lundi 30 mars 2015

TomPlay: de vraies partitions interactives

Peut-on marier adéquatement technologie et apprentissage de la musique classique? À en croire la récente application pour iPad de la société suisse Tombooks, assurément. Si Minus One offrait depuis plusieurs années déjà des accompagnements de concertos donnant l'illusion aux élèves de jouer avec un « vrai » orchestre, les limites de l'offre étaient évidentes. En effet, même si les partitions sont proposées avec deux CD, l'un à vitesse de concert, l'autre de travail, il faut admettre que même la deuxième option est souvent impraticable pour un élève moyennement doué, à moins de ralentir chaque section (on peut en retrouver une dizaine pour un seul mouvement de concerto de Mozart par exemple) individuellement avec un logiciel approprié. Lourd à gérer...

TomPlay au contraire permet de le faire avec une déconcertante facilité. Il suffit d'adapter la battue (l'icone métronome) dans l'écran d'accueil et en un clic, le tour est joué. En période d'apprentissage, on pourra aussi choisir d'intégrer une battue régulière à la lecture de la partition (qui défile en temps réel à l'écran un peu comme le ferait un logiciel de karaoké), le métronome intégré nous aidant à garder une pulsation bien régulière. L'apprenti pianiste pourra aussi choisir de ne garder que l'accompagnement orchestral ou même la battue, ce qui permet de rapidement en arriver à un tempo de travail cohérent. Détail non négligeable: l'accompagnement orchestral a été enregistré en live, ce qui ajoute une profondeur supplémentaire au rendu.

On peut personnaliser sa partition, en y intégrant ses doigtés ou toute autre indication pertinente (de nuances notamment) et l'imprimer. On accédera ensuite si désiré à la communauté des utilisateurs et déposera partition annotée ou enregistrement d'une exécution en particulier. Quelques conseils ciblés d'interprétation sont proposés en complément (on évoquera par exemple la théâtralité du concerto K. 488), même si l'on mentionne bien en introduction que rien ne remplacera jamais un contact direct avec un professeur d'expérience. 

TomPlay va encore plus loin dans l'étude de chacune des partitions proposées (pour l'instant, au niveau des concertos, on retrouve le K. 467 et le 488 de Mozart, ainsi qu'un concerto de Haydn et le Deuxième de Bach, mais plusieurs pages solo sont aussi proposées, dont la Sonate « à la lune ») en intégrant au produit une section « Auditorium - Comprendre », approche plus musicologique de l'oeuvre permettant de la cibler dans un corpus, mais aussi dans la vie du compositeur, avec photos et extraits audio. Ceux qui voudront s'inspirer par l'exemple ont aussi accès à quelques interprétations marquantes du concerto.

Le produit est soigné, attrayant, convivial et offert en français, anglais et allemand. Chaque application pour iPad ne coûte que 5,79 $ (4,99 €) et est également disponible en paquet de quatre (les deux concertos de Mozart, celui de Bach et celui de Haydn) pour 15,99 $, bien moins cher qu'une partition standard. L'offre sera augmentée au fil des prochains mois et on annonce déjà deux extraits des Scènes d'enfants de Schumann.

On peut accéder à la liste complète ici...

samedi 28 mars 2015

Javotte: conte de la cruauté ordinaire

Simon Boulerice avait frappé fort avec son roman Javotte en 2012 qui raconte l’avant-Cendrillon. Si Javotte dans le premier segment du livre semble irrémédiablement mauvaise, peu à peu, presque malgré lui, le lecteur finit par éprouver une empathie, puis une sympathie pour celle-ci, alors qu’elle cherche la reconnaissance dans les endroits les plus improbables (le lit de Stéphane, père de son ennemie jurée Carolanne notamment) et, rêve comme tant de jeunes filles, au prince charmant (le beau Luc Harvey, son voisin, bien sûr un douchebag de la pire espèce).
Jean-Guy Legault signe une adaptation en tout point fidèle au roman, n’omettant aucun élément...
Pour lire le reste de ma critique, passez chez JEU...

jeudi 26 mars 2015

Collection printemps-été: des mots et des roses

Depuis des années, Christian Vézina agit comme passeur de poèmes : les siens, mais surtout ceux des autres. Doté d’une mémoire phénoménale, il faut le voir insuffler vie à des textes dans le cadre de ses rendez-vous du Poète en robe de chambre, alors qu’il se transforme en véritable jukebox littéraire.
Avec Collection printemps-été, il a choisi de sortir de cette relative zone de confort et de céder le bâton de parole à trois comédiennes aux personnalités complémentaires (Danielle Proulx, Salomé Corbo et Elkahna Talbi), qui font entendre la voix de six femmes : deux Québécoises (Hélène Monette et Suzanne Jacob), deux Françaises (Marie Étienne et Brigitte Fontaine), une Égyptienne (Joyce Mansour) et une Mauricienne (Ananda Devi).
Pour lire ma critique, passez chez Jeu...

Collection printemps-été from Nouveau Théâtre Expérimental on Vimeo.

mercredi 25 mars 2015

Seymour: an Introduction

Ethan Hawke délaisse les planches et le grand écran pour passer derrière la caméra avec Seymour: an Introduction, un portrait particulièrement sensible du pianiste, essayiste, compositeur et pédagogue Seymour Bernstein. Quand l'acteur rencontre le musicien dans une soirée, il se sent instantanément attiré par l'aura de calme que celui-ci dégage et, presque malgré lui, évoque ce trac grandissant qui le tourmente et ses questionnements par rapport aux finalités de sa vie. Bernstein aussi est passé par là quand, à 50 ans, malgré une carrière éblouissante saluée par nombre de critiques dithyrambiques, il décide de se consacrer à l'enseignement pour fuir le trac, mais aussi la commercialisation à outrance de la musique.

Comme son contemporain Menahem Pressler (qui lui, a toujours continué de se produire en concert en plus d'enseigner), auquel il me fait penser à plusieurs niveaux, Seymour Bernstein est un pianiste intègre, qui a réfléchi en profondeur autant à la mécanique de l'instrument (alors qu'il explique par exemple à un étudiant qu'il n'a pas besoin de relever entièrement la touche pour obtenir un son plein) qu'à l'essence même de la musique. Il n'a pas peur de parler du côté artisanal de la chose et des liens qui s'établissent chez tout musicien entre travail à l'instrument et sur soi. « Vous devez apprendre à écouter, aussi bien votre moi intérieur que les autres », résume de façon magistrale un de ses étudiants. 

Ethan Hawkes a choisi de présenter un portrait en kaléidoscope du maître. Il évoquera par exemple l'amour qu'il porte depuis toujours à la Sérénade de Schubert, l'année de rêve que lui a offert une riche mécène et la Guerre de Corée (les larmes lui viendront spontanément) et les concerts qu'il a donnés avec un violoniste sur le front, son besoin inhérent de solitude. On le retrouve aussi discutant avec d'anciens étudiants (la plupart devenus pianistes professionnels), en train d'enseigner chez lui ou en cours de maître. Toujours, une douceur certaine, une écoute totale, qui permet de cerner en quelques secondes le problème, de proposer aussitôt une solution concrète. Il parlera aussi de sa passion pour la composition, de l'immuabilité de la musique. « La musique ne change jamais. Quand Beethoven a mis un si bémol, il y est pour toujours », rappelle-t-il. 

Si on hoche souvent la tête en signe d'assentiment, Bernstein n'est jamais aussi éloquent que lorsqu'il laisse le piano parler à sa place. Il nous offre une véritable leçon de maître, qu'il joue Schoenberg, Beethoven, Brahms (magnifique Intermezzo opus 118 no 2, Schumann (quelle lecture du dernier mouvement de la Fantaisie!), ses propres compositions ou devienne l'orchestre dans le Deuxième de Rachmaninov.

L'arc narratif du film n'est pas sans failles. On déplorera par exemple les deux apex successifs qui laissent le spectateur vaguement confus et les inutiles superpositions d'images ethnomusicologiques sur le Brahms (l'universalité de la musique est acquise à ce moment du récit). De la même façon, l'échange de Bernstein avec le gourou spirituel m'a semblé moins pertinent (mais a sans doute permis à Hawke d'orienter sa réflexion personnelle). Ce sont des irritants somme toute mineurs. Saluons au passage le montage attentif d'Anna Gustavi, le travail sur le son  d'Hollie Bennett et Matthew Polis (qui ont par exemple choisi de ne pas gommer les bruits de la rue new-yorkaise alors que Bernstein se produit dans le cadre d'un récital intime à la demande d'Hawke) et la tendresse indéniable du réalisateur pour son si inspirant sujet. 

Le documentaire est présenté en première le jeudi 26 mars à 20h au Cinéma Excentris, à l'occasion des séances mensuelles Docville, organisées par les RIDM. Il prendra l'affiche en programmation régulière vendredi. Courez-y.

mardi 24 mars 2015

La gigue narrative: le mot et le geste

Le numéro 154 de JEU, autour de la nourriture au théâtre, n'a pas encore été lancé officiellement, mais déjà, certains articles sont en ligne, dont le mien, sur la gigue narrative.
Une des entrevues réalisées pour la rédaction m'a notamment permis de retrouver une ancienne étudiante, à qui j'avais donné quelques cours il y a des années de cela, devenue chorégraphe, Menka Nagrani! Les (heureux) hasards de la vie!

dimanche 22 mars 2015

Demoiselles-cactus

Oui, Demoiselles-cactus aborde la question des troubles alimentaires à travers le personnage de Mélisse, vingtaine vaguement désabusée, qui traîne son mal-être d’un lieu de la ville à l’autre. Le réduire à une analyse du phénomène ou à un « témoignage » romancé serait mal le cerner. (Si l’on veut vivre l’anorexie de l’intérieur, de façon oppressante, on privilégiera Les murs d’Olivia Tapiero, Prix Robert-Cliche 2009.)
Adoptant le ton de la confidence associé au journal intime, Clara B.-Turcotte nous invite à une réflexion sur le corps : ce que nous y mettons, la perception que nous en avons, le rôle qu’il joue dans notre imaginaire amoureux ou sexuel (la potentielle pédophilie du colocataire est assurément beaucoup plus troublante que l’anorexie de Mélisse). Le corps devient armure, ennemi, enveloppe trop encombrante de laquelle on voudrait se défaire, mais aussi no mans land dans lequel les princesses d’aujourd’hui continuent de rêver, parfois de façon déjantée.
Il se passe au fond si peu de choses dans ce petit roman presque insidieux. Pourtant, la plume alerte, le don pour la formule efficace et la maîtrise de l’autodérision de la jeune auteure m’ont poussée à aller jusqu’au bout, sans respirer ou presque, et à lire Mes sœurs siamoises, recueil de poésie paru en octobre 2013, qui aborde certains des mêmes thèmes. Le foisonnement de motifs peut étourdir; peut-être faut-il les percevoir comme kaléidoscope d’une époque.

jeudi 19 mars 2015

Illusions: tout n'est...

Illusions d'Ivan Viripaev est une pièce redoutable. Elle nous enveloppe d'abord avec une douceur certaine, alors que l'on nous raconte les derniers instants de Dennis, qui exprime toute sa reconnaissance à Sandra pour l'avoir accompagné avec amour pendant plus de 50 ans. Puis, progressivement, de façon presque insidieuse, elle nous enserre, nous confronte, nous pousse à douter de tout, de ce qu'on nous raconte sur scène, de ce que l'on croit véritable dans notre quotidien.

Et si Sandra, elle, avait passé sa vie avec Dennis, mais en fait se mourait d'amour pour Albert? Et si Margaret, femme d'Albert, elle aussi avait un lourd secret qu'elle n'avait jamais révélé? Et si...? Une histoire n'est après tout jamais qu'une fiction jusqu'à un certain point, que celle-ci fasse partie du vécu de quelqu'un ou qu'elle ait été inventée de toute pièce par un dramaturge qui n'en est pas à ses premières confrontations avec le spectateur.

Ce chassé-croisé entre deux couples, ces récits d'amours et d'amitiés parallèles (ou pas), sont racontés par des narrateurs sans nom, que l'auteur suggère dans la trentaine, interprétés ici par des acteurs en ayant dix de plus, qui servent de porte-voix à des octogénaires, ce qui rend les lignes entre récit et fiction, mensonge et vérité, d'autant plus troublant. Sur une scène dépouillée de tout accessoire (hormis ceux qui se trouvent sur un chariot comprenant tout le nécessaire de bar, mais aussi des raquettes de badminton), la parole est reine. Le souvenir aussi, passé au filtre d'une certaine nostalgie la plupart du temps, mais aussi parfois d'un humour mordant. Les vidéos de David B. Ricard prolongent adroitement cette impression de temps suspendu, que l'on se laisse bercer par le mouvement incessant des vagues qui se jettent sur le sol plutôt que de rester en aplats ou que l'on contemple une ville endormie ou rêve devant le souvenir d'un ciel australien.

Le texte est bien défendu par les quatre comédiens (mention spéciale à  Marie-Ève Pelletier), mais on ne comprend pas toujours la distanciation qu'a voulu pratiquer le metteur en scène Florent Siaud, qui nous avait pourtant offert une relecture presque parfaite de Quartett de Müller. Si la partie de badminton entre copains peut nous aider à comprendre les liens entre les quatre protagonistes (aussi bien diseurs que personnages évoqués), les autres interludes laissent souvent perplexes, que ce soit cette danse effrénée démultipliée par effets stroboscopiques, cette scène de beuverie ou pire encore ce décalé karaoké qui résume la pièce, qui semble annihiler d'un seul coup l'atmosphère douce, mais subversive qui s'était installée pendant les presque deux heures précédentes.

Une voix dramaturgique à suivre assurément...

Jusqu'au 11 avril au Prospero.

mercredi 18 mars 2015

L'Aiglon: plus qu'une curiosité

L'OSM présentait hier soir en version concert L'Aiglon, opéra à quatre mains d'Honegger et Ibert, d'après la pièce de théâtre d'Edmond Rostand, qui avait connu lors de sa création en 1900 une certaine gloire, la magistrale Sarah Bernhardt y incarnant le rôle principal du Duc de Reichstadt. Certes, l'histoire de cet enfant d'empereur qui grandit en Autriche dans l'ombre de son défunt père Napoléon pourra paraître un tantinet surannée et le livret qu'a tiré Henri Cain de la pièce en alexandrins de Rostand n'est pas toujours des plus inspirés - malgré certaines jolies tournures.

Pourtant, il y a quelque chose d'assez jouissif à découvrir un opéra écrit à quatre mains (chaque compositeur ayant écrit deux actes, le troisième étant oeuvre bicéphale) par deux compositeurs qu'on ne joue plus beaucoup au concert, qualifiés à certains moments d'avoir été trop avant-gardistes, mais qui souhaitaient ici offrir « une oeuvre d'un caractère populaire et direct », qui puisse « toucher et émouvoir tous les publics, sans cesser d'être une oeuvre d'art »

D'un point de vue musical, le pari se révèle assurément tenu. Si l'on peut facilement reconnaître la signature des deux complices dans les deux valses (premier et troisième actes), il n'est pas si simple de départager les effets symphoniques privilégiés par l'un ou l'autre, certains volontiers pompiers, d'autres plus raffinés. Certaines imprécisions liées sans doute au stress de la première et à l'oeuvre donnée en première nord-américaine seront sans aucun doute gommées lors des reprises jeudi et samedi, mais la richesse des cordes est indéniable.

Tout de blanc vêtue (le reste de la distribution privilégiant le noir classique), la soprano belge Anne-Catherine Gillet porte à bras-le-corps de rôle de l'adolescent et est outenue avec conviction par le baryton français Marc Barrard dans le rôle de Séraphin Flambeau. Soulignons aussi tout particulièrement dans le reste de la distribution, entièrement canadienne, la prestance et la clarté de l'élocution d'Étienne Dupuis en Prince de Metternich et le velouté et la profondeur de Julie Boulianne. La mise en espace de Daniel Roussel contourne avec efficacité les risques de statisme liés à une présentation concert, ainsi que les projections d'Yves Labelle qui agrémentent l'écoute sans la surcharger. (On aurait pu néanmoins se passer des images de champ de bataille - tirées du Napoléon d'Abel Gance? - projetées pendant le quatrième acte.)

Devrait-on remonter impérativement cet opéra? Peut-être pas. Néanmoins, il vaut certainement la peine d'être entendu au moins une fois dans sa vie.

dimanche 15 mars 2015

Huit ans...

On ne voit pas le temps passer quand on s'amuse... Il y a huit ans exactement, je faisais un premier coucou sur Clavier bien tempéré, faisant basculer de fait deux textes la même journée, un de présentation, l'autre sur Mozart, bien sûr, le grand amour de ma vie. Je suis toujours là, 1562 articles plus tard (et j'aime toujours autant Mozart). Qui l'eut cru?

Au fil des ans, je vous ai parlé de musique et de littérature bien sûr, mais aussi beaucoup de théâtre (cette forme artistique occupant beaucoup de ma vie maintenant), de danse, de cirque, de pédagogie, de société, de philosophie... Impossible pour moi de me confiner à un seul genre, un seul filon. L'important restera la transmission, encore et toujours...

Clavier bien tempéré s'est voulu dès le début prolongement de mon travail de journaliste culturelle, mais je n'avais pas réalisé en cliquant sur « publier » la première fois qu'il me permettrait surtout de rencontrer d'autres passionnés et de nouer des liens durables avec plusieurs d'entre eux. Je pense ici tout particulièrement aux collaborateurs de La Recrue du mois, présents ou passés, dont le numéro de mars est justement lancé aujourd'hui et qui met en lumière Demoiselles cactus de Clara B.-Turcotte. À découvrir impérativement ici...

vendredi 13 mars 2015

Chants du capricorne: courants telluriques

Photo: Yves Dubé
Qu’on l’ait vu au Musée d’art contemporain en 1995, en tournée, sur vidéo, Chants du capricorne demeure l’un de ces spectacles qui marquent irrémédiablement l’imaginaire et qui, à chaque fois, permet une relecture entièrement différente de cette œuvre magistrale de Giacinto Scelsi. 

Vous pouvez lire ma critique sur le site de JEU...

Glissez-vous en salle ce soir ou demain, à l'Usine C pour cette reprise qui fera date.

mardi 10 mars 2015

Little Iliad: foudre de guerre

La production Little Iliad de la compagnie torontoise EW & FCO a été présentée à  de nombreuses reprises depuis sa création en 2010 et l'on comprend pourquoi. Ce dialogue entre deux personnages, l'un présent sur scène (Evan Webber), l'autre de façon virtuelle grâce à une astucieuse projection sur statuette (Frank Cox-O'Connell), continue de hanter le spectateur des jours après.

Est-ce parce que le dispositif favorise une intimité certaine (les spectateurs disposant tous d'un casque d'écoute comme s'ils étaient en conversation eux-mêmes avec un ami sur Skype)? Est-ce la juxtaposition astucieuse entre l'histoire de Philoctète et Ulysse (récupérée aux États-Unis comme outil thérapeutique facilitant la réintégration des soldats déployés) et celle de ces amis qui se retrouvent dix ans plus tard - l'un artiste de théâtre, l'autre militaire de fonction - et qui, au fur et à mesure de la conversation, malgré certains rapprochements liés à la magie du théâtre (les deux réinterprétant la confrontation entre Philoctète et Ulysse), ne peuvent que constater les différends irréconciliables les opposant?

La pièce pourtant ne traite pas directement des enjeux politiques et sociaux liés au déploiement des forces armées canadiennes à l'étranger, refuse de prendre position, évoque tout au plus la  « terrible égalité de la guerre ». En une petite demi-heure, elle aborde la notion même de conflit en se concentrant sur celui opposant les deux amis, le premier tentant de convaincre le second de ne pas partir, ce dernier justifiant son choix par une défense nécessaire des droits et libertés du premier. Le militaire finira par accepter qu'en devenant lui-même personnage, que la conversation devienne point de départ d'une création artistique, il pourra continuer à vivre, quoi qu'il lui arrive là-bas, en Afghanistan. Déchirant constat.

On sort de la salle troublé, réalisant que les dés étaient pipés d'avance, que la ligne demeure très fine entre les deux idéalismes traités ici, entre représentation (théâtrale ou médiatique) et réalité, entre vie et mort.

Jusqu'au 14 mars à Espace libre.

dimanche 8 mars 2015

100 Guitares en photos

Une atmosphère festive au Complexe pour l'événement 100 Guitares... Les gens étaient visiblement curieux de ce qui se passait (et plusieurs ont sorti leur téléphone pour prendre photos et vidéos) et se sont révélés en général particulièrement attentifs. Une belle initiative pour célébrer le 100e anniversaire de l'inventeur de la guitare électrique, Les Paul.

(Les photos sont cliquables.)


Tim Brady le compositeur dirigeant la section 1




vendredi 6 mars 2015

Réfléchir à la musique d'art

Fascinant comment Musique d'art pour quintette à cordes de Simon Martin créée avec brio hier soir par le Quatuor Bozzini​ et le contrebassiste Reuven Rothman, « philosophie du son  » qui réfléchit à la nature même du son et aux liens que nous devrions entretenir avec lui, se lit comme une page extrêmement organique, qui m'a à plusieurs reprises plongée dans des sonorités que l'on retrouve essentiellement dans la nature (et non produites par l'homme).

Certes, la volonté de décomposer certains gestes (coup d'archet, pizzicato, etc.), de les détourner (pièces insérées entre les cordes, traitement de Jean-François Blouin) nous sensibilise à la production même du son, à ses infimes caractéristiques, à ses multiples possibilités aussi, mais nous ramène surtout à l'essence même de ce que les anciens appelaient l'harmonie des sphères.

Je suis curieuse d'entendre ce que cela donnera lors de la création de Musique d’art pour orchestre de chambre II du même compositeur avec l'ECM+ le 20 avril prochain.

jeudi 5 mars 2015

La maison près du lac: inoubliable

Peut-on encore parler de l'Holocauste sans tomber dans un vocabulaire convenu, galvaudé, éculé? Il suffit de voir La maison près du lac des marionnettistes Yaël Rasooly et Yaara Goldring pour s'en convaincre.

Trois sœurs, la grande (Maya Kinder), la moyenne (Yaël Rasooly), la petite (Gili Beit Hallahmi). Trois petites chaises. Trois poupées qui leur ressemblent. Une pièce dans laquelle Maman les a enfermées pour les protéger, les enjoignant de continuer à marquer leur quotidien de leçons de musique, de ballet, de langues, de bonnes manières... et d'histoires de maison près du lac où il fait bon nager, peu importe les saisons qui passent, et de prince qui n'épousera ou ne sauvera qu'une seule princesse sur son cheval. Parce que, oui, on le devine d'emblée, toutes ne deviendront pas adultes et une jugera nécessaire de faire devoir de mémoire, à travers des numéros de cabaret qui ne souhaitent qu'une seule chose: les faire revivre.

Théâtre musical pour comédiennes, marionnettes (qui se désassemblent et s'assemblent pour devenir extension du corps des trois interprètes) et objets, La maison sur le lac propose un voyage dans le monde de l'enfance. Avec trois fois rien, les sœurs se servent de leur imagination pour travailler le premier mouvement du Trio opus 99 de Schubert, refaire leurs exercices à la barre, réviser leurs leçons d'allemand, de français ou d'anglais, échanger des politesses sur le goût si succulent du poulet aux prunes. La plus jeune ne peut s'empêcher de demander ponctuellement: « Où est maman? »

L'histoire (aussi bien la petite que la grande) est ici racontée sans aucun pathos et beaucoup d'humour, la musique jouant un rôle essentiel dans la narration, que ce soit la musique classique (jamais peut-être le «Traumereï » extrait des Scènes d'enfants de Schumann n'aura été aussi percutant) ou des chansons de cabaret allemand. 


À voir impérativement ce soir et demain au Festival de Casteliers.

mercredi 4 mars 2015

Rocco: construction du jeu

Un ring de boxe reproduit au centre de la 5e salle. Dans deux coins opposés, assis sur une chaise, fumant tranquillement, ignorant la foule, mais jaugeant l'adversaire, deux boxeurs, l'un vêtu d'un short rouge, l'autre bleu. On s'installe autour du ring, première rangée, histoire de ne rien manquer de l'action. Une certaine fébrilité dans l'air est perceptible. Y aura-t-il véritables coups et blessures? Où les deux complices d'ICKamsterdam, Emio Greco et Pieter C. Scholten, auront-ils tracé la ligne entre danse et boxe?

Photo: Alwin Poiana
Dès les premières secondes du spectacle, on comprend que ce que l'on a pu imaginer n'a que peu à voir avec la réalité, que les chorégraphes n'ont pas choisi de réinterpréter le langage de la boxe, mais plutôt de repousser les limites de celui de la danse. Deux danseurs/boxeurs, portant une cagoule et des oreilles rappelant celles de Mickey, nous servent un premier tableau décalé, volontiers circassien, tout en légèreté. Le premier combat peut s'amorcer entre Romulus et Remus, Caïn et Abel, Castor et Pollux, Hypnos et Tanatos: une parade toute en retenue, volontiers amoureuse, qui magnifie les mouvements, en transcende les limites, chacun devenant le miroir de l'autre, deux parts complémentaires d'un même geste, d'un même souffle.

Photo: Alwin Poiana
L'énergie bascule quand l'autre duo, ayant retiré les masques, s'affronte. La sueur perle, gicle parfois, les coups se font plus précis, la tension monte d'un cran, soutenue par un collage musical des plus efficaces, qui n'a pas peur de juxtaposer musique baroque et contemporaine, clins d’œil à la pop et à la comédie musicale. À certains moments, le spectateur est renversé par la virtuosité pyrotechnique des danseurs, à d'autres moments, il fait presque malgré corps avec les interprètes, oubliant la mélodie qu'il entend pour ne plus ressentir viscéralement que la pulsation rythmique, comme si des tambours scandaient le combat. Les rounds de trois minutes se succèdent, comme dans un vrai match, chacun adoptant une couleur autre, complémentaire.

Rupture de ton; une pause est annoncée. La poupée siliconée que l'on attendrait est remplacée par un duo d'amour décalé sur Paroles paroles de Dalida et Alain Delon (clin d’œil supplémentaire au film Rocco et ses frères de Visconti, dans lequel joue Delon, inspiration avouée des chorégraphes) avec « caramels, bonbons et chocolats » lancés dans la foule. Un sourire, un baiser langoureux, engagé, et le feu d'artifice reprend, jusqu'à un apex qui inclut les quatre danseurs et qui nous laisse le souffle coupé.

Dans le coin gauche, la boxe. Dans le droit, la danse. Au final, un seul gagnant: l'émotion dans toute sa violence, retenue ou assumée.

lundi 2 mars 2015

Les méandres de Little Lady: adorable

Danse-Cité a offert une singulière carte blanche à Sandrine Lafond, qui a notamment dansé avec Marie Chouinard et Hélène Blackburn, en plus de participer à nombre de spectacles du Cirque du Soleil. Elle nous propose ici une incursion dans le monde de l'art clownesque avec son personnage de Little Lady, une charmante créature, mi-femme, mi-coquerelle, portant de grosses lunettes, qui s'est évadée d'un centre de recherche. (Les parallèles avec La métamorphose de Kafka sont voulus.) Vivant seule, elle tente de se distraire en tricotant, mais cède régulièrement aux appels à la consommation retransmis par son fidèle poste de radio (qui diffuse aussi bien une musique efficace d'Yves Frulla que publicités ou nouvelles).

Photo: Nicolas Ruel
Little Lady décide de s'inscrire sur un site de rencontres et craque pour un jeune homme aux cheveux ébouriffés arborant lui aussi une imposante paire de lunettes. C'est à ce moment que tout bascule, autant pour Little Lady que pour le spectateur qui ne peut qu'être charmé par cette romance en devenir, moins simple qu'elle ne semble de prime abord.

Si la fin semble un peu brusquée (peut-être a-t-on souhaité suggérer un « cliffhanger » et ouvrir sur le troisième volet des aventures de Little Lady) et le premier segment s'étire parfois inutilement, le spectateur ne décrochera pas s'il est sensible à un humour en demi-teintes. 

En effet, l'essentiel du propos se trouve non pas dans le mouvement lui-même (l'interprète ne renie certes pas son passé de danseuse et d'artiste de cirque), mais dans le contact certain établi avec le public (sollicité notamment pour la prise de la photo de profil de la belle) et l'habileté avec laquelle Sandrine Lafond transmet l'émotion de l'intérieur vers l'extérieur, sans multiplier les pitreries gratuites et nous permet de toucher à l'essence même de cette étrange créature qui, au fond, nous ressemble à tant de niveaux.

Trois autres représentations dans la petite salle de l'Espace Go, du 5 au 7 mars.

dimanche 1 mars 2015

Hiérophanie: penser le concert autrement

De la grande visite hier soir au Festival MNM avec l'Ensemble Musikfabrik, un des plus réputés en Allemagne qui, non seulement a démontré l'excellence indéniable de ses membres, mais une façon autre, presque organique, de penser le concert.

Choix des plus intéressants d'amorcer le programme avec Stèle de Gérard Grisey (compositeur à l'affiche un peu plus tard cette semaine également), duo - mais jamais duel - de percussionnistes. La pièce est suffisamment intéressante pour séduire sans aucun artifice, surtout interprétée avec une telle rigueur, mais il faut admettre que le choix de plonger salle et scène dans le noir (surtout un soir de Nuit blanche!) et de n'offrir que des lumières ponctuelles (sur l'un ou l'autre des musiciens, sur les mobiles miroitant qui seraient intégrés à la pièce de Vivier) permettait une écoute autre, plus concentrée, rythme et volume (du presque chuchotement à énergie tribale) émergeant tout naturellement.

Einklang freier Wesen (Harmonie d'êtres libres) de Georg Friedrich Haas a été présenté ici en version pour trois cuivres (trompette, trombone et tuba). Ces solos qui deviennent à certains moments duos ou trios se veulent une métaphore intéressante de nos destinées parallèles, mais qui devraient s'unir ici et là dans un but commun. Comme les trois parties sont reliées de façon harmonique et que la forme présente des césures claires, les points d'ancrage se font tout naturellement, chaque instrumentiste participant à l'érection d'un édifice sonore cohérent, sans pour autant perdre un iota de son individualité. Une façon certes autre de penser la musique de chambre.

La pièce de résistance était indéniablement la première montréalaise d'Hiérophanie de Claude Vivier, pour soprano et ensemble, une oeuvre de jeunesse présentée dans le cadre de son Concours au Conservatoire de musique de Montréal, alors qu'il n'avait que 22 ans. La proposition est assez fascinante - et par moments déstabilisante diront certains - en ce qu'elle contient indéniablement tous les germes de ce qui distinguera Vivier plus tard: un détournement de certaines musiques dites orientales, un travail concerté sur les timbres, un amour authentique pour la voix (Rebecca Woodmass s'est révélée magistrale ici), une manipulation de l'arc dramatique indéniable et ce regard tourné vers le monde de l'enfance.

Le rendu volontiers théâtral des membres de Musikfabrik (tous en pyjamas) qui se promènent sur scène ou dans la salle réveille l'enfant intérieur plus ou moins oublié, qui réagit aux histoires (dont celle d'Alice aux pays des merveilles), s'attarde aux incongruités (difficile de ne pas sourire quand les musiciens échangent leurs instruments) et se laisse bercer par mélodies folkloriques. Comment résister à l'interprétation à mi-voix d'une chanson enfantine allemande par un des trompettistes quand celle-ci se fait à quelques centimètres à peine de votre siège? Si chaque spectateur a forcément ressenti la pièce de façon unique, j'ai eu l'impression à plusieurs instants de me retrouver dans le Neverland de Peter Pan et de perdre jusqu'à un certain point la notion même de temps (la pièce ne m'a certes pas paru durer 40 minutes).

Un moment qu'il fallait vivre en salle et qui, je le pense, ne rejoindra pas de façon aussi directe les auditeurs qui le découvriront lors d'une diffusion ultérieure dans les cadre des Soirées classiques d'ICI Musique.