La production Little Iliad de la compagnie torontoise EW & FCO a été présentée à de nombreuses reprises depuis sa création en 2010 et l'on comprend pourquoi. Ce dialogue entre deux personnages, l'un présent sur scène (Evan Webber), l'autre de façon virtuelle grâce à une astucieuse projection sur statuette (Frank Cox-O'Connell), continue de hanter le spectateur des jours après.
Est-ce parce que le dispositif favorise une intimité certaine (les spectateurs disposant tous d'un casque d'écoute comme s'ils étaient en conversation eux-mêmes avec un ami sur Skype)? Est-ce la juxtaposition astucieuse entre l'histoire de Philoctète et Ulysse (récupérée aux États-Unis comme outil thérapeutique facilitant la réintégration des soldats déployés) et celle de ces amis qui se retrouvent dix ans plus tard - l'un artiste de théâtre, l'autre militaire de fonction - et qui, au fur et à mesure de la conversation, malgré certains rapprochements liés à la magie du théâtre (les deux réinterprétant la confrontation entre Philoctète et Ulysse), ne peuvent que constater les différends irréconciliables les opposant?
La pièce pourtant ne traite pas directement des enjeux politiques et sociaux liés au déploiement des forces armées canadiennes à l'étranger, refuse de prendre position, évoque tout au plus la « terrible égalité de la guerre ». En une petite demi-heure, elle aborde la notion même de conflit en se concentrant sur celui opposant les deux amis, le premier tentant de convaincre le second de ne pas partir, ce dernier justifiant son choix par une défense nécessaire des droits et libertés du premier. Le militaire finira par accepter qu'en devenant lui-même personnage, que la conversation devienne point de départ d'une création artistique, il pourra continuer à vivre, quoi qu'il lui arrive là-bas, en Afghanistan. Déchirant constat.
On sort de la salle troublé, réalisant que les dés étaient pipés d'avance, que la ligne demeure très fine entre les deux idéalismes traités ici, entre représentation (théâtrale ou médiatique) et réalité, entre vie et mort.
Jusqu'au 14 mars à Espace libre.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire