mercredi 22 juillet 2009

Un coeur rouge dans la glace


« Toutes celles, tous ceux qui écrivent sont des abandonnés. Il nous faut sans cesse inventer notre vie, sans quoi c'est l'horreur et on veut se cacher tellement on a honte. » Robert Lalonde possède une voix bien particulière, qui pourrait séduire certains lecteurs et en déstabiliser d'autres. Peu d'auteurs maîtrisent aussi admirablement leur écriture pour créer l'illusion d'un arrêt subtil du temps, qui nous permet d'apprécier chaque bruissement d'une nature en perpétuel mouvement. Peu d'auteurs parlent avec autant de tendresse et de vérité du métier d'écrivain, des embûches qui jonchent le quotidien, des déchirements, des interrogations. « Écrire, ce n'est pas raconter une histoire. C'est s'attaquer à l'indicible, c'est chercher la transparence. »

Dans Un coeur rouge dans la glace, Lalonde oscille entre deux genres qu'il a abordés par le passé: la nouvelle et le roman, et nous propose plutôt trois novelle, qui nous permettent de plonger dans trois univers distincts mais complémentaires, de suivre trois fils de vie, de retrouver aussi certains traits de l'auteur. Avant de plonger dans l'univers de Lalonde, il faut néanmoins accepter d'adopter un autre rythme de lecture, de s'investir dans une certaine réflexion, de ne pas souhaiter choisir la facilité. Son style n'est pas véritablement ardu mais il faut parfois le suivre dans des chemins de traverse. « Je découds mon existence entière, me déchire en trente-six lambeaux dans la nuit, abasourdi de me reconnaître dans ce carnage. Toutes mes composantes se croisent et se fuient, comme ces taches de rouge, de jaune et de noir sur les tableaux de Riopelle. Au coeur de l'ouvrage, un tourbillon, un abîme de lumière que je regarde enfin franchement. »

Dans la première nouvelle, un professeur d'université, qui a de la difficulté à accepter son veuvage, dialogue avec le fantôme de Virginia Woolf, dont l'ombre plane bien sûr sur ces pages, tant au niveau de l'imaginaire que de certaines tournures adoptées.
« Elle n'allait pas tarder à m'apprendre qu'il n'y a que l'échec pour nous garder jeunes, que les ratés sont plus insouciants que ceux qui ont réussi et que tout animal de race ne peut s'empêcher de tirer sur sa laisse. » À travers d'autres rencontres-clé (avec des personnes bien « réelles » celles-là), à travers certains retours sur lui, il finira par assumer certains choix et optera pour une vie toute autre.

Dans la deuxième (qui donne son titre au recueil), un autre écrivain cherche à retrouver son frère, disparu un bon matin sans laisser de trace. Cousue de références au Grand Meaulnes, cette novella devient un road-trip littéraire, qui mène plutôt en soi qu'ailleurs. Le narrateur rencontrera en route Nicolas, dont l'histoire reprend de façon assez troublante une nouvelle particulièrement réussie du recueil précédent de l'auteur, Espèces en voie de disparition.

La troisième, Traduire Allison, est magistrale. Un auteur en manque d'inspiration part rencontrer une poétesse américaine, pensant retrouver le fil de son récit. Le destin en décidera autrement et il la suivra sur les plages de Cape Cod, traduisant au fur et à mesure les poèmes qu'elle soutire aux éléments. (Lalonde en profite d'ailleurs ici pour y aborder le délicat travail du traducteur, déjà évoqué dans Le monde sur le flan de la truite.) Sans trop l'avoir souhaité mais sans le combattre, il tombe amoureux d'Allison et essaie de lever le voile (qui ne sera jamais entièrement déchiré) sur le passé douloureux de celle qui grave ses poèmes dans le sable mouillé avec un bâton. Là aussi, le périple sera principalement intérieur.


Le livre refermé, les personnages continuent de nous habiter, on continue de les suivre en pensée et on se retrouve avec une furieuse envie de lire, d'écrire, de vivre. Bien peu d'auteurs sont capables de nous guider sur cette route.

8 commentaires:

Venise a dit…

Qu'il serait heureux d'entendre cette critique ! Qu'il pousse ses lecteurs en soi le ravirait, et qu'il leur donne le goût de lire et d'écrire le comblerait.

J'aime beaucoup ta critique, sensible et ouverte à arrêter le temps, qui démontre une personne qui n'a pas peur de se noyer en plongeant en soi.

Lucie a dit…

J'espère qu'un jour, nos routes se croiseront. J'aime beaucoup son écriture et la façon dont les mots deviennent matériau, inspiration, médiation.

Lucie Octeau a dit…

J'ai toujours une liste de titres jetés sur un bout de papier et que je trimballe dans mon portefeuille, au cas où. Mais là, pas question d'attendre que ce « Coeur rouge dans la glace » se pointe au carrefour par pur hasard... Vous avez soulevez la vague de l'urgence! Vive l'achat en ligne!!!

Lucie Octeau a dit…

Vous avez soulevé la vague de l'urgence tellement fort que je n'ai pas pris le temps de me relire... désolée pour tant de z!

Lucie a dit…

Vive l'enthousiasme communicatif!
Et surtout, n'hésitez pas à partager votre appréciation de lecture ici même si le cœur vous en dit!

P.-S. Belle découverte que le blogue auquel vous collaborez, celui du Spa d'Eastman!

Claudio Pinto a dit…

Une autre à noter dans ma liste des livres à lire.

Merci pour ce super compte-rendu!

Karine :) a dit…

Quel beau billet! Je note tout de suite même si je ne suis pas très "nouvelle" au départ!

Lucie a dit…

Claudio: je te l'aurais bien prêté mais je l'avais pris à la bibliothèque!

Karine: J'ai un peu moins aimé la deuxième mais les autres, wow!