Je m'en voudrais de ne pas revenir sur le concert présenté lundi dernier au Lion d'Or par Les salons de l'Ombre Jaune, mettant en lumière deux œuvres de la compositrice Cassandra Miller,
L'été deux mille douze (une création) et
Bel canto, pièce lauréate du Prix Jules-Léger du Conseil des Arts du Canada (musique de chambre).
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photo : Amy Horvey, 2011 |
Cassandra Miller possède une voix distincte. Sa musique laisse une part non négligeable de liberté aux interprètes (pour s'en convaincre, on peut regarder une des
partitions de Bel canto ici), mais à aucun moment, l'auditeur n'a l'impression d'être témoin d'une improvisation, les choix interprétatifs restant encadrés. Ce qui est le plus troublant peut-être est la façon dont les deux pièces entendues happent de façon presque viscérale. On résiste à peine au tout début, le temps d'apprivoiser un langage, et puis on se retrouve plongé en soi ou encore dans un état de quasi transe, comme si on se lovait au cœur même du son.
Ainsi, déjà, au milieu du premier des six mouvements de
L'été deux mille douze, les harmonies modales rappelant par moments les chants gaéliques ou celtiques maximisaient un certain état de nostalgie qui ont fait surgir en moi certaines images plus ou moins refoulées des manifestations du Printemps érable, émotions canalisées dans le deuxième mouvement par le martèlement des pas de la chanteuse, le lyrisme du violoncelle s'opposant au côté militaire du piccolo (Geneviève Déraspe, excellente, commanditaire de l’œuvre avec Marie-Annick Béliveau). On passe ensuite du tumulte au calme éthéré, avec des pages troublantes pour violoncelle et piano. Le violoncelle devient voix humaine, avec des inflexions parfois presque douloureuses. Yegor Dyachkov n'a rien perdu ici de son impressionnante musicalité. Dans son solo, Brigitte Poulin a su démontrer une remarquable délicatesse de toucher (que l'on a pu apprécier également en ouverture de programme dans l'atmosphérique
Vertigo Beach de Nicole Lizée). Le cinquième mouvement maximisait les oppositions entre calme (voix et piano) et fièvre (violoncelle). Saluons ici le travail des éclairages de Jonas Bouchard qui mettait en relief certains déplacements ou postures des interprètes. Le dernier mouvement, jouissif, reprend un texte de Gaston Miron. Avec des dons d'actrice consommée (qu'elle démontrera également en
deuxième partie, alors que ses deux lectures de « Vissi
d'arte » de
Tosca, l'une pour diva, l'autre pour ténor caractériel, encadrent
Bel canto, qui reprend en partie la ligne mélodique de l'aria, mais de façon déstructurée), Marie-Annick Béliveau devient Miron, inflexions et interruptions dans le débit incluses.
Après la cérémonie officielle de remise du prix Jules-Léger, on a pu entendre l’œuvre lauréate,
Bel canto, hommage ému à Maria Callas, pour deux ensembles (un trio de cordes et un quatuor formé d'une flûte, d'une clarinette, d'une guitare et de la chanteuse). Marie-Annick Béliveau nous emprisonne rapidement dans les filets de sa voix, qui finit par posséder un caractère incantatoire. Comme chez Scelsi, la pulsation cardiaque de l'auditeur, bercé ou hypnotisé, finit par s'abaisser, les repères par se dissoudre. Le temps semble s'effilocher, le son enveloppe, devient châle dans lequel se blottir, se souvenir, oublier. Une étonnante expérience de lâcher-prise musical.
On peut découvrir plusieurs œuvres de la compositrice
sur son site, dont Bel canto, que j'ai réécouté avec plaisir deux fois déjà.