dimanche 31 mai 2015

Tauberbach

Alain Platel et les Ballets C de B sont devenu les chouchous et c'est devant une salle conquise d'avance que s'est déroulée la représentation de Tauberbach (Bach pour les sourds ou encore Bach pour les pigeons mâles, détournement qu'a également adopté le chorégraphe en intégrant un personnage d'oiseau plus grand que nature à la proposition).

« Comment (sur)vivre avec dignité quand il nous reste très peu ? » Voilà la prémisse de Platel, qui s'inspire ici à la fois de la bande sonore Tauber Bach (dans laquelle des pages du Cantor de Leipzig sont chantées par des sourds, expérience troublante s'il en est une pour un musicien) et du documentaire Estamira de Marcos Prado, réalisé en 2004, portrait d'une schizophrène vivant dans une décharge près de Rio de Janeiro, communiquant dans une langue inventée.
Le plateau est ainsi envahi de tonnes de vêtements évoquant le dépotoir d'Estamira, mais aussi tous ces endroits souillés (beaucoup trop nombreux) qui défigurent notre terre et déforment le terme même d'humanité. Les danseurs en émergeront, s'en empareront, les lanceront, se vêtiront de quelques-uns, dans une série de tableaux colorés séduisants, qui font souvent rire, qui rappellent surtout la précarité de la vie et l'impossibilité de rester sain d'esprit dans un tel endroit.
La musique de Bach sert de fil conducteur et les segments véritablement dansés sont souvent d'une beauté à couper le souffle (quel travail sur la déconstruction du mouvement et la redéfinition des lignes!). Les autres segments (parlés, joués) m'ont moins convaincue. La langue inventée des protagonistes reste indéniablement beaucoup plus forte que ces harangues en anglais de la comédienne Elsie De Brauw (incandescente néanmoins) et on aurait pu se passer de quelques scènes sexuelles gratuites qui n'ajoutent pas grand chose au propos. Impossible néanmoins d'oublier ces moments magiques où les interprètes chantent a capella... La langue universelle à sa plus simple - et pure - expression.
Jusqu'au 1er juin au Monument-National


samedi 30 mai 2015

By Heart: y croire

On a beau avoir lu les entretiens préspectacle, des critiques de la production présentée à Québec la semaine dernière, comprendre parfaitement le concept (dix volontaires apprennent un sonnet de Shakespeare en compagnie de Tiago Rodrigues), rien ne nous prépare entièrement à l'expérience très particulière de By Heart.

Après avoir vécu l'expérience Plaza en après-midi, on ne peut que sourire en voyant se précipiter sur scène dix braves (je m'attendais à une période de négociations passablement plus longue de la part de Rodrigues), dont une bonne moitié de jeunes du secondaire (belle idée des professeurs de les avoir amenés au FTA), certaines personnalités disons plus fortes ressortant immédiatement. Chœur ad hoc, ils apprendront tous ensemble les quatre premiers vers du Sonnet XXX, se laissant d'abord guider par la voix du chef devant eux, puis suivant ses mouvements. On les sent au fur et à mesure réaliser l'ampleur de la tâche qui leur a été assignée, avant de sentir le groupe porté par une volonté commune de bien faire, de bien paraître devant le public aussi, lorsque chacun héritera d'un vers supplémentaire, parfois plutôt alambiqué. « Les poèmes sont magnifiques. Chaque fois que je les lis, je découvre des choses nouvelles », aurait dit la grand-mère de Rodrigues et, en effet, à chaque audition, on entend une nouvelle allitération, comprend une autre image, ne peut nier la beauté éternelle des vers.

By Heart cependant va bien au-delà de cet apprentissage, de ce devoir de mémoire, de cet exercice que plusieurs pourraient considérer inutile, mais qui justement, de par sa nature même (comme le Tout Artaud?! de Christian Lapointe), prend un sens autre. Ne dissimulons-nous pas tous en nous des bribes de fables ou de poèmes étudiés à l'école jadis qui, parfois, nous reviennent, nous apaisent parfois? À travers une série d'anecdotes (au sujet de sa grand-mère qui, avant de perdre entièrement la vue, avait mémorisé justement quelques sonnets de Shakespeare, d'un entretien avec George Steiner mémorisé par Rodrigues, du geste de résistance du peuple soviétique entonnant un sonnet de Shakespeare à la suggestion de Pasternak, de Nadejda Mandelstam livrant chaque jour dans sa cuisine un poème de son mari à dix personnes, de Fahrenheit 451...), Rodrigues nous livre des pans de sa vie, mais surtout nous offre un espace de réflexion nécessaire, en un magnifique hommage à la mémoire, à la lecture et à la culture, véritable acte de résistance (comme ceux de Pasternak, de Mandelstam, de sa grand-mère) contre le nivellement vers le bas, l'abrutissement des masses, l'amnésie collective.

À voir ce soir ou demain, à la Cinquième Salle.

vendredi 29 mai 2015

Plaza: la vie est un théâtre

La Plaza Côte-des-Neiges est sans conteste l’un des lieux les plus étonnants de la ville. (...) Nini Bélanger fait fi une fois de plus des codes théâtraux en proposant un déambulatoire hyperréaliste dans lequel « spectateurs » et « acteurs » perdent toute étiquette, omission faite de la pastille apposée sur notre vêtement, indiquant le nombre d’années (ou de mois dans certains cas) passées à Montréal.
Pour lire mes impressions, passez chez JEU...
Osez l'expérience demain ou dimanche à partir de 15 h.

L'art de la fugue de l'ENC: d'une unité remarquable

L'excellence des finissants de l'École nationale de cirque n'a plus besoin d'être démontrée. On forme des artistes de haut niveau, polyvalents, qui ont travaillé aussi bien leur musicalité que leur gestuelle, tout en se dédiant bien évidemment corps et âme à leur(s) discipline(s) de prédilection. Cependant, les réunir sur une même scène (en deux groupes distincts) n'est pas nécessairement synonyme de véritable expérience artistique. Il est en effet facile, surtout au cirque, de tomber dans une succession de numéros sans lien apparent hormis des transitions clownesques.

Rien de tout cela avec L'art de la fugue, une mise en piste brillante, parfaitement intégrée, d'Hélène Blackburn, qui se sert adroitement de diverses pages de Bach (tantôt présentées dans leurs attributs originaux, tantôt confiés à d'autres instruments ou remixées par Éric Forget) non seulement comme liant, mais comme inspiration - difficile ici de ne pas établir un parallèle avec Opus de Circa construit sur trois quatuors de Chostakovitch.

Gestes, accessoires, jeux d'éclairages deviennent autant de motifs qui se chevauchent, se répondent. On peut évoquer ici bien sûr les chaises (leur chute par effet domino offre un superbe premier tableau), la juxtaposition du blanc et du noir (hommage indirect au monde de la musique classique), le détournement des tutus, les « fuites » des interprètes qui rappellent l'essence même de la forme fuguée, mais je m'en voudrais de révéler trop d'éléments de cette partition dense, pourtant toujours parfaitement cohérente. (Bach aurait assurément apprécié un tel traitement, limpide mais jamais simpliste, de sa musique.)

Alors qu'habituellement, quand on sort d'un spectacle de cirque, on s'interroge à savoir quel numéro on a préféré, ici, on retiendra le tout, supérieur à la somme de ses parts. Le plaisir ressenti va au-delà du spectaculaire ou des préférences que l'on peut entretenir pour les appareils utilisés. Si tous les finissants ont offert des performances de haut niveau, tous ne transcendent pas (du moins encore) les limites physiques de leurs prouesses ou font preuve d'un même charisme. Il faut souligner ici celui indéniable de Charlie Mach (et l'originalité de son numéro de chaises acrobatiques), la présence plus grande que nature d'Eivind Overland au trapèze fixe et ce, dès les premiers instants de son numéro, l'intelligence avec laquelle Ezra Weill intègre son chapeau à son numéro de corde lisse (accessoire qui deviendra sa « marque de commerce » tout au long du spectacle), l'originalité du numéro de diabolo de Fabian Galouye (qui fait fi de tous les clichés associés à l'accessoire, qui me laisse habituellement indifférente) et celui de mât chinois (avec intégration de chaise) de Baptiste Clerc, sans oublier le lien immédiat qu'Aaron Marquise, en clown maladroit mais indéniablement attachant, a su établir avec le public (qu'il dispose ses chaises lors de l'entrée en salle, se mette les pieds dans les plats ou interagisse avec un heureux volontaire).

Une indéniable réussite!

Vous avez jusqu'au 7 juin pour voir ce spectacle ou Les étinceleurs (mettant en vedette les autres finissants). Informations et horaires ici...

jeudi 28 mai 2015

What happened to the seeker?: À la recherche du centre perdu

Protéiforme par sa nature même, What Happened to the Seeker? laisse perplexe. Si on ne peut que saluer son côté bricolé, on se retrouve, une fois à l’air libre, avec une impression que l’objet proposé par Nadia Rosse et STO Union nous a glissé des doigts, de ne pas savoir s’il fallait prendre la chose au premier ou au énième degré.

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mercredi 27 mai 2015

Solitudes duo: beauté baroque

Photo: Denis Farley
Prolongement naturel de Solitudes solo, le précédent spectacle de Daniel Léveillé présenté au FTA en 2014, Solitudes duo se révèle une proposition véritablement baroque. Déjà, elle s’articule largement autour de l’intériorité sublimée des adagios des concertos pour piano de Bach et de l’effervescence de pièces pour clavecin de Pancrace Royer, dont une magnifique utilisation de La marche des Scythes.

Pour lire le reste de ma critique, passez chez Jeu...

Vous pouvez encore vous glisser en salle ce soir et demain.

lundi 25 mai 2015

Tout Artaud?!

Christian Lapointe est sur la scène de La Chapelle depuis samedi matin 7 h. Il serait sans doute plus juste d'écrire « vit sur la scène », car il y dort, y fait ses besoin, y procède à ses ablutions, y écoute de la musique, interagit avec le public. Une performance qui repousse les limites même du terme, mais surtout qui vise à faire entendre la parole d'Antonin Artaud. L'intégrale plus précisément (en 28 volumes chez Gallimard), si le corps du lecteur/acteur/metteur en scène le permet. 

Comment pourra-t-il encore transmettre les mots d'un autre quand cela fera quatre jours qu'il n'aura dormi que deux heures, ne se sera pas arrêté plus de quelques minutes à la fois, ressentira dans sa chair les limites de son humanité, de sa mortalité? Atteindra-t-il un stade de transcendance qui lui permettra de repousser - voir anéantir - ses limites?

La façon dont s'est naturellement formée une communauté autour de l'événement reste fascinante. On suit les progrès de sa lecture sur les réseaux sociaux, se réjouit de voir de plus en plus de doubles pages joncher le sol de la salle, ne peut que s'émouvoir du soutien que sa mère affiche publiquement, incitant tout un chacun à aller voir son fils, ne serait-ce que quelques instants. On signe son nom, on entre, on s'installe. D'autres en profiteront peut-être pour sortir. On dépose une fleur, un bouquet, en plastique, dessinée, en pot. Une façon de payer ses respects à l'interprète, de se recueillir une seconde aussi sur la tombe d'Artaud dont on ne connaît au fond que bien peu de choses. Le théâtre de la cruauté, oui mais encore... Pourtant, le concept reste d'une rare pertinence, en ce 21e siècle perclus de stimulations et de technologie, écho direct à ce qu'Artaud évoque comme « l’atmosphère asphyxiante dans laquelle nous vivons  ». 

Quand j'y ai fait un saut cet après-midi (une heure à peine, mais j'y retournerai), il a été question du rôle de l'artiste, du théâtre, de l'élite, de la frontière qui devrait être plus floue entre culture populaire et élitisme. Difficile de ne pas se sentir interpellé, que Lapointe nous le chuchote presque, nous le lise au micro ou nous offre une troublante superposition d'univers sonores, un des micros étant placé directement sur le ventilateur pendant un moment. Chacun réagira directement au texte, en fera au fond ce qu'il voudra. Pourtant, quelques minutes, plusieurs heures, il aura choisi de défier le temps, d'oublier les contraintes liées au spectacle (coût, durée, codes), de poser un geste gratuit de soutien, d'intérêt, de curiosité, d'amitié...

Quand on réalise la démesure du projet, de son impact indéniable sur Christian Lapointe - Comment traversera-t-il le tout? Qui sera-t-il devenu à la fin du périple? Comment cela influera-t-il sur sa vie créatrice ou personnelle? -, on réalise qu'il serait impensable de passer à côté.


vendredi 22 mai 2015

Dancing Grandmothers: une irrésistible invitation au vivre ensemble

Impossible de résister à Dancing Grandmothers de la Eun-me Ahn Company de Séoul qui ouvre avec brio cette 9e édition du FTA ! Haute en couleurs, inspirée, inspirante, la production nous fait voyager sur les routes de campagnes de Corée du Sud autant que dans un passé qu’il est trop facile d’oublier.

Pour lire ma critique, passez chez Jeu...

Il reste quelques billets épars pour ce soir. N'hésitez pas!

jeudi 21 mai 2015

Gauvreau le magnifique

Claude Gauvreau est l'un de ces monstres sacrés que l'on révère autant que l'on craint. Poète souvent explosif, dramaturge qui dissèque avec une rare clairvoyance la société dans laquelle il évoluait, essayiste, romancier, épistolier, Gauvreau demeurera toujours un personnage plus grand que nature. Que l'on ait vu une fois ou vingt sa prestation à la mythique Nuit de la poésie de 1970, impossible de ne pas être renversé à chaque fois par son incommensurable magnétisme. Souvent cité, mais en réalité assez peu monté, Gauvreau est sans doute victime indirecte de sa propre ombre portée.

Belle idée donc de la SMCQ de clôturer sa saison par un hommage en mots et en musique à cet artiste iconoclaste, devant une salle archi-comble. S'y côtoyaient le prélude de la musique de scène de L'asile de la pureté  (enfin monté en 2004 par le TNM, plus de 50 ans après sa complétion!) et sa maintenant bien connue Valse de l'asile de Walter Boudreau, des extraits de deux pièces phares dans une mise en scène de Lorraine Pintal, la prestation de Gauvreau lors de la Nuit de la poésie et une version pour deux pianos du dernier mouvement du Concerto de l'asile, créé en janvier 2013 par Alain Lefèvre et l'OSM. L'expérience aurait certes été plus satisfaisante si elle avait été conçue comme un nouvel objet dramaturgique, d'un seul tenant, les applaudissements étant réservés à la toute fin de la proposition.

Que retiendrons-nous essentiellement de cette soirée? La parole, essentielle, de Gauvreau, qu'elle soit suggérée comme dans le prélude de L'asile de la pureté, brillant collage électroacoustique de Boudreau, auquel se superposaient les voix et les cloches (des feuilles de métal de différentes tailles) de l'Ensemble Mruta Mertsi, ou explicitée, à travers des extraits de L'asile de la pureté et de La charge de l'orignal épormyable. François Papineau (qui avait incarné le monumental Mycroft Mixeudeim au TNM en 2009) a démonté ici toute la puissance et la profondeur de son jeu, happant le spectateur en quelques secondes à peine, qu'il joue la carte de la folie démesurée ou de l'intériorité et de la contemplation d'un amour blessé. Superbe idée ici de faire dialoguer les mots de Gauvreau avec la prestation sur instrument inventé d'André Pappothomas (on avait déjà pu tomber sous le charme d'instrument et interprète lors de la production de l'opéra Notre Damn à l'automne 2014), ces cordes pincées, frottées, détournées, nous permettant d'une certaine façon d'entrer dans la tête de Donatien Marcassillar ou Mycroft Mixeudeim (Gauvreau lui-même).

Alain Lefèvre nous a offert une prestation toute en finesse de la Valse de l'asile, parfaitement dégagée, tantôt intime, tantôt presque orchestrale, portée par l'ampleur du souffle et la subtilité des multiples rubatos. Il reviendrait sur scène après la projection de la prestation de Gauvreau lui-même, magnétique, qu'il récite en exploréen ou nous livre des textes en apparence plus accessibles, cette fois en compagnie de Matthieu Fortin dans une version pour deux pianos de « La charge de l'orignal épormyable », dernier mouvement du Concerto de l'asile. Difficile ici de ne pas regretter la puissance, mais surtout les couleurs de l'orchestre et ce, malgré un soutien irréprochable de Matthieu Fortin, particulièrement raffiné, jouant sur les textures et les couleurs. Si cet arrangement pour deux pianos permet d'appréhender la rythmique complexe du mouvement de l'intérieur d'une certaine façon, l'opposition entre masse orchestrale et piano est nécessaire pour saisir les paliers de l'émancipation de Gauvreau de ses tortionnaires (le deuxième mouvement se passant à Saint-Jean-de-Dieu, rappelons-le) et apprécier au maximum le déploiement de la virtuosité soliste. À quand l'enregistrement avec orchestre?

« La banalité est la loi. L’unique est tabou. Les hommes justes souhaiteraient qu’il fût possible d’expier d’être unique. Hélas, l’unicité est inexpiable », écrivait Gauvreau dans les premières lignes de son roman Beauté baroque. La soirée d'hier nous a rappelé la pertinence de cette parole certes mordante, mais surtout appel à une prise de conscience tant individuelle que collective.

lundi 18 mai 2015

Silent Night: magique

Photo: Yves Renaud
L'Opéra de Montréal nous offre une fin de saison exceptionnelle avec la présentation de Silent Night de Kevin Puts, œuvre qui a obtenu avec raison le Prix Pulitzer en 2012. S’il s’inspire directement du film Joyeux Noël de Christian Carion (sorti en 2005) qui lui-même relate une trêve unique dans l’histoire, l’opéra va encore plus loin, grâce à un livret rodé au quart de tour de Mark Campbell et à une partition particulièrement soignée, accessible, d’une grande clarté de Puts. L’ensemble jette un éclairage non pas global sur un événement, mais s’attarde à l’humanité de chacun des personnages.

Même si l’œuvre se déroule en cinq langues (français, anglais et allemand pour les militaires, italien pour la scène d’opéra mozartien, adroite mise en abyme, et latin pour la messe de Noël commune) et que le compositeur utilise un vocabulaire musical distinct pour chacune des armées (on y retrouvera par exemple des pastiches de Bach, des foisonnements de couleurs orchestrales indéniablement français et l’intégration de la cornemuse ou de l’harmonica sans que cela ne semble plaqué), le tout est adroitement lié par un leitmotiv discret aux cordes. Certains pourraient qualifier l’approche de postmoderniste, mais ici, cela s’articule autrement, laissant transparaître la palette unique de Puts. (Silent Night peut assurément être considéré dans le prolongement des symphonies du compositeur.)

La distribution se révèle ici sans faille aucune, autant les solistes que le chœur, impeccablement préparé (tout à fait exceptionnel dans « Sleep »). Rien n’a été laissé au hasard en cours de répétition et cela s’entend. Marianne Fiset en Anna Sørensen, ange des champs de bataille et amoureuse prête à tout pour ne pas être séparée du ténor Nikolaus Sprink (tout aussi excellent Joseph Kaiser), convainc du début à la fin. Philip Addis en Lieutenant Audebert transmet bien la fragilité de l’homme qui s’inquiète au sujet de sa femme et de son fils (pas encore né quand il est parti pour la guerre), Alexandre Hajek nous livre un Lieutenant Gordon tout en subtilité, Alexandre Sylvestre trouve un rôle à la mesure de ses dons d’acteurs avec Ponchel et Daniel Okulitch offre une belle profondeur à son Lieutenant Horstmayer.  

La mise en scène d’Eric Simonson tire parti du décor de Francis O’Connor, plateau tournant nous permettant de passer en quelques secondes d’un camp à l’autre, ajoutant une dimension presque cinématographique à la proposition (soutenue par les projections jamais envahissantes d’Andrzej Goulding), mais ici, indéniablement, c’est la musique de Puts qui joue le premier rôle. Mené de main de maître par Michael Christie (qui a dirigé l’opéra à de nombreuses reprises, notamment lors de la création), l’Orchestre Métropolitain fait lui aussi un sans-faute dans la fosse.

À voir absolument!

dimanche 17 mai 2015

Le repas des fauves: un souper moins que parfait

Le Repas des fauves est l’une de ces productions qui font envie sur papier : une pièce montée plus de 600 fois à Paris, lauréate de trois Molières, un page d’histoire qui sert de toile de fond à l’expression de la lâcheté humaine, une distribution toutes étoiles, une metteure en scène qui n’en est certes plus à ses premières armes… On voudrait souscrire à la proposition, saluer la pertinence du texte, la densité du jeu des acteurs, mais cela se révèle impossible ici.

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vendredi 15 mai 2015

Joanie Lemieux recrue de mai

Quand elle était enfant, Joanie Lemieux rêvait d’être astronome. « Ce qui me paraît intéressant, c’est que sous certains aspects, mon travail d’écriture actuel ressemble parfois à mon idéal d’enfant, nous explique-t-elle dans ses réponses à notre questionnaire. Alors que je pensais passer ma vie à fouiller le ciel, je me retrouve à m’étonner de l’infiniment petit des faits et gestes humains, d’une cicatrice, d’un soupir, d’un sourcil froncé, d’une lèvre retroussée; je cherche à deviner l’histoire de cette femme âgée à l’épicerie, de cet enfant seul dans le métro, de cet homme avec le bouquet de fleurs. Pour moi, il s’agit encore et toujours du même choc, des mêmes questions : comment est-ce possible qu’on soit ici, vivants, à cet endroit? Existe-il autre chose, derrière ce qu’on voit? Qu’est-ce qui est réel et qu’est-ce qui ne l’est pas? »

Aucun doute ici, la frontière entre réel et imaginaire est souvent très floue dans Les trains sous l’eau prennent-ils encore des passagers? (quel titre évocateur!), un recueil de nouvelles tout en retenue qui déboulonne convictions des personnages et certitudes du lecteur.

La ligne entre être et paraître se veut aussi très mince dans La maison d’une autre, deuxième opus de notre ancienne recrue François Gilbert. Entre passions de jadis et choix que l’on fait au quotidien, ce roman nous invite à voyager au Japon autant qu’à l’intérieur de nous-mêmes. L’ailleurs est également très présent dans l’essai fouillé Ismaël contre Israël d’Esther Benfredj et La petite chambre de Raymond Miot qui nous ramène à Haïti en 1971.

Le passé et les regrets jouent un rôle clé dans Les questions orphelines de Morgan Le Thiec, récit intimiste de l’acceptation non pas d’un deuil, mais d’un départ volontaire, une mère laissant tout derrière elle, aussi bien que dans Le cinquième corridor de Daniel Leblanc-Poirier, qui revient sur les amours de jeunesse et Une respiration lente et profonde de Mathieu Forget et Catherine Parent, une envoutante bande dessinée dans laquelle maladie et tendresse dansent un déchirant pas de deux. 

« Tout peut devenir générateur de texte. Tout ce que je vois, touche, rêve, suppose, lis… » Comme la vie, la littérature d’ici n’a pas fini de se révéler… et c’est tant mieux!

jeudi 14 mai 2015

Accord parfait

Aujourd'hui, 14 mai, je célèbre 14 ans d'amitié avec Claudio. (Notre année de chance, donc!) Une idée folle m'est passée par la tête il y a quelques semaines, celle d'un journal à quatre mains, qui ne traiterait du personnel  que s'il avait une portée universelle, laboratoire d'écriture, espace de réflexion sur l'écriture, la musique, l'art, la vie, le monde qui nous entoure. La proposition a été adoptée les yeux fermés ou presque. Peu de balises, histoire de favoriser une parole libre.

Le contrat tacite auquel nous souscrirons? Déposer quelque chose chaque jour, réflexions, citations, extraits musicaux, photos, dessins, peu importe... autant de petites pierres blanches qui serviront de jalons, qui offriront un éclairage autre à cette amitié qui nous unit.

Pour vous joindre à l'aventure, c'est ici...

mardi 12 mai 2015

Journal de Marie Uguay

Il y a des livres qui traînent longtemps dans notre PAL avant que, un beau jour, on ne les en extraie. Mon exemplaire grand format du Journal de Marie Uguay aura connu un destin autre. 

Acheté sur la recommandation de Dominique, libraire chez Olivieri (maintenant copropriétaire de TuliTu à Bruxelles), il a presque aussitôt été relégué à ma table de chevet, pourtant très rarement encombrée. (On y retrouve ces temps-ci Le marteau sans maître de René Char, que je savoure à petites doses, surtout que je dois couper les pages reliées au fur et à mesure.) En juin 2012, il m'accompagnerait en France, mais ne serait ouvert qu'au retour, dans l'avion. Au fil des mois qui ont suivi, je le feuilletterais de temps en temps, en lirais quelques pages, puis il reposerait de nouveau, intouché, parfois pendant des mois. 

Quand j'ai déménagé il y a deux ans, j'aurais pu le mettre dans mes rayons, lui faire rejoindre les autres titres de ma PAL. Que nenni. Il a été déposé une fois encore sur ma table de chevet, attendant le moment où... Il y a quelques semaines, j'ai terminé cette lecture, avec une fièvre presque dévorante, souvent bouleversée par ces pages magnifiques de Marie Uguay, par la profondeur de ses réflexions sur l'écriture, le regard posé sur son quotidien (et sa maladie), la poésie avec laquelle elle évoque cet amour impossible pour Paul, son médecin traitant. Impossible aussi de ne pas être soufflé par l'immensité des sentiments du photographe Stéphan Kovacs qui a partagé sa vie, lui le responsable de la mise en forme, des annotations et de la présentation de l'ouvrage, alors qu'elle parle d'un autre avec une telle fièvre. (Peut-on parler ici de licence poétique?) Le temps était sans doute venu de la vraie rencontre.

De nombreux papillons de couleur ont accompagné ma lecture, témoins du temps qui passe, des thèmes qui m'interpellaient le plus selon les époques, souvenirs du côté absolument incontournable (pour moi du moins) de cette lecture.

Je m'en voudrais de ne pas partager avec vous quelques perles...

« Pour créer, il faut tout désapprendre, il faut douter de tout, regarder chaque chose avec étonnement, détruire les formes et produire des sens multiples, fluctuants et émouvants. » (p. 181) 
« Mon œuvre ne doit pas dévorer ma vie, mais la multiplier, l’éclairer, lui apprendre à dépasser les frontières. Reculer l’impitoyable méprise entre le concret et le mot, entre la médiocrité du vécu et l’intensité du regard. » (p. 217-8) 
« Il faudrait que la phrase naisse, que le rythme s’instaure, mais les mots tintent approximatifs, dérisoires, fugitifs. L’impossibilité d’écrire m’occupe bien plus que l’écriture elle-même. » (p. 245) 
« Je suis heureuse, je voudrais que cette vie ne cesse jamais. Montréal est à moi comme un beau "désordre universel". Je l’aime partout, tout le temps, à toute heure (même en anglais). Je ne pourrais pas quitter cette terre, cette aisance, ce laisser-aller de ciel et de terrains vagues. Se lever tard ou tôt ne change rien. Aller au cinéma, c’est ma messe. Le rituel m’enchante. Mes poèmes sont des films fulgurants, furtifs, fixes. » (p. 270) 
« Que serions-nous sans la beauté, que nous resterait-il d’humanité? Sans Schubert, sans les Baigneuses de Renoir, sans la poésie d’Apollinaire, que serait le monde? Sans ces montagnes magnifiques et ce lac splendide comme un paysage japonais, qui serions-nous et comment pourrions-nous vivre, qu’est-ce qui nous retiendrait? Sans ce visage aimé dont toute beauté nous semble jaillir, comment pourrions-nous continuer de vivre? » (p. 313) 
« Tant que l’on peut écrire sur son angoisse, c’est qu’elle est encore familière, du moins qu’elle ne transforme pas encore entièrement le monde, mais nous le rend seulement malaisé et terrifiant. La maladie me fait atteindre des niveaux d’angoisse tels que le monde me devient complètement étranger et hors des limites mêmes de la terreur, c’est-à-dire dans l’insignifiance totale. Aucun mot n’a d’emprise sur la réalité, cette réalité qui me rejette. Je ne puis plus écrire, j’en suis doublement malheureuse, doublement angoissée, encore et plus seule. C’est une solitude inaltérable que même la création n’arrive pas à rompre. » (p. 315, déchirants derniers mots du journal, avant le décès prématuré de la poète)

lundi 11 mai 2015

The Tashme Project: The Living Archives

 « Shikata ga nai »... On ne peut rien y changer. Une expression qui résume comment les Japonais ont pu se résigner à être sous la tutelle américaine après la Deuxième guerre mondiale, mais aussi à accepter les camps de détention installés en Colombie-Britannique. Une page d'histoire canadienne peu glorieuse, trop peu souvent évoquée dans les cours offerts au secondaire, que j'ai découverte il y a quelques années quand est venu le moment d'écrire des notes de programme pour le concert  « Mystères du Japon » de l'OSM 

Dès le début, les Canadiens d’origine japonaise, qu’ils soient Issei ou Nissei – leurs enfants, nés ici –, ont malheureusement été victimes de discrimination massive. On leur refuse le droit de vote et même l’exercice de certaines professions libérales, la possibilité d’œuvrer dans la fonction publique ou de devenir enseignants. La Deuxième Guerre mondiale détruira la communauté japonaise de la Colombie-Britannique. Douze semaines après l’offensive japonaise contre Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, le gouvernement fédéral invoque la Loi des mesures de guerre pour ordonner le déplacement de tous les Canadiens d’origine japonaise résidant à moins de 160 km de la côte du Pacifique. En 1942, plus de 20 000 hommes, femmes et enfants – dont  75 % possèdent la nationalité canadienne! – sont envoyés dans des camps de détention en Colombie-Britannique ou dans des fermes maraîchères en Alberta et au Manitoba. Au cours des trois années qui suivront, toutes leurs propriétés seront liquidées et, en 1945, les Canadiens d’origine japonaise devront choisir entre la déportation ou la dispersion à l’Est des Rocheuses, choix endossé par la majorité, qui s’établira en Ontario, au Québec et dans les Prairies.

Parmi les camps, on retrouve celui de Tashme, au centre de ce projet conjoint de Julie Tamiko Manning et Matt Miwa, à la fois auteurs et interprètes. Devoir de mémoire ici et non représailles. Nécessité de mieux comprendre leurs racines, comment leurs grands-parents et leurs contemporains ont pu vivre cet internement. Plus de 80 heures d'entrevues ont été réalisées, desquelles ils ont extrait la matière d'un spectacle de 90 minutes dans lequel ils se mettent eux-mêmes en scène, mais qui donnent aussi une voix à des dizaines de survivants. 

Aucune lourdeur inutile ici cependant. Certes, on revient sur quelques événements essentiels (comme la vente ou le don des objets de famille avant que des familles entières ne doivent quitter leur logis, le fait que rien n'identifie le lieu aujourd'hui, recyclé en station de villégiature, les excuses et réparations du gouvernement Mulroney), mais une bonne dose d'humour et une réelle tendresse pour tous ces aînés qui ont accepté de se confier ont été instillés. Tantôt eux-mêmes, tantôt dizaines de personnages (certains particulièrement savoureux), Manning et Miwa évoquent par exemple l'effervescence des jeux d'enfants dans les camps, le sens accru de la communauté, les conditions difficiles (notamment la morsure constante du froid), les difficultés rencontrées par les Canadiens-japonais après Tashme. Le tout est ponctué de gestes du quotidien: la préparation du thé ou des boules de riz, le pliage de grues en origami, lien unissant Manning à son grand-père, même s'ils ne partageaient pas une même langue.

Cette pièce de docu-théâtre est adroitement soutenue par la scénographie de James Lavoie et Laurence Mongeau, les éclairages de David Perrault Ninacs et les vidéos de George Allister et Patrick Andrew Boivin (qui signe aussi la trame sonore). Projetées sur des surfaces réfléchissantes, celles-ci donnant une autre voix à ces survivants. Sans surprise, compte tenu de la nature du propos, la mise en scène de Mieko Ouchi joue la carte de la sobriété. On aurait sans doute pu éviter le recours à répétition au geste d'allumer l'enregistreur du cellulaire et le traitement un peu trop semblable de certains « personnages » (qui finissent par perdre un peu de leur unicité), mais cela n'enlève rien à la pertinence de la démarche et au fini du rendu.


The Tashme Project: The Living Archives- Trailer from Julie Tamiko Manning on Vimeo.

Au MAI jusqu'au 17 mai seulement.

vendredi 8 mai 2015

Des gens et des choses

Il y a de ces projets fous, qui changent une vie, celle de celle qui les lance (Heidi Miller, étudiante à la maîtrise en média-expérimental), mais aussi de ceux qui ont osé lui dire oui: dix auteurs (onze si l'on compte Heidi), un slammeur (Ivy), quatre comédiens, cinq musiciens, six illustrateurs.

Nous avons vécu pendant un mois avec un objet ayant appartenu à quelqu'un d'autre, certains trouvés dans les brocantes, d'autres donnés. Interdiction de parler de ce qui se trouvait dans la boîte blanche, de mentionner la chose dans notre texte. J'ai d'abord commencé par plus ou moins nier la présence du dit objet, que je trouvais d'une banalité affligeante. Je ne voyais pas comment je pourrais extraire une fiction de tout cela, puis j'ai compris comment lui donner une nouvelle - faussement ancienne? - vie, rêvée...

Parce qu'ici, au fond, il est question de vendre du rêve ici, quelque chose d'un peu fou dans le monde dans lequel nous évoluons ces jours-ci. Les chanceux qui assisteront aux représentations (il reste encore quelques places pour la répétition générale du 15 mai, dépêchez-vous) pourront en effet miser sur ces objets-mystères, fantômes, grâce à de magnifiques lampes interactives. S'ils remportent la mise, ils pourront non seulement repartir avec l'objet lui-même, mais aussi une copie du texte et de l'illustration l'accompagnant.

Le projet souhaite explorer nos relations avec les choses qui nous entourent. Nous concentrons-nous uniquement sur leur fonction? Ne sont-ils bons qu'à être jetés quand on s'en lasse? Je ne prétendrai pas vivre dans un environnement aseptisé ou minimaliste. (Difficile d'affirmer une telle chose quand on héberge deux pianos et une multitude de livres et de partitions.) Au contraire. Ici et là, j'ai déposé des objets, ceux que je considère importants: un coffre aux trésors, le bouchon de la mini-bouteille de champagne que j'ai bue avec une amie quand j'ai emménagé dans ce lieu, une reproduction dénichée à Kamouraska, une oeuvre réalisée par une amie que je ne vois pas assez souvent, un nez de clown, des cartes... autant de petites pierres blanches qui me rappellent où j'ai mis les pieds et combien je suis privilégiée d'être entourée d'amour...

Dans cette vidéo, vous pouvez découvrir les dix auteurs (Heidi se cache derrière la caméra, mais vous l'entendrez). Il y a quelque chose d'émouvant dans tout cela, qu'on l'admette ou non. Une chose est certaine: j'ai très hâte d'entendre les comédiens s'approprier nos mots, les musiciens les envelopper d'une autre couche de sens.


Pour en apprendre plus sur le projet...


jeudi 7 mai 2015

Je te vois me regarder: acéré

Le regard. Celui que l'on pose sur l'autre, mais aussi sur soi. Celui que l'autre pose sur nous surtout. Étrange synchronisme, deux spectacles à l'affiche ces jours-ci proposent une réflexion sur le sujet. Selfie s'attarde sur la mise en scène du soi, Je te vois me regarder se veut plutôt une réflexion, volontiers socratique, sur la femme d'aujourd'hui.

Photo: Guillaume Levasseur
Dans les deux cas, on a droit à une succession de tableaux, à des projections, à un mariage entre danse et théâtre, à une écriture collective, à certains moments volontiers vulgaires. Pourtant, alors que Selfie semble inachevé et tombe volontiers dans une certaine complaisance, on ne peut que saluer le travail de Bye Bye Princesse et la justesse du ton adopté par Mylène Mackay et Victoria Diamond, à la fois interprètes et auteures.

Je te vois me regarder peut se lire comme le prolongement naturel d'Elles XXx, présenté à La Chapelle l'année dernière. Au cri primal, à la révolte, succède non pas la sérénité - loin s'en faut -, mais une véritable introspection qui permet de débouter, parfois de façon très humoristique (la séance de gymnastique faciale que nous offre Mylène Mackay devient une pièce d'anthologie), parfois de façon tragique (le décompte des calories d'une anorexique, transmis avec brio par le jeu distancié de Victoria Diamond), les mythes entourant la féminité et le féminisme.

Photo: Guillaume Levasseur
La femme n'est-elle encore bonne qu'à nettoyer (délirantes séquences de mouvements chorégraphiés par Manon Oligny) ou à se faire traiter de salope (par un homme, par un(e) réalisateur(trice) de films porno)? A-t-on encore le droit de penser à soi, d'ébaucher des rêves qui nous sont propres plutôt que de ne « penser à rien » et à se retrouver avec une liste de « je devrais »? La flatterie et les bassesses font-elles toujours partie de notre attirail de survie (brillante vidéo nous montrant les deux actrices en train de se maquiller suivie d'un passage dans le « réel » )? Jusqu'où doit-on militer en tant que féministe?

La parole au féminin est bien présente sur nos scènes - on peut évoquer ici J'accuse d'Annick Lefebvre, mais aussi S'apparteni(e), en ouverture du Festival du Jamais lu - et c'est tant mieux. En cette période de marasme et d'intolérance, on ne peut que saluer une prise de position telle celle de Bye Bye Princesse. On souhaite longue vie à la jeune compagnie.

Jusqu'au 9 mai seulement à La Chapelle

mardi 5 mai 2015

Illusions: magique

Je m'en voudrais de ne pas revenir brièvement sur le concert Illusions proposé par l'ECM+ et le Gryphon Trio​ jeudi soir dernier, une fête foraine unique en son genre, ludisme et intensité s'y côtoyant avec un naturel étonnant.


Parfaitement exécutées, les quatre pièces proposées - le Trio de Charles Ives et trois créations, dirigées de main de maître par Véronique Lacroix - se faisaient ici écho. Ainsi, le côté presque abstrait du premier mouvement du Ives se voyait prolongé par Musique d'art pour orchestre de chambre II de Simon Martin, un jeu audacieux sur l'intervalle (parfaitement juste) de la tierce majeure, véritable tour de force qui laissait l'auditeur pantois. TSIAJ (This Scherzo is a Joke) devenait prélude à l'évocateur Wanmansho de Gabriel Dharmoo​, superbement défendu par Vincent Ranallo​ qui, dans son splendide costume inspiré de ceux des maîtres de piste des temps oubliés, nous a fait voyager dans un imaginaire foisonnant. Le finale du Trio et sa juxtaposition détonante de styles nous permettait ensuite de découvrir le Wunderkammer (cabinet de curiosité) de Nicole Lizée et ses tiroirs (parfois secrets) qui s'ouvrent et qui se referment à répétition, autant de clins d’œil se déployant sur une pulsation implacable rappelant certaines pages de Steve Reich.
Photo: Jonathan Goulet
Si les projections de Kara Blake et Corinne Merrell s'intégraient tout naturellement (même si, à certains moments, cette succession de carrousels et de chaises volantes, Véronique Lacroix se retrouvant malgré elle pivot d'une certaine façon des manèges, étourdissait) à la trame post-moderne du Lizée, on aurait aimé pouvoir écouter sans aucune interférence au moins un des mouvements du Trio de Ives (le deuxième peut-être, particulièrement flamboyant), le tulle de projection créant une distance que l'on aurait voulu voir abolie entre nous et l'impeccable Gryphon Trio.
Photo: Jonathan Goulet

Chapeau à tous les interprètes! Mélomanes ontariens. réservez votre soirée du 22 mai (Toronto) et du 26 juillet (Ottawa, dans le cadre du Festival de musique de chambre). Vous ne le regretterez pas!

Fuite

« Elle ne lisait plus de livres. Moi non plus. L’excitation était trop forte pour que les pensées se concentrent sur les mots immobiles. De toute façon, si la fiction avait pu remplacer nos jours, il y a longtemps que nous aurions été sauvées. Si les romans avaient pu nous servir de maison, nous aurions cessé de chercher la fuite. » 
Mikella Nicol, Les filles bleues de l'été
Silke Otto-Knapp, AGO

dimanche 3 mai 2015

Monstera deliciosa

La couverture m'a irrésistiblement envoûtée, assez pour que je prenne le livre dans mes mains, même si La dévorante, premier roman de Lynda Dion, ne m'avait convaincue qu'à moitié et que son deuxième m'avait laissée encore plus perplexe. Quelque chose de trop formaté, de trop léché, de trop narcissique aussi peut-être.

Rien de tout cela ici, alors que j'ai lu d'un seul trait ce récit de rendez-vous manqués - avec soi, avec la vie, avec l'amour -, comme on plongerait dans un recueil de poésie, en laissant chaque phrase prendre racine et son envol à la fois.
« Le temps est du verre taillé. Précieux.Et cassant. »
Si dans ses deux premiers romans, Lynda Dion avait refusé toute ponctuation, forçant le lecteur à se couler presque malgré lui dans un rythme imposé, cette fois, elle joue la carte de la fragmentation, de la phrase très courte, parfois assassine, souvent méticuleusement polie. Nulle part un mot de trop, une digression inutile.

En passant de la première à la troisième personne du singulier (sauf en de rares occasions), loin de distancier le propos, elle permet un rapprochement, offre un espace où chacun pourra se loger, superposer son histoire ou celle d'une amie. En effet, quoi de plus universel - et de tristement banal - que cette rupture entre deux êtres qui ne se sont jamais vraiment aimés, mais qui ont choisi de s'unir pour fuir la solitude, qui décident un matin que la cohabitation est devenue non seulement impossible, mais malsaine.

Une surprise agréable, qui pourrait bien m'avoir réconciliée avec l'auteure.

vendredi 1 mai 2015

Sur Tumblr

Des citations, des photos parfois... des instants volés en prolongement de mes lectures...
Parc Montsouris. Photo: Lucie Renaud

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