La poésie a été écrite pour dire autrement, bouleverser, déranger, faire pleurer, mais surtout pour s'incarner dans le réel, être entendue. Quand on laisse ses yeux courir sur une page, on ne résout que la moitié de l'équation posée par le poème. Il faut l'écouter pour percevoir la respiration que l'auteur a souhaité y donner, réaliser physiquement comment certains vers ne peuvent s'enchaîner, qu'ils ont besoin de résonner d'abord - jamais d'être raisonnés -, avant d'être balayés par une assonance, un oxymore.
Présenté devant une salle bondée toute la fin de semaine à la 5e Salle, Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent nous rappelle que la poésie demeure un geste qui doit s'inscrire dans le quotidien, que les gens ont besoin d'y communier de temps en temps, si pas tous les mois, toutes les semaines. J'ai rarement été témoin d'une écoute aussi attentive, que ce soit au concert ou au théâtre. Personne ne bronchait, mais tous étaient visiblement fascinés par ce qu'ils entendaient. Plusieurs ont d'ailleurs accepté l'invitation des participants de venir avaler un petit sandwich « pas de croûte » ou de prendre un verre de punch, arrosé d'un trait généreux d'alcool après la représentation.
Comment refuser un tel breuvage quand il vous est offert par la grande Patricia Nollin, qui m'a prouvé en quelques phrases que l'Ulysse de James Joyce n'était certes pas aussi indigeste que je l'avais cru et qui a réussi à transformer La soupe aux poireaux de Marguerite Duras en moment de réflexion sur la vie? Comment ne pas vouloir serrer dans ses bras Simon Lacroix et Yves Morin qui ont offert une relecture mémorable à tout point de vue de la Troisième Gnossienne de Satie? Comment ne pas ouvrir dès le retour Rimbaud, ce poète que j'avais eu tant de peine à apprivoiser en cours de littérature à l'université, après avoir entendu Céline Bonnier transcender son Bateau ivre? Comment ne pas sentir sa gorge se nouer quand Jean-François Casabonne déclame Je voudrais pas crever de Vian, frémir après Dieu merci ce n'est pas moi d'Evelyne de la Chenelière ou N'aie pas peur maman de Robin Aubert, applaudir l'association Patrice Desbiens/Koriass dans Le vent de Sudbury, pleurer pendant qu'Éric Robidoux lit Je t'écris de Gaston Miron, avant de danser un extrait de La pornographie des âmes de Dave St-Pierre avec Clara Furey?
(le projet, dans une mouture antérieure)
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À l'aller, j'avais pris soin de glisser dans mon sac Coït de Chantal Neveu, un recueil brillant, ludique, musical par la façon dont il s'articule, se démultiplie, se découvre de façon presque insidieuse, qu'on le lise à l'horizontale ou à la verticale. Après tout, quand un lien fort s'établit entre deux êtres, ne devrait-il pas permettre au corps, au cœur à la tête et à l'âme de s'aligner en un même axe, une même asymptote?
je ne vois pas / le la / des pulses / internes / des colonnes d'air / des réflexes / des volumes sonores / des aberrations / séparée de l'instrument / les notes / de programme / ne disent rien de cela / des mesures / des nombres / des variations toniques percussives / des équivalences électroniques / des lignes rythmiques / une percée / sforzando / là / oui / c'est cellulaire / ce que cela rend possible / une immense ouverture / une séquence / ample / délicatesse moléculaire / descrescendo / ce n'est pas la musique
Une façon tout en délicatesse, en force retenue, de clore ce très beau mois de septembre au Québec... Merci à Karine d'avoir de nouveau proposé ce challenge!