Je l'avoue honnêtement: je ne suis pas friande de biographies et encore moi d'autobiographies (surtout celles écrites par un nègre ou rédigé par un auteur complaisant à la solde de l'agent de l'artiste), même si j'aime glaner des informations ici ou là dans des textes consacrés à des compositeurs, qui me permettront de mieux saisir une oeuvre, l'état d'esprit qui a mené à sa conception, les émotions qui déchiraient l'artiste quelques semaines ou quelques jours avant.
Pourtant, j'ai plongé pendant plus d'une semaine dans Wasted de Marya Hornbacher, sous-titré « A memoir of anorexia and bulimia » et ce, avec un plaisir teinté par moments de surprise horrifiée. Depuis plus d'un an, une de mes jeunes amies se débat sur une base quotidienne avec ce grave problème. Quand on assiste, témoin plus ou moins impuissant en périphérie, à ce combat inégal de l'esprit contre le corps, à l'éclosion puis à l'impétueux contrôle qu'exerce cette folie en apparence douce mais terriblement dévastatrice sur un esprit malléable, quand on se reconnaît parfois dans les mensonges que notre esprit conditionné par la contemplation de figures filiformes sur papier glacé nous souffle à l'oreille sur une base quasi-quotidienne, on ne peut qu'être interpellée par la lecture de cet ouvrage paru en 1999.
Loin de se complaire dans la fange qu'affectionne ces temps-ci les auteurs d'autofiction (j'étais par moment révulsée à la lecture de Folle de Nelly Arcan), l'auteur se met en scène, sans fard, pleinement assumée dans sa démesure, et nous fait plonger avec elle dans les remous de ce mal qui a rongé une partie de son enfance, toute son adolescence et qui continue de régimenter les décisions qu'elle prend aujourd'hui, au début de la trentaine. L'écriture est directe, parfois crue (les gros mots sont utilisés, mais jamais de façon complaisante) mais reste limpide, lumineuse, lyrique. En réussissant à se dissocier d'une certaine façon d'elle-même, elle nous convainc avec plus de véracité, nous prend par la main avec douceur mais nous force à faire face à ses démons, à nos démons. Elle nous démontre (et démonte) les mécanismes mentaux qui ont mené à ce qu'elle veuille disparaître en se laissant mourir à petit feu. « It seemed to me that only our means were different; our ends were very much the same. Carving away at the body to—symbolically and literally—carve up an imperfect soul. »
L'auteur entretient une relation des plus malsaines avec la nourriture, certes, mais voue un amour inexorable à la littérature, à la poésie, à l'écriture (elle a d'ailleurs également signé un roman, The Center of Winter et nombre d'articles dans des journaux et des magazines). On pourra par contre considérer la fin précipitée: l'histoire se boucle alors qu'elle entre de nouveau à l'hôpital pour des traitements et l'auteur saute ensuite au temps présent pour nous laisser sous-entendre qu'elle s'en est « sortie ». Évidemment, on est loin du « ils vécurent heureux et eurent de nombreux enfants » traditionnel et Hornbacher est honnête en fin de parcours quand elle nous explique que rien n'est gagné, que cette guerre de tranchées se poursuit au quotidien et que l'écriture de ce livre n'a rien eu de « thérapeutique » (elle devait d'ailleurs rechuter quelque temps après sa publication).
Un manuel de survie à se procurer quand on souhaite accompagner en comprenant mieux (je reste là, si tu as besoin de moi), un témoin éloquent d'une époque où le paraître a pris toute la place de l'être (quand assisterons-nous au retour du balancier?), un livre qu'on referme et qui change irrévocablement notre façon de percevoir l'autre mais surtout soi-même (pourquoi ne réussis-je pas à m'accepter telle que je suis?).
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