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Deux très beaux livres, lus coup sur coup, qui se déclinent dans l'intimité, dans les chuchotements, dans une tendresse ensorcelante. D'abord, Le baiser dans la nuque, premier roman d'Hugo Boris, paru en 2005, dont le titre et le résumé m'avaient accrochée suffisamment sur le site de Seb pour que je le note dans ma LAL et en passe éventuellement commande à mon libraire (c'est pourtant publié chez Pocket, pas exactement une maison d'édition à tirage confidentiel...) D'accord, j'avoue volontiers que, dès qu'il est question de musique dans un roman, j'ai tendance à en noter le titre dans mon petit calepin mais cela ne veut pas nécessairement dire que mon expérience de lecture s'en trouve galvanisée. Ainsi, j'avouerai ici que j'ai abandonné La pianiste après une cinquantaine de pages, un peu révoltée par la noirceur et la violence du propos. Dans le cas du roman de Boris, la musique y joue un rôle de soutien.
Fanny, sage-femme de jour, mère de famille et épouse le soir, devient progressivement sourde. Avant qu'il ne soit trop tard et grâce à un clin d'œil du destin (elle procède à un accouchement bien particulier dans lequel le beau-frère, pianiste, accompagne la future mère, le père de l'enfant à naître étant décédé), elle décide de s'investir dans des leçons de piano. Terrifiante chute aux enfers (pour une musicienne) que de sentir, sous la plume habile de Boris, la perte progressive de l'ouïe chez Fanny (elle perd quelques notes d'audition par mois). Elle combat la maladie débilitante, finit par se rendre (elle communique alors, comme Beethoven, par carnets interposés). Au fil des pages, un étrange lien se développe entre Fanny et Louis, son professeur et Boris en profite pour établir des parallèles (dont certains, assez saisissants) entre accouchement et pratique d'un instrument. Ils s'apprivoisent doucement, comme on le fait d'un nouvel instrument. Presque dès le début, on sent aussi qu'ils finiront par se déchirer mais que, d'une façon ou d'une autre, leurs vies seront intimement liées pour l'éternité. Le style est précis, particulièrement évocateur. Boris manipule les mots comme certains compositeurs manipulent les notes, avec justesse mais aussi délicatesse, à petites touches. « Le piano proteste, tremble quand l'homme déplace sèchement l'outil. Entre eux s'installe un rapport ambigu, un accord tacite, une douce violence de maréchal-ferrant que l'homme impose, que le piano accepte. » (p.99) La scène où chacun finit par abdiquer, un très court chapitre (pages 180-181) est d'ailleurs une pure merveille de minimalisme, particulièrement efficace, comme peut l'être une partition de Philip Glass. Après une telle lecture, on chavire, on bascule, mais en soi.
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