mardi 30 juin 2015

Blues nègre dans une chambre rose

« On aurait dit que ses retours me faisaient plus mal que ses départs. »
Le blues... une musique, mais aussi une couleur, qui entre en écho avec cette chambre rose, avec la peau blanche de Fanny Murray, en début de carrière musicale, et celle, noire, de Bobo Ako, au sommet de la gloire, qui la bouleverse dès l'instant où leurs destins se croisent à la Nouvelle-Orléans lors d'un festival.

L'histoire est condamnée d'avance (Bobo est marié et coureur), mais peu importe, Fanny accepte de la vivre, par segments intenses, souvent torrides, à travers des apparitions rarement annoncées de l'homme qui revient la prendre avec fulgurance, mais que l'on ne sent pas profiteur. Oui, il veut le beurre et l'argent du beurre, mais la connexion entre les deux artistes semble réelle, aller au-delà de la chimie des corps, même si celle-ci joue un rôle essentiel.
« La femme blanche qui n’a jamais goûté un Nègre en jeans, chemise rose, parfum suave de terre et d’épices n’a jamais rien goûté, c’est ce que je dis à mes amies, si vous n’avez pas fait l’amour avec un beau Nègre parfumé, aussi bien dire que vous n’avez jamais fait l’amour. Celles qui connaissent la peau noire sont d’accord avec moi. Nous sommes d’accord aussi pour dire que si l’homme noir est facile à attraper, il faut accepter de le partager, on ne sait jamais avec combien de femmes on le partage, mais l’idée de la facilité vient justement du fait qu’il n’est fidèle à aucune. »
Pour tenter d'exorciser l'emprise incontestée qu'il a sur elle, Fanny écrit dans des carnets, dont le ton évoluera au fil du temps, revient sur certains moments clés. Une telle prémisse aurait pu donner un livre sombre, aux atmosphères étouffantes; il n'en est rien. Jennifer Tremblay raconte cette passion dévorante avec retenue, refuse le mélodrame et le pathos, dose le récit de façon minutieuse, même dans les scènes érotiques. Si on a envie de secouer Fanny de temps en temps, on la suit néanmoins jusqu'au bout, d'un seul souffle ou presque,  jusqu'à la combustion finale, celle des carnets, sans que l'on sache si le geste suffira à la libérer enfin de ce joug.

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