirai avec plaisir.

Les autres commentaires de lecture des collaborateurs de La Recrue se retrouvent ici...

vendredi 13 novembre 2009

Un monde mort comme la lune


Lauréat du Prix Judith-Jasmin en 2006 pour ses reportages sur la guerre au Liban, Michel Jean nous avait ouvert son carnet de souvenirs l’année dernière dans Envoyé spécial. J’avais alors salué la cohésion et l’accessibilité du propos. Cette fois-ci, le journaliste fait le grand saut vers l’écriture de fiction et nous offre, avec Un monde mort comme la lune, un premier roman intégré à une trame historique, celle des derniers mois du président haïtien Jean-Bertrand Aristide, moment-charnière que Michel Jean connaît bien pour l’avoir vécu de l’intérieur. (Il en parle d’ailleurs dans Envoyé spécial.)

Jean-Nicholas Legendre, grand reporter pour la télévision québécoise, part pour Haïti pour y suivre la trace de narcotrafiquants et préciser la teneur des liens entretenus avec les gangs de rue montréalais. Au fil des jours et des rencontres, il découvre non seulement la vérité mais doit combattre les charmes troublants de Bia, une jeune prostituée qui se révèle liée à l’un des caïds de Cité-Soleil. Dans la première partie du roman, on suit pas à pas et avec un intérêt certain le travail du journaliste. Le style est précis, efficace, rapide. On tourne les pages avec une certaine fébrilité et un plaisir presque coupable, comme lorsqu’on dévore un polar bien ficelé.

Le reportage est bouclé, présenté à la télévision. Il soulève l’intérêt de certains, l’ire de plusieurs. C’est là que la vie de Jean-Nicholas Legendre bascule, comme le ton du roman, et qu’on aborde le registre très chargé de la vengeance. C’est là, aussi, que l’auteur m’a un peu larguée. Si j’avais été légèrement dérangée par les états d’âme du héros en première partie, tiraillé entre son amour – presque trop parfait – pour sa femme et son attirance pour Bia, je suis restée plus que perplexe face à cette histoire un peu trop rapidement bâclée de vengeance qui finit par se transformer en rédemption. J’aurais aimé mieux comprendre les motivations de l’homme ébranlé derrière le reporter, apprivoiser les déchirements ressentis face aux choix auxquels il se juge confronté, pouvoir plonger encore plus profondément dans sa psyché. Un choix aurait selon moi dû être ici assumé par l’auteur : soit laisser tomber l’indispensable réserve journalistique et nous mener dans des zones plus troubles ou soit opter pour une aventure de reporter classique, moins « émotive », qui aurait permis un même rythme, plutôt soutenu, du début à la fin du roman.

Malgré ces réserves et la difficulté parfois de dissocier l’auteur (Michel Jean, personnalité publique) du personnage (Jean-Nicholas Legendre, reporter, pourtant pas son alter ego), ce premier roman m’a paru plus achevé que bien d’autres essais du genre et je l’ai avalé en un après-midi. Par souci d’équité – et d’intégrité journalistique –, j’ai dû me poser la question suivante : si je n’avais pas connu la face publique de l’auteur, aurais-je été aussi exigeante? Je ne crois pas. Je lirai donc avec intérêt son prochain roman (qui rompra avec le monde journalistique, selon ses dires), qui nous permettra sans doute de mieux saisir la personnalité alors plus assumée du romancier.

jeudi 12 novembre 2009

Opéra féerie

Dans une semaine exactement, aura lieu la première mondiale de L'eau qui danse, la pomme qui chante et l'oiseau qui dit la vérité, cet opéra-féerie pour 12 interprètes et 25 musiciens signé Gilles Tremblay, somme d'une vie. Empreint d’une forte charge poétique, cette oeuvre lyrique se veut le fruit d’une collaboration entre le compositeur et le poète et romancier Pierre Morency (qui signe ici son premier livret), deux hommes unis par une même communion avec la nature. « Ils parlent le même langage », soutient Pauline Vaillancourt, directrice artistique de Chants libres, qui a commandé l'œuvre au compositeur. Morency parle plutôt d’une « rencontre très spéciale, d’une conjonction qui aura permis à cette œuvre de naître » .

J'ai eu le plaisir de m'entretenir avec Pauline Vaillancourt, Lorraine Vaillancourt (qui dirigera l'orchestre), Pierre Morency et le metteur en scène Robert Bellefeuille. Vous pouvez lire l'article dans le numéro courant de La Scena Musicale, disponible en format PDF ici...

J'ai très hâte à cette première, pour plusieurs raisons. Tous ceux qui ont pris part à ce projet fou sont formels: on a affaire à une grande œuvre. De plus, ce n'est certes pas tous les jours qu'on peut se targuer d'avoir assisté à la création d'un opéra, surtout au Québec. J'aime aussi que le livret soit basé sur des contes de fées de madame d'Aulnoye, « revisités » par Pierre Morency qui, avec l'aide du compositeur, a fait des recherches dans les archives folkloriques de l'Université Laval afin de retrouver les contes fondateurs et les versions québécoises de ces histoires. Et puis, la musique de Gilles Tremblay est toujours chatoyante et se prêtera à merveille à cette histoire de quête, qui ne peut que continuer à nous rejoindre en cette époque parfois troublée. De plus, pour une fois, les billets sont accessibles: 40 $ et 20 $ pour les étudiants et aînés. Au plaisir de vous y croiser jeudi prochain?

Tous les détails sur le site de Chants libres...

Une image (et quelques notes) valent mille mots. Voici le (court) clip de présentation de l'oeuvre.

mardi 10 novembre 2009

Vedettes de la télé

J'avouerai volontiers que, dans mon panthéon personnel, les entrevues avec Alfred Brendel et Yo-Yo Ma sont des souvenirs que je chéris, le premier parce que j'avais l'impression de téléphoner à Dieu lui-même et le second parce qu'il était tellement généreux que j'en étais tout simplement renversée. (J'avais pourtant dû envoyer mon CV avant de pouvoir l'interviewer!)

Mais, eh non, je ne fréquente pas que les vedettes du classique en entrevue. Ce matin, par exemple, je faisais partie des médias invités pour interviewer Jayme Rae Dailey, une des quatre finalistes de la populaire émission So you think you can dance Canada. Que faisais-je au milieu des caméras de CTV, de TVA et de journalistes de La Presse et The Gazette, vous demanderez-vous? Eh bien, j'avais un article à écrire pour La Clé, le journal parents-élèves du Collège Sainte-Anne à Lachine, institution dont Jamie est diplômée (son jeune frère y complète son cursus cette année). Eh, oui, après avoir posé quelques questions plus sérieuses, j'ai pu faire ma groupie et demander un autographe pour l'ado de la maison. (Cessez de rire dans le fond! Oui, je sais, je suis sans doute la plus ado de la maison...)

Impressions, comme ça? La jeune fille est charmante, articulée, semble très saine malgré les montagnes russes émotionnelles des dernières semaines. Après-demain, elle s'envolera pour deux semaines de répétition pré-tournée canadienne. Après? Elle parle de continuer à danser, de prendre des cours, rêve de voyager et de chorégraphier, surtout si c'est avec sa sœur jumelle (qui s'était présentée elle aussi aux auditions à Montréal). Du bonbon, quoi!

Dans une chorégraphie de Nico Archambault, gagnant 2008 de l'émission...

dimanche 8 novembre 2009

Les Murs


Je n'ai pas pu attendre mon exemplaire et ai acheté une copie du livre à la Librairie du Square vendredi - et en ai profité pour mousser l'auteure auprès de la libraire qui m'expliquait combien il était difficile de se fier aux étiquettes de prix pour évaluer la qualité d'un livre. (Je ne peux que l'appuyer là-dessus, ayant « subi » Les bienveillantes il y a quelques années... Par contre, je garde d'excellents souvenirs du Goncourt 2008.)

Hier, journée grise et froide, idéale donc pour la lecture dans un fauteuil confortable, bien au chaud, je m'y suis donc (re)plongée. Oui, je connais le texte (mais ne l'avais pas relu depuis plus d'un an). Oui, je connais (très bien) l'auteure. Non, il n'y avait aucune surprise au niveau du contenu (réaménagé, peaufiné, mais resté essentiellement le même). Pourtant... Je me suis laissée happer par le style, le rythme et la musicalité des pages. (Oui, je sais, c'est une déformation professionnelle. Il ne semble exister aucun traitement valable.)

Je ne vous propose pas un commentaire de lecture objectif (et c'est pourquoi je n'ai pas osé noter le livre dans ma liste). Je laisserai à mes collègues de La Recrue le soin de le faire et ne souhaite aucunement les influencer. Mais je partagerai ici quelques passages choisis parce que, souvent, de laisser la parole à l'auteur est l'acte qui lui rend le plus justice.
« C’est ça, la vraie solitude : non pas être seul sur une île, mais parler une langue étrangère dans une foule. » (p. 30)

« La folie, c’est au-delà des mots, au-delà de l’image, on la sent, on l’inspire, elle goûte le café noir et la bile et les cigarettes, elle goûte le vide, ça nous remplit. » (p. 79)

« Oui, je sais, j’aime les premières impressions, ces toiles blanches sur lesquelles on peut peindre ce que l’on veut, cette scène ouverte à tous ces personnages que l’on veut jouer, à tous ces masques que l’on veut porter, j’aime beaucoup, c’est tellement faux pour moi et tellement vrai pour l’Autre. » (p. 88)


« Une femme qui pleure, c’est une branche qui tremble au vent, ça peut être beau, mais un homme qui pleure, c’est le désespoir humain, c’est un chêne qui s’effondre, qui s’écrase lourdement sur le sol. » (p. 146)

En complément: une entrevue et critique parue hier dans Le Journal de Montréal...

vendredi 6 novembre 2009

Minuscules extases


Ceux qui sont déjà passés chez moi le savent: si ma PAL est relativement impressionnante (pourtant, décompte fait, je ne dépasse pas les 50 titres), elle ne fait pas le poids face à ma bibliothèque de livres de recettes. J'aime plonger dans ces livres, pour reprendre une recette aimée ou m'en inspirer au quotidien (quand j'ai suffisamment de temps bien sûr pour être « originale ») et je préfère le dépaysement des cuisines ethniques aux livres de référence. Je n'ai donc pas su résister au partenariat proposé par Blog-O-Book et NiL Éditions et me suis donc proposée pour lire Minuscules extases de Denis Grozdanovitch, dernier titre de la collection Exquis d'écrivains, dans laquelle des auteurs partagent leurs coups de cœur gastronomiques, avec une délicatesse et un doigté qu'on associe aux plus raffinées pâtisseries.

Denis Grozdanovitch nous propose ici 23 mises en bouche, tantôt frivoles, tantôt touchantes, certaines franchement plutôt salées (Cadavres exquis) et d'autres parfaitement moelleuses (Gauffres). Il nous invite à partager aussi bien des souvenirs d'enfance (Crêpes, Frites ou Escargots par exemple) que de sa vie de champion de tennis et de squash. Ainsi, Cassoulet est aussi effervescent dans sa narration que la leçon a dû être lourde à digérer ce jour-là (la défaite étant un plat dont on ne reprend guère). Parfois, il nous amène dans des contrées exotiques (Figues, Chorba ou Hobbit), parfois dans la campagne française (Piquette, qui interpellera quiconque a dû subir l'enthousiasme d'un vigneron apprenti souhaitant partager « son » vin) ou même dans l'intimité de ses rituels (Thé).

Certes, les textes ne sont pas tous égaux. Ainsi, Kumquats laisse une impression d'oubli aussitôt ingéré alors que Cadavres exquis (une histoire de nécrophagie) laisse un goût plutôt acide sur la langue et dépare un peu cette carte qui se décline sinon de façon plutôt subtile. J'ai préféré de loin l'auteur dans les pages imprégnées d'une douce tendresse (Synesthésies par exemple, qui nous fait rêver de connaître nous aussi quelqu'un qui puisse nous offrir un plat qui nous représente parfaitement) à celles où il prend un ton plus docte (Café), mais j'ai adoré être conviée à une telle union entre goût et lecture. Je jetterai sans aucun doute un oeil sur d'autres titres de la collection. On est épicurien ou on ne l'est pas...

mercredi 4 novembre 2009

Escalier musical

Je déménage à Stockholm, c'est décidé, idéalement près de la station Odenplan...

Dommage que ce ne soit qu'une publicité... soupirs...

mardi 3 novembre 2009

Le prix Robert-Cliche remis à Olivia Tapiero


Moments de fébrilité et de grande émotion hier soir, lors du lancement des titres de la saison automnale de VLB éditeur (romans), l'Hexagone (poésie) et Typo (essais) quand le nom de la lauréate du Prix Robert-Cliche a été enfin révélé au grand public. J'écris « enfin » car je connaissais son identité depuis le mois de juin, ayant le privilège de connaître Olivia depuis plusieurs années, puisqu'elle fait partie de ma classe d'élèves en piano et qu'elle est devenue une amie. J'admets donc volontiers que je n'ai donc aucune objectivité face à Les Murs, ayant lu et travaillé sur trois versions différentes de l'objet (dont une première ébauche, incomplète, en anglais) et plaide volontiers coupable de lui avoir un peu forcé la main pour qu'elle transmette son manuscrit au jury du Prix Robert-Cliche.

N'empêche, de pouvoir tenir l'objet entre mes mains hier soir (même si j'attendrai patiemment « ma » copie dédicacée dès que l'auteure aura reçu ses exemplaires) m'a causé un certain émoi. D'entendre la présidente du jury Louise Portal évoquer la force de son texte m'a troublée. De réaliser qu'elle était la plus jeune lauréate (19 ans) depuis la mise sur pied du prix en 1979 aussi. De pouvoir palper l'émotion de l'auteure quand elle a accepté les hommages était incomparable. « La plupart du temps, on s’oublie pour se rapprocher de ce que la vie exige de nous. Je vous remercie tous parce que ce soir, vous me faites sentir que c’est ma vie qui se rapproche de moi », a-t-elle exprimé fort éloquemment.

Vous n'avez pas à me croire sur parole quand je vous affirme que le texte possède une force incroyable et un style parfaitement maîtrisé, qu'Olivia possède un don assez exceptionnel pour la peinture de personnages. Je glisse en passant que ce livre avait auparavant été considéré aussi bien par les éditions Albin Michel que P.O.L. Vous serez peut-être ébranlé par le quatrième de couverture. Ignorez-le. Lisez tout simplement le roman et j'espère que vous oserez m'en parler après.

La nouvelle s'est répandue sur Internet comme une traînée de poudre hier soir. Vous pouvez déjà cet article du 7 jours.

Un article sur le site de Radio-Canada, qui présente également un extrait du roman est maintenant également disponible.

dimanche 1 novembre 2009

À l'est d'Eden

Après un peu plus de deux semaines, je me suis extrait d'À l'est d'Eden hier soir. Je vous rassure: ce n'était pas que la lecture en soit si pénible, au contraire. En fait, pour être honnête, pendant la semaine qui a suivi mon retour, j'ai dû lire une heure tout au plus, ce qui n'aidait aucunement à avancer la lecture d'une telle brique. (J'ai plutôt rattrapé mon retard côté émissions télé enregistrées pendant mon absence, mea culpa.)

Ce premier plongeon dans l'univers de Steinbeck m'a convaincue presque sans restriction. Il possède une plume exceptionnelle pour tracer le portrait d'une famille sur plusieurs générations, d'une époque (la charnière entre 19e et 20e siècles), d'un lieu (le mythique Ouest américain). Mais c'est surtout dans la façon dont il traite la psychologie de ses personnages en strates qu'il m'a particulièrement éblouie. Oui, certains sont méchants (Cathy/Kate, une vraie psychotique, fait une villain terrifiante par moments) mais la plupart sont si denses dans leurs contradictions (rien n'est jamais entièrement blanc ou noir chez Steinbeck, même quand on l'impression qu'il « type » ses personnages et qu'il les place en opposition directe) qu'on ne peut qu'être fasciné par cet univers, tantôt en couleurs franches, tantôt en demi-teintes.

Les personnages m'ont habitée une bonne partie de la nuit, c'est donc dire le lien intime, presque charnel, développé avec eux au cours des dernières semaines. Après la lecture d'une telle saga, je comprends aussi combien il peut être difficile pour un auteur américain qui rêve d'écrire « le prochain grand roman américain » de se convaincre de s'y mettre. La défi à relever reste en effet énorme, même si certains (dont Richard Powers et Le temps où nous chantions) y sont parvenus.