lundi 7 mars 2011

Diriger l'écoute

Il y a une dizaine de jours, j'ai croisé des copains au concert d'Anne-Sophie von Otter et Brad Mehldau. Les deux venaient entendre la soprano et n'avaient aucune idée de l'identité du pianiste, les mondes du classique et du jazz étant trop souvent cloisonnés - ce que je trouve vaguement paradoxal, considérant combien le jazz devient presque le nouveau classique et est maintenant enseigné de façon très académique dans les universités. Cela aurait pu être n'importe quel autre pianiste, au fond, pour eux, aucune importance.

Je n'ai évidemment pas pu m'empêcher de vanter la musicalité de Mehldau qui, soit dit en passant, travaille plus souvent des œuvres classiques qu'il ne compose quand il n'est pas sur la route. Pour moi, ce soir-là, malgré certains tics « pop » dans une des deux pièces pour piano seul de Brahms interprétées, il a démontré hors de tout doute qu'il n'était pas qu'un jazzman ou un improvisateur brillant, mais bien un musicien admirablement complet, à la sonorité toujours contrôlée, et un accompagnateur doué, d'une remarquable écoute.

Quelques jours après le concert, j'ai reçu un courriel d'un des deux comparses, que je reprends ici. « Le fait que tu aies dit que tu aimais beaucoup ce pianiste a fait toute la différence; j'ai écouté le concert d'une façon différente. » Je ne partage pas ces mots pour tenter de vous faire croire que je possède un goût imparable ou vous annoncer que je compte me recycler dans la prévision de tendances. Rassurez-vous. Cela m'a tout au plus confirmé qu'une écoute dirigée est toujours plus attentive.

Ainsi, presque quotidiennement, j'échange des suggestions d'écoute avec un ami. Les choix peuvent aller de Scarlatti à John Adams, en passant par une foule de compositeurs « inconnus », découverts « par hasard » au gré des associations. Je connais bien les goûts éclectiques de mon interlocuteur et suis toujours ravie de pouvoir écouter du nouveau répertoire, parce que les canons du répertoire, parfois, quand même, on s'en lasse un brin. Quand il me dit qu'il a écouté en boucle telle œuvre la veille, forcément, je me mets dans un état de disponibilité autre. Il est plus symphonique, je suis plus musique de chambre ou récital. Nos goûts se complètent, nos suggestions se répondent.

Il y a quelques jours, j'ai pris le temps d'écouter le travail vaguement inclassable de Francesco Tristano, pianiste luxembourgeois dont j'ai connu l'existence alors que je lisais une revue allemande de musique classique à Berlin (vive le village global), qui vient de sortir un album Bach/Cage. Même si je sais que le puriste en lui a probablement vaguement crissé des dents, je n'ai pas hésité à lui lancer cette balle courbe. Les amis, c'est aussi fait pour ça, non?


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