La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
Voilà un autre de ces livres qui alourdissaient dangereusement ma valise au retour de Paris, ville-lumière mais surtout ville de librairies plus tentantes les unes que les autres. Encore une fois, une histoire bien particulière derrière celui-ci. Vous me direz, les yeux levés au ciel, que, évidemment, il y a toujours une histoire derrière un roman! Mais non, je parlais de l'histoire qui a entouré l'acquisition de l'objet lui-même.
Travelling arrière, terrasse d'un café sympa, situé à quelques pas de la fontaine Saint-Michel. Je retrouve Caro[line] et Auteur Chouchou no 2 pour l'apéro. Je suis légèrement intimidée parce que, si je connais assez bien David Foenkinos (Auteur chouchou no 1), je n'ai rien lu de Nicolas Cauchy, celui-là même que je rencontrerai cette fois. Loin de s'en offusquer, il me tendra une copie dédicacée de son premier roman, avec une référence musicale charmante. Au fil des instants passés en sa compagnie, j'ai pu découvrir un être sensible, ouvert à la littérature des autres, avec un gros faible pour Brahms. (L'air de rien, il l'a glissé, comme ça, en page 109, dans un charmant passage, qu'il a identifié d'un astérisque complice, comme si j'allais passer à côté d'un tel clin d'œil!) J'avais donc hâte de découvrir le texte derrière l'auteur.
La véritable histoire de mon père est un roman coup de poing, soutenu par une écriture particulièrement efficace, d'une sobriété remarquable, maniée comme un scalpel. Dès les premières pages, nous basculons dans l'horreur. Simon, un carriériste type, ambitieux, a commis l'irréparable. « Vous avez mené votre carrière de main de maître, gravissant les échelons quatre à quatre, sans hargne ni revanche à prendre, mais rapidement, avec élégance même. Pensant qu'il suffisait de pourvoir aux besoins matériels de votre famille pour être un bon père, un bon époux. Une excuse plutôt pour justifier votre absence, l'échec de votre premier mariage. » (p. 23) Dans un moment d'égarement qui nous échappe alors, il a mis fin à la vie de son enfant et a pris la fuite au volant d'une Porsche volée à l'un de ses copains friqués, en visite chez lui.
La donne est connue du lecteur et nous devons accepter de monter à bord de la voiture du criminel qui nous racontera, par pans, les instants qui ont précédé et immédiatement suivi cette minute fatidique, les années d'insatisfaction, les hésitations paternelles, les révélations aussi face à ces deux filles qui lui ont toujours échappées. Déclinée au vous, l'histoire se révèle peu à peu, pas du tout celle que l'on croyait au début. Le narrateur nous harangue-t-il? Se semonce-t-il? On hésite, on se questionne, on trépigne, on se révolte. Malgré la multiplicité des signaux, on le suit pourtant dans cette course folle qui ne peut que le mener vers l'expiation.
Tous les indices ont pourtant été semés pour que le lecteur comprenne l'effroyable mais limpide conclusion mais, le cœur presque au bord des lèvres, on n'est pas encore prêt à accepter, à ouvrir les yeux, comme lorsqu'on monte, plus de gré que de force, dans une montagne russe redoutable.
Nicolas Cauchy signe ici un premier roman parfaitement maîtrisé, comme il y en a trop peu, que j'ai lu d'une traite parce qu'il m'était impossible de m'en extirper. La route est tantôt sombre, tantôt lumineuse. L'horreur cède parfois la place à la tendresse. La petite musique d'une vie est bien présente, déchirante, pas toujours harmonieuse. Pourtant, elle ne laisse pas indifférent.
Oui, je sais, je vais perdre toute crédibilité. La spécialiste (n'importe quoi!) es musique classique qui se tape une bluette d'été, portée par des hits des années 1970! Mais j'ai une excuse... si, si! Enfin, on m'a un peu forcée. (Bon, pas tant que ça!) Mon mari et ma fille ont exigé que j'y aille avec eux. (Bon, d'accord, insisté peut-être.) Moi qui prend généralement la fuite et quitte le plancher de danse quand j'entends Dancing Queen parce que je ne peux tenir plus de dix secondes à fixer les regards illuminés des danseurs, j'ai cédé et y suis allée et même pas à reculons.
J'ai déjà avoué ici mon amour unilatéral pour The Sound of Music que j'ai vu un nombre incalculable de fois (et dans les deux langues, en plus). Mais il faut aussi que je crache le morceau: j'adore les comédies musicales! Moulin Rouge, Across the Universe, Hairspray, Rent et les films de l'âge d'or de la MGM... argh! Je fonds! Je peux vous décliner des pans entiers de Gigi, danser pour vous ou chanter des extraits de An American in Paris, Singing in the Rain, Easter Parade, West Side Story... Tant qu'à être complètement honnête, les extravagances musicales filmées d'Esther Williams (la nageuse) ne me laissent pas indifférente.
Bon, et alors, Mamma mia? Craquant, complètement! Les chansons d'ABBA perdent une part de leur côté trop sucré (tant mieux!) quand on les intègre à une histoire et que les paroles prennent alors vraiment leur sens. L'histoire est cousue de fil blanc (la jolie demoiselle invite ses trois papas « potentiels » à son mariage dans l'espoir de « reconnaître » au premier coup d'œil le « vrai ») et les décors et les figurants sont kitschissimes. (L'île grecque de La mandoline du Capitaine Corelli, c'est le canal documentaire à côté de ça!) Mais les acteurs s'en donnent tellement à cœur joie que c'en est contagieux. Meryl Streep, une actrice que je respecte énormément, est délicieuse en mère de la mariée et paraît rajeunie de dix ans (sans aucune chirurgie esthétique) et sa pose de voix est saisissante. Ses deux amies de jeunesse (Julie Walters et Christine Baranski) crèvent l'écran lors de séquences particulièrement réussies. (Elles ont réussi à me réconcilier avec la dite Dancing Queen, c'est tout dire!) Les trois pères potentiels manquent peut-être un peu de relief mais se donnent à fond (des leçons de chant supplémentaires auraient pu être offertes à Pierce Brosnan, par contre... heureusement qu'il est beau, hum...) Et, en plus, on a droit à un moment très touchant, alors que la mariée et sa mère partagent un moment de tendre complicité. Les larmes coulaient doucement sur les joues des trois membres de ma famille présents à ce moment-là, en bel unisson...
Non, le film ne remportera pas un Oscar. Oui, la direction cinématographique est parfois chancelante. Mais ça se prend comme un rayon de soleil au milieu d'un été jusqu'ici couvert de grisaille.
J'ai dû mener une bonne vie puisque j'ai lu coup sur coup trois excellents livres, dont je vous parlerai peu à peu. Il faut dire que j'ai un peu de difficulté à me poser récemment, ayant accepté un contrat d'intérim pour trois semaines. (Je n'aurais pas dû, mais, bon, il est trop tard pour reculer, maintenant, je vais m'assumer comme une grande.) Mais au fil des jours, ces livres ont continué de m'habiter, pour une raison ou une autre, ce qui est signe que la lecture a été fertile.
Premier en lice, Le sixième crime de Sébastien Fritsch. Il faut d'abord que j'explique qu'il y a une histoire derrière cette lecture. En effet, ce livre m'a été remis en main propre par Sébastien et il l'a dédicacé devant moi, un soir frisquet de juin (j'aurais aussi bien pu écrire octobre ou novembre, considérant la météo ce jour-là), alors que je passais un 24 heures éclair à Lyon. Je possède le statut enviable (et que je revendique) de première lectrice québécoise de l'auteur, puisque son premier roman, Le mariage d'Anne d'Orval, avait traversé l'Atlantique dans les bagages d'un couple ami venu prendre part à un mariage à Montréal avant de m'être remis. Depuis, j'ai appris à mieux connaître Sébastien et, forcément, ma lecture ne peut qu'en être teintée (et, au fond, c'est tant mieux).
Le sixième crime a été identifié par l'éditeur « policier » et je trouve bien dommage cette nécessité d'apposer une étiquette sur un produit parce que, ici à tout le moins, elle nous fait faire fausse route. (« Thriller psychologique », par exemple, m'aurait semblé plus approprié, même si pas entièrement concluant non plus.) Oui, d'accord, l'un des personnages de cette histoire est un policier, le commandant Jérôme Babalnic, qui enquête sur cinq crimes particulièrement crapuleux, inspirés par les livres de Jacob Lieberman, auteur qui semble s'être évaporé un bon matin. Notre policier, dangereusement cultivé, au langage particulièrement recherché (on est loin des privés de série B), est venu questionner Lex, « le » grand écrivain de la deuxième moitié du XXe siècle, qui vit entièrement reclus. Après un bon souper, les langues se délient et il révèle que, oui, il n'est autre que le mystérieux Lieberman. On plonge alors dans un intense huis-clos entre Lex, complètement déconnecté de la réalité (il n'a lu aucun livre publié dans les dernières décennies) et assailli de manies d'écriture fascinantes, et Babalnic, d'un prosaïsme néanmoins teinté d'épicurisme et de curiosité artistique. S'engage alors un curieux duel entre les deux protagonistes qui, malgré le danger imminent, ne semblent n'avoir d'autres armes que les mots. Babalnic les utilise pour tenter de mieux saisir la situation et le personnage de l'écrivain tandis que Lex tour à tour les assène pour déstabiliser son adversaire ou mieux transmettre l'univers si particulier d'un être dont les mots écrits sont devenus ni plus ni moins les seuls compagnons.
C'est d'ailleurs quand il est question de littérature que le livre est le plus percutant et non pas dans la « résolution du problème » (le whodunit des Anglais). Dans ce passage, par exemple, Lex explique qui était Lieberman : « L'idée qui me guidait à l'époque, était que l'on n'écrit pas bien sans faire un peu de mal. À soi et au lecteur. C'est un risque, certes, un risque de ne pas plaire; et j'en sais quelque chose. Mais écrire est de toute façon un risque. Alors, lire doit en être un de même. L'écrivain n'est pas là pour servir du lait sucré. Sinon, qu'en reste-t-il ensuite: rien! Avalez n'importe quoi après cela, même un simple verre d'eau, et le goût disparaîtra de votre bouche. Mes pages étaient d'une toute autre saveur: envenimées d'épices, nourries de feu, engorgées de tanins âpres et épais, ruisselantes de substances consistantes, qu'elles fussent moelleuses ou coriaces, et qui s'unissaient harmonieusement pour révéler un goût unique car inconnu. Le goût de la mort peut-être; à côté duquel le plus voluptueux des vins paraît une eau de source. » (p. 77)
Pour moi, le livre n'aurait rien perdu en profondeur par exemple si un journaliste s'était présenté au domaine pour mieux cerner les motivations de l'auteur, au contraire (déformation professionnelle, vous me direz peut-être). En appliquant les « codes » du roman policier et, en me rappelant combien Sébastien Fritsch avait été habile à dissimuler des informations dans son premier roman, je cherchais des indices cachés à chaque tourne de page, ce qui freinait par moment mon plaisir de lecture (ce qu'une étiquette peut faire!).
Le style est maîtrisé, imagé, particulièrement sensible (notamment quand il évoque la mystérieuse pianiste) mais a une légère tendance à s'étaler un peu indûment dans les deux premiers tiers puis à nous laisser pantelant dans la dernière section. J'avais d'ailleurs fait la même remarque au sujet du Mariage d'Anne d'Orval mais cette cassure de rythme m'a semblé plus difficile à assumer dans ce cas-ci, l'ouvrage ne comportant que 133 pages. Mais je n'ai certes pas boudé mon plaisir puisque, au fil des révélations, on comprend que, malgré toute l'attention portée aux détails, on s'est fait avoir comme un débutant et que les pièges n'étaient pas du tout disposés là où on les cherchait (ne comptez pas sur moi pour vous révéler les punchs). Encore une fois ici, Sébastien Fritsch confirme qu'il est un deus ex machina diablement efficace...
J'avais été charmée par Daniel Pennac en entrevue mais n'avais pas encore lu son livre. En juin, quand j'étais à Paris, en jetant un coup d'œil à la bibliothèque de tidoigts (c'est un peu compulsif chez moi, quand je vais chez les gens, de partir à la recherche de leur bibliothèque), il était là, qui me faisait de l'œil. Tidoigts m'en ayant parlé en grand bien, je n'ai pas hésité et c'est le livre qui m'a accompagnée pour une bonne partie de mon périple. Il a pris le TGV Paris-Lyon et Lyon-Paris, a d'ailleurs suscité des commentaires de passagers (j'aime le rapport que les Français en général ont au livre). Il s'est promené dans le métro. Il a été ouvert à Belleville, quartier où réside Pennac lui-même. Je l'ai lu avec grand intérêt, l'œil presque humide par moments, tellement les propos de Pennac savent toucher quiconque est intéressé, de près et de loin, par notre système d'éducation (et ses lacunes). À mettre entre toutes les mains, sans hésitation.
Quelques citations choisies...
« Nos « mauvais élèves » (élèves réputés sans devenir) ne viennent jamais seuls à l'école. C'est un oignon qui entre dans la classe: quelques couches de chagrin, de peur, d'inquiétude, de rancoeur, de colère, d'envies inassouvies, de renoncements furieux, accumulés sur fond de passé honteux, de présent menaçant, de futur condamné. » (p. 70)
« Le savoir est d'abord charnel. Ce sont nos oreilles et nos yeux qui captent, notre bouche qui le transmet. Certes, il nous vient des livres, mais les livres sortent de nous. Ça fait du bruit, une pensée, et le goût de lire est un héritage du besoin de dire. » (p. 160)
et enfin celle-ci... Vous comprendrez immédiatement pourquoi elle m'a touchée.
« Chaque élève joue de son instrument, ce n'est pas la peine d'aller contre. Le délicat, c'est de bien connaître nos musiciens et de trouver l'harmonie. Une bonne classe, ce n'est pas un régiment qui marche au pas, c'est un orchestre qui travaille une même symphonie. » (p. 138)
Juillet étant le mois des déménagements, forcément, tout Québécois qui se respecte se doit de participer à au moins un déménagement. Non, ce n'est pas le mien cette fois... quoique, considérant les rénovations qui se poursuivent au rez-de-chaussée chez moi, un déménagement temporaire aurait peut-être dû être considéré (je suis allergique à la poussière!). Hum... mais passons à autre chose rapidement, avant que je me rende compte de ce que je viens d'écrire! Je disais donc... Juillet étant le mois des déménagement, La Recrue du mois - oui, oui! ce blogue collectif dédié au premier ouvrage d'un auteur québécois auquel je participe depuis sa mise sur pied, il y a presque un an - a jugé bon de déménager dans plus grand, plus beau, plus polyvalent. Une déferlante de courriels a assailli les divers collaborateurs au cours des dernières semaines, les avis sur couleurs, typographie, sections à inclure, se multipliant. Moi qui en général déteste viscéralement les courriels dans lesquels tout le monde et son supérieur sont en copie conforme, j'avoue que cette fois, tout cela avait un parfum très sympathique. Oui, parfois les avis divergeaient, certains tergiversaient, d'autres pitonnaient en écho aux requêtes.
Mais là, enfin, on peut se servir un mimosa ce matin puisque le déménagement est complété et s'est déroulé dans la bonne humeur de A à Z (pouvez-vous en dire autant de votre dernier déménagement?). Oui, je sais, vous êtes curieux, alors, je vous invite à faire un détour par les nouveaux quartiers de La Recrue. Oui, il reste un petit fond de peinture fraîche dans l'humidité de l'air matinal mais, qu'importe... le plaisir y est, entier. La pendaison de crémaillère, c'est par ici... et surtout, parlez-en à vos amis!
Les auteurs ont des approches fort différentes de la nouvelle et, d’une certaine façon, c’est peut-être ce qui fait le charme des recueils mixtes. Quand un auteur, comme ici Véronique Papineau, décide de publier un recueil de ses nouvelles, le danger rôde forcément que le ton devienne un peu trop uniforme d’un texte à l’autre et que le lecteur en tire un moins grand plaisir que s’il avait lu chaque nouvelle de façon indépendante. En ajoutant le défi supplémentaire d’inclure des félins dans chacun de ses textes (sauf un), la jeune auteure a ici joué le tout pour le tout. Les chats deviennent tour à tour personnages principaux (Petite histoire avec un chat dedans, Claude le chat ayant plus de substance que ses propriétaires), témoins (Garçons en mauvais état, nouvelle rendue avec sensibilité), victimes (Bonbons à la menthe et Dormir très mal, qui auraient eu intérêt à ne pas être présentées l’un à la suite de l’autre), échos à la narration (Bobby Bibbo se fait kidnapper, touchante histoire de fuite adolescenteet La mort d’un chat, terrible calvaire amoureux) ou participant récalcitrant (Traitement contre les puces, qui m’a donné l’impression diffuse d’avoir été plaquée là).
La plume de Papineau est précise, souvent acerbe, vaguement désabusée, représentative peut-être d’une certaine vingtaine blasée et surtout blessée par ses relations amoureuses ratées. On y plonge d’abord avec plaisir, avec l’impression de se faire raconter pour la xe fois la même aventure qui tourne mal par une copine, le nom des acteurs masculins devenant presque interchangeables, comme si toutes les nouvelles (sauf deux) se voulaient plus ou moins déclinaisons de cette première histoire. J’y ai d’abord cru volontiers, riant jaune à quelques reprises, appréciant la folie qui se dégageait de certaines pages (la rencontre des protagonistes de Bonbons à la menthe reste mémorable). Et puis, comme lorsqu’on est allergique aux chats, j’ai fini par me lasser, regretter de les avoir lues à la suite. Pas d’espoir pour les bizarres, magnifiquement amenée, m’a réconciliée avec le recueil mais alors, il n’en restait plus qu’une…
DHC/ART Fondation pour l’art contemporain, un nouvel espace d’exposition situé dans un édifice historique rénové, au cœur du Vieux-Montréal, a été inauguré à l’automne 2007. La fondation frappe très fort cette fois, en présentant, jusqu'au 19 octobre, l'encensée exposition (installation? collaboration? work in progress?) « Prenez soin de vous » de l'artiste française Sophie Calle. À l’origine produite pour le Pavillon français de la Biennale de Venise 2007, l’installation a été présentée ce printemps à Paris et avait suscité une vague d'enthousiasme, notamment sur plusieurs blogues amis. (J'étais d'ailleurs bien triste d'arriver sur les lieux quelques jours à peine après la fin de l'expo, ignorant alors les textes, photos et vidéos feraient le voyage transatlantique dans des boîtes rembourrées vers Montréal alors que je m'envolais vers Paris. Le hasard est parfois très bien fait...)
Au cœur de ce projet en apparence extravagant: un courriel de rupture d'un amant, reçu par l'artiste sur son cellulaire (la technologie n'a plus de limite!), à la dernière phrase particulièrement lapidaire: « Prenez soin de vous ». Sophie Calle qui puise essentiellement dans son vécu les prémices de toute sa démarche artistique (elle a déjà traité de deux précédentes ruptures), décide de prendre ces mots au pied de la lettre. Elle explique sa démarche ainsi: « J'ai reçu un mail de rupture. Je n’ai pas su répondre. C’était comme s’il ne m’était pas destiné. Il se terminait par les mots : Prenez soin de vous. J’ai pris cette recommandation au pied de la lettre. J’ai demandé à 107 femmes, choisies pour leur métier, d’interpréter la lettre sous un angle professionnel. L’analyser, la commenter, la jouer, la danser, la chanter. La disséquer. L’épuiser. Comprendre pour moi. Répondre à ma place. Une façon de prendre le temps de rompre. À mon rhythme. Prendre soin de moi. »
À travers textes parfois presque surréalistes, photos saisissantes, films, Sophie Calle cède la parole à des femmes de toutes professions, qui dénatureront puis incarneront, selon leur champ de spécialisation, leur vécu, la lettre en question. S'y frottent par exemple une comptable (loufoque bilan actif/passif de la relation à travers les termes de la lettre), une normalienne (un texte d'une densité remarquable mais d'une grande pertinence cependant), deux exégètes talmudiques (une analyse proprement fascinante), une policière (on se croirait plongés dans un polar), une éditrice de journal (qui explique pourquoi la lettre est « impubliable », puisque personne n'a été tué, que la personne qui l'a reçue n'est finalement pas si célèbre que cela, qu'elle ne peut être reprise dans le courrier des lecteurs et qu'elle ne dénote donc aucun intérêt et se retrouvera à la poubelle), une graphiste (magnifique détournement de l'objet), une publicitaire (trois déclinaisons punch), une spécialiste d'ikebana (un arrangement floral d'une grande poésie), une spécialiste en étiquette (et comtesse)... Deux traductrices s'y frottent également (une vers l'anglais, l'autre une latiniste) et c'est absolument saisissant de lire leurs commentaires insérés ici et là dans le texte quant aux difficultés rencontrées lors de la réalisation de la traduction. La réviseure s'en donne à-cœur-joie (et nous aussi!) en surlignant en couleurs les multiples répétitions des termes, en encerclant les erreurs syntaxiques (une des phrases est particulièrement boiteuse, il est vrai), émettant quelques « réserves » (hum!) sur le style de l'auteur.
On a ainsi droit à 107 déclinaisons, détournements de la lettre qui deviennent autant de pistes potentielles de détachement pour Calle. Si on pourrait craindre la surenchère, il n'en est pourtant rien. L'exposition est présentée dans des salles sur quatre niveaux, suffisamment intimes pour qu'on ressente la chaleur des lieux et suffisamment vastes pour qu'on puisse circuler de façon libre entre les divers éléments de l'installation tandis que les vidéos sont présentés dans un autre édifice (également rue Saint-Jean). Dans des conditions idéales (c'était le cas cette semaine puisque nous étions très peu sur les lieux, un après-midi de semaine plutôt maussade, de plus lors de la première semaine de l'expo), on peut s'y plonger pendant des heures. (J'ai passé deux heures et demie sur les lieux avec une amie et nous nous promettons toutes deux de revivre l'expérience au moins une autre fois. En plus, comme l'expo est gratuite, pourquoi se priver?) Certains points de vue sont profondément émouvants (la réflexion de la spécialiste des droits de la femme de l'ONU ou la lettre de la mère de l'artiste, par exemple, qui se conclut sur une phrase l'invitant à se servir du matériau pour en tirer une œuvre!). D'autres sont franchement ludiques et déclenchent un rire contagieux. Comment oublier le vidéo du perroquet qui déchiquette la lettre et l'avale, cette clown qui « commente » la lettre ou cette actrice italienne qui transforme la lecture de la lettre en un numéro d'un comique consommé!
Si, à un moment, on n'en peut presque plus de disséquer la lettre sous ses multiples angles (un processus très proche de celui privilégié quand on retourne dans tous les sens les termes d'une rupture, vous reconnaîtrez ici l'astuce de la chose), on finit par se l'approprier, par se laisser toucher par la poésie qui se dégage des objets, par être happé par les choix de chacune. Si ce projet semble à la base terriblement narcissique, au fil de ses circonvolutions il devient universel parce qu'il nous rejoint tous, dans un lieu intime qu'on ne visite qu'à l'occasion, histoire de ne pas réveiller les vieux démons ou raviver les vieilles blessures. Amour, désir, perte, abandon, sont des termes qui ne peuvent que résonner profondément en nous. Ici encore, comme dans plusieurs de ses œuvres antérieures (que j'avoue ne pas encore connaître mais, dès mon retour, je me suis mise à faire des recherches Internet intensives sur le sujet), Sophie Calle réussit magistralement à redessiner les frontières parfois bien floues entre vie privée et vie publique.
On peut voir ici deux vidéos de l'expo parisienne (les lieux n'ont rien à voir avec ceux de DHC/ART) sur le site de Louis Roederer, partenaire de l'événement en France. En cliquant sur le mot « femmes », vous avez aussi accès à certaines photos de l'expo.
On peut aussi consulter le site de DHC/ART (on offre notamment des visites commentées gratuitement! Vive le mécénat!) Heures d’ouverture : mercredi au vendredi de 12 h à 19 h, samedi et dimanche de 11 h à 18 h – Entrée libre. 451 et 468, rue St-Jean (angle Notre-Dame, dans le Vieux-Montréal).
Pour la petite histoire, Sophie Calle parle toujours à cet homme, le fameux X qui, peut-être bien consciemment, lui a offert un finalement plutôt somptueux cadeau de rupture, se doutant peut-être que l'objet pourrait très bien servir d'inspiration à un projet de l'artiste.
Pour les littéraires, fanas de Paul Auster (comme moi), le personnage de Maria dans Leviathan est inspiré de Sophie Calle. Ils ont ensuite collaboré à un fascinant projet. À découvrir ici...
Un petit appel à tous, ici... enfin, tous ceux qui ont déjà joué l'Intermezzo opus 118 no 2 de Brahms. Julie, une nouvelle lectrice, s'y frotte ces temps-ci et a émis ce commentaire sur le billet consacré à l'Intermezzo: « A ce sujet, auriez-vous (Lucie ou les autres bloggers) des conseils techniques à me donner pour interpréter cet intermezzo? Il y a beaucoup de déplacements à la main gauche qui me posent parfois problème dans la vitesse. Ce qui m'intéresse dans la musique c'est la technique comme révélateur de sensibilité... »
Je pourrais répondre d'un point de vue purement technique, d'isoler les déplacements de la main gauche en question et de les travailler un par un, en fait en traitant les « sauts » problématiques comme des exercices et en travaillant le saut dans les deux sens i.e. aussi bien la version écrite que son contraire. Cela permet généralement d'assurer le réflexe musculaire du bras. Je pense aussi ici qu'il est important de sentir (et je dirais même ressentir) ces déplacements dans le bras, le poignet, la main, d'analyser si l'on doit prendre le geste vers le haut, le bas, où est le poids de la main, etc., histoire d'obtenir un « instantané » du moment, du geste, de l'émotion même. Quand je le joue, je reste toujours consciente de l'équilibre (parfois précaire) entre les deux mains, tant au niveau des mouvements effectués que des paliers sonores (le plus grand défi selon moi). Et il est essentiel ici de se rappeler que Rome ne s'est pas bâtie en une journée...
Si vous avez des suggestions plus précises (même si divergentes), n'hésitez pas à les partager ici.
J'ai déjà avoué ici un penchant pour l'improbable triumvirat Mozart-Schumann-Debussy. Bien sûr, cet amour (presque) inconditionnel ne m'empêche pas d'avoir une tendresse toute particulière pour d'autres compositeurs. De ceux-ci, Brahms semble exiger ces temps-ci que je m'assume enfin à son égard. Cela fait trois fois que son nom (et particulièrement mon billet sur le sublime Intermezzo opus 118 no 2) attire de nouveaux lecteurs dans mon antre, tous trois fervents pratiquants quand vient le temps de s'approprier cet univers si particulier qui est le sien.
À Paris, quand j'ai rencontré Nicolas Cauchy (auteur chouchou no 2 de ma Caro[line] préférée), il a été question de Brahms. Quand j'ai dû admettre qu'il n'était pas mon compositeur chouchou, j'ai dû essuyer une vague moue de dépit. Il a même fait référence à Brahms dans la dédicace de son bouquin. Argh, impair diplomatique en perspective... J'ai tout de même admis spontanément qu'il était l'un des grands et que je le respectais particulièrement, considérant qu'il évoluait dans le cercle (très) rapproché de Schumann. (On se rappellera ici que ce dernier n'avait pas hésité à le qualifier de « nouveau Messie de la musique classique », rien de moins, après avoir entendu sa Sonate opus 1 et que Clara Schumann entretenait des liens d'amitié très serrés avec le jeune protégé de son mari.) Depuis, Brahms me nargue. Il fait un peu la gueule. Il aurait voulu que j'admette haut et fort que, au fond, je l'aime.
Alors, depuis mon retour, il multiplie les clins d'œil. Pour un ronchon patenté, il est tout de même extraordinaire quand vient le temps de provoquer le destin. (Vous connaissez peut-être cette anecdote dans laquelle notre ami, lors d'une soirée particulièrement réussie, avait pris ses cliques et ses claques et avait effectué une sortie tonitruante en lançant à la ronde: « S'il y a quelqu'un que je n'ai pas insulté ce soir, considérez-vous servi! » On admettra tout de même qu'il a du chien.) Il y a quelques jours, j'ai entendu à la radio les Liebeslieder, un cycle magnifique pour chœur de chambre et deux pianos. En écoutant un, deux, trois lieder dans la voiture, je me suis rappelée le plaisir pur à chanter ces pages et le rôle si charmant dévolu aux altos dans la partition. (Enfin, un homme qui comprend les femmes à la voix plus grave et n'en a pas que pour les délicates sopranos!) Et puis, ce matin, des commentaires en différé, encore une fois sur ce fameux Intermezzo opus 118 no 2...
Je m'apprêtais à m'assoir au piano quand j'ai reçu le tout et hésitais encore sur le compositeur à privilégier. Depuis quelques jours, je me suis « décrassée » au Bach, trempant à peine le bout des doigts dans Mozart en fin de session. Cette fois, j'ai cédé. J'ai ouvert le cahier vert (le deuxième livre des œuvres pour piano de Brahms chez Kalmus) et j'ai feuilleté le recueil jusqu'à ce que je m'arrête sur l'opus 118 no 2. Je l'ai joué une première fois, puis une deuxième, puis une troisième. L'esprit et l'oreille guidaient, les mains suivaient, avec une belle complicité. Et puis j'ai eu le goût d'autre chose, alors j'ai tourné quelques pages encore et ai dévoré l'opus 119, que je connais très peu. En fait, j'avais travaillé l'opus 119 no 2 à Orford, l'été de mes seize ans, lors de cette saison précise qui m'a convaincue que, au fond, je n'avais rien d'une scientifique et que la musique, j'étais prête à en manger (et, accessoirement, à ne pas manger pour m'y consacrer).
Je me suis souvenue de la photocopie griffonnée par André-Sébastien Savoie, mon professeur cet été-là, de son énorme patte sur le clavier (si terriblement agile malgré tout), de certaines indications précises, comme si de retrouver ces notes permettaient de soulever un pan de vie enfoui. Portée par le plaisir, je suis passée à travers de l'opus 119, puis me suis frottée à la transcription de la Chaconne en ré mineur de Bach réalisée uniquement pour la main gauche (sportive mais, somme toute, très anatomique), la Rhapsodie opus 79 no 1. J'ai sorti l'autre volume de sa cachette et me suis attaquée aux Variations sur un thème de Handel. Que Brahms est génial quand il s'attaque à la forme variation (comme son maître spirituel, Beethoven, d'ailleurs)...
Pendant que défilaient les pages (et certains écueils à maîtriser), je me suis mise à penser à toutes ces œuvres de Brahms que j'aimais profondément, celles où je le retrouve le plus entier, d'une certaine façon: les sonates pour violoncelle et piano (ce même été, j'avais travaillé celle en mi mineur, un joyau), celles pour clarinette et piano (sous sa plume, la clarinette devient un instrument particulièrement inspiré), le Quintette en fa mineur (et sa réduction pour deux pianos, réalisée par Brahms lui-même, trop peu jouée) et puis certains lieder, aux sonorités somptueuses.
J'aime penser que, sous ses dehors rêches, Brahms reste un tendre, un incompris. A-t-il été amoureux fou de Clara? Se sont-ils échangés plus que des lettres? Au fond, ce n'est même pas important. Quand il a donné le premier rôle à la voix d'alto (chantée ou au clavier), j'aime à penser qu'il l'a fait en hommage discret mais fervent à celle pour qui il éprouvait amour profond plutôt que passion épidermique, qu'il la respectait si entièrement qu'il n'aurait jamais osé un geste déplacé, que cette union qui ne pouvait être a vraisemblablement alimenté certaines des pages les plus sublimes du répertoire. Cette tendresse qui perle sous l'emportement, ce concentré d'émotion qui transperce les colères les plus légendaires, cette fragilité qu'on entrevoit sous l'ampleur des formes gigantesques, me séduisent sans contredit. Et, même si je prétends parfois le contraire, oui, j'aime Brahms.
Ici, le 3e mouvement du Quintette en fa mineur, interprété par Leif Ove Andsnes et le Quatuor Artemis.
Depuis mon retour de voyage, j'ai (trop) peu lu de romans. Des rénovations massives à l'étage (et, pour la première semaine, un « retard » à rattraper côté boulot) m'ont empêchée d'avoir suffisamment d'espace mental pour me replonger dans ce livre entamé dans l'avion au retour (et, oui, acheté à Paris sur une pure impulsion). La Quatorzième Valse d'André Tubeuf, vous l'aurez deviné par le titre, est un roman musical. En fait, il est plus que cela puisque l'auteur (collaborateur de nombreuses publications classiques prestigieuses) signe ici ce que certains pourraient appeler une « biographie romancée ». En fait, non, le terme serait très mal choisi puisque Tubeuf se concentre exclusivement sur les dernières semaines de la vie du pianiste roumain Dinu Lipatti, décédé à l'âge de 33 ans en 1950.
Il se glisse dans l'esprit du pianiste qui partage avec nous ses pensées sur certaines des œuvres qu'il travaille mais aussi, bien sûr, sur la place qu'occupe la musique dans sa vie (mais aussi le silence), sur sa résignation face à ses forces vitales qui le fuient, sur son enthousiasme face à l'enregistrement de son mythique dernier opus, sur l'importance des « anges » (ces êtres chers qui nous entourent mais aussi ces presque inconnus qui nous aident à avancer). Impossible pour moi de dévorer ce livre puisque, entre chaque page, chaque phrase, je souhaitais m'arrêter, laisser décanter l'information, me laisser imprégner par la musique de Lipatti mais aussi celle des mots de Tubeuf qui privilégie ici une écriture légèrement surannée mais aussi précise qu'une phrase musicale parfaitement maîtrisée.
Au fil des pages, on avance toujours plus profondément dans la psyché de Lipatti (très peu d'information est disponible sur cet artiste immense et l'auteur a ici eu la part belle pour imaginer ces dernières semaines d'une vie consacrée à la musique). « J'ai trop joué dans ma tête, ces dernières semaines, à faire comme si les conditions de la vraie présence, en musique, pouvaient être changées. Ici, maintenant, on va retrouver la vérité première. Eux, vraiment présents, et moi, dans le cercle de craie. Indissociables. Comme un, pour le meilleur et pour le pire. Comparution. » (p. 133) Plus on se rapproche de l'essence de son être (fût-elle pure projection de l'esprit de Tubeuf), plus on entend les œuvres évoquées, notamment les transcriptions de chorals de Bach que Lipatti privilégiait comme rappel lors de ses concerts. « Ne serait-ce que pour eux je devrais y aller. Mais très au-delà d'eux, hors de ce lieu, hors de ce temps aussi, s'il m'en reste encore un peu, je voyais les vrais autres interlocuteurs, ceux qui au monde n'ont plus rien à faire qu'attendre, et entendre. Attendre de l'eau, entendre rien qu'un choral. Ceux pour qui je voudrais dévouer ce qui me reste d'énergie et de vie pour être à leur chevet, moi qui suis l'un d'eux mais, à la différence d'eux, détiens un peu de l'eau qui fait vivre. Disposer d'une sorte d'ubiquité, même s'il faut la payer de son propre corps, le temps d'un choral de Bach. Leur apporter la consolation dont je porte en moi-même le trop-plein, moi qui n'ai plus que ça au monde. » (p. 137) En nous rapprochant de la musique, de la vérité, en « traduisant le silence »André Tubeuf a réussi magistralement à restituer l'esprit de Lipatti. Après cette lecture, tout mot devient superflu, il faut laisser parler la musique. « La musique est la respiration de Dieu. Je ne sais pas, personne ne sait, si Dieu existe. Mais Il est musicien, cela je le sais. Et ça explique tant de choses qui restent des mystères: la tension et la dissension, et Babel, et la guerre. Et la douleur. Et l'harmonie. Et cette vibration, terrible et douce, jusqu'au dernier suspens, jusqu'au dernier soupir. Dieu traduit du silence. » (p. 152)
Je vous propose donc ici, prolongement naturel, un enregistrement de la transcription du choral « Jésus, que ma joie demeure » interprété peu de temps avant sa mort par Lipatti (repris deux fois sur le vidéo pour une raison mystérieuse) puis de la Sicilienne tirée de la Deuxième Sonate pour flûte.
Quand j'étais à Paris (il y a douze jours, autant dire un siècle, une éternité), il y avait beaucoup de publicité pour la création de ce nouvel opéra, musique de Howard Shore (oui, Monsieur Lord of the Rings lui-même, soit dit en passant, un compositeur canadien) d'après le scénario du film assez particulier de David Cronenberg.
Selon Papageno, lui-même compositeur, une production réussie... À quand le passage de l'œuvre à Montréal? À lire ici...
Je ne suis pas très politisée (mes beaux-frères diraient plutôt que je ne le suis pas suffisamment) mais là, ce matin, quand j'ai vu en première page de mon quotidien qu'Ingrid Betancourt était enfin libérée, après plus de six ans d'emprisonnement, j'ai cru un instant aux miracles, furent-ils petits. Sans hésiter une seconde, j'ai négligé la section « Arts et spectacles » pour me consacrer à la lecture des trois pages consacrées à l'événement.
J'avais été touchée à Paris alors qu'en me promenant sur le parvis de l'hôtel de ville, j'avais vu ce tableau électronique géant sur lequel s'égrenait le temps, implacablement, les longues heures de son emprisonnement. Par respect, par peur de susciter le mauvais sort, je ne l'ai pas pris en photo. J'ai bien fait. Il est inutile maintenant.
En cette fête du Canada, je prends quelques instants pour évoquer la littérature canadienne. Certains d'entre vous ne lisent que des romans québécois, d'autres ont approché la littérature québécoise récemment et découvrent sa vitalité. Bravo! Mais lisez-vous Canadien comme dans littérature canadienne anglophone, oui, celle-là même que le ROC (Rest of Canada) s'approprie sur une base régulière?
Un test informel, tout d'abord: pouvez-vous me nommer, sans l'aide d'un bouquin de référence ou d'Internet, dix auteurs canadiens non québécois? Bon, allez, je suis certaine que vous pouvez en nommer trois au moins sans faire trop d'efforts, parce qu'elles écrivent en français: Gabrielle Roy (si vous souhaitez la mieux connaître, je ne saurais trop vous recommander les chroniques récentes parues sur le blogue de Venise), Antonine Maillet (que j'avoue n'avoir jamais lue) et Nancy Huston, qui a débuté sa carrière en anglais et qui écrit maintenant (de Paris) en français puis se traduit elle-même en anglais (auteur que j'apprécie énormément). Et puis après? Oui, Yann Martel (qui vit maintenant en Saskatchewan et dont les titres sont traduits par ses parents). N'oubliez pas dans votre liste l'éternelle Lucy Maud Montgomery (saviez-vous que Anne fête ses 100 ans cette année?). Si vous avez des enfants, vous aurez sans doute lu à répétition les Robert Munsch. Les miens sont grands maintenant mais j'ai gardé dans ma bibliothèque le très touchant Je t'aimerai toujours et l'ai offert en cadeau à plusieurs reprises. Je vous laisse réfléchir trois (trente?) secondes de plus. Votre liste de dix noms est complétée? (Si cela peut vous consoler, je suis certaine que nos compatriotes anglophones peineraient à nommer plus de trois auteurs québécois.)
J'ai abordé la littérature canadienne anglophone il y a déjà quelques années, un peu par hasard, et j'y ai découvert nombre d'auteurs particulièrement inspirants. Je pense notamment à Margaret Attwood dont j'ai lu plusieurs titres jusqu'ici mais de qui je recommande sans aucune hésitation L'assassin aveugle, un livre qui avait remporté il y a quelques années le prix de « livre de l'année » de CBC (un vote essentiellement populaire). Côté littérature féminine, il ne faudrait pas non plus oublier Margaret Laurence (son Ange de pierre vient d'être traduit enfin et me fait de l'œil depuis des semaines), Alice Monro (j'ai un de ses livres dans ma PAL) et Jane Urquart (dont j'ai pu apprécier l'univers si particulier dans Niagara et Les amants du Styx).
Certains de mes plus grands coups de cœur des dernières années ont été signés par des auteurs canadiens. Je pense ici à Michael Ondaatje (Le patient anglais mais aussi Le fantôme d'Anil), Le jardin de papier de Thomas Wharton (un livre magnifique entre conte de fées, roman et essai typographique) et, last but not least, Timothy Findley, dont j'ai (presque) tout dévoré (je viens de réaliser ce matin en reprenant la liste de ses œuvres qu'il me manque, outre ses pièces de théâtre, un livre de souvenirs pour que j'en aie fait le tour). J'ai commencé par Pilgrim, qui avait reçu des critiques dithyrambiques de la part des collaborateurs du défunt magazine radiophonique artistique de la défunte Chaîne culturelle de Radio-Canada, et puis, j'ai tout avalé, presque d'un coup. Du lot ressortent particulièrement La fille de l'homme au piano (vous me direz que le titre était prédestiné) mais peut-être encore plus Chasseurs de têtes, une plongée saisissante dans le monde de la folie (qui reste un des thèmes récurrents de l'œuvre de Findley). Quand j'ai appris la mort de l'auteur, en 2002, je venais de terminer son dernier (et ultime) roman: Les robes bleues, dont je ne me départirai probablement jamais parce que, même s'il n'est peut-être pas le plus parfait de ses écrits, il demeure son testament.
Pour vous inspirer, vous pouvez consulter ici la liste d'écrivains canadiens (anglophones et francophones) recensés sur Wikipedia. Moi, je me laisserais bien tenter par Neil Bissoondath, Joy Fielding, Mordecai Richler...