jeudi 9 juin 2011

Le temps file

Dernières heures de cours déjà. Les petits s'attardent plus que d'habitude sur le seuil de la porte et prononcent en me quittant les mots: « Bon été! » plutôt que « Bonne semaine! » Léger pincement, mais à peine, car je sais que, fin août, je serai particulièrement heureuse de les retrouver et de constater qu'ils auront grandi, que le soleil a cuivré leurs peaux (du moins, souhaitons-le), que certains auront même touché au piano une fois ou deux. (Je n'attends plus grand chose côté pratique et c'est sans doute une bonne chose...)

L'important pour moi a toujours été que la musique continue de faire partie de leur vie, dans cinq, dix, vingt ans. Si on résume les années de complicité, on ne retiendra au final qu'une série d'échanges, de conversations, une appropriation d'une nouvelle langue qui, après un nombre important d'heures d'une pratique plus ou moins sérieuse, n'aura plus rien d'étrangère. Là réside sans aucun doute la plus grande force de la musique.

La semaine dernière, lors du deuxième soir de finales du CMIM, j'attendais celui qui m'accompagnait, billets en main, avec une légère fébrilité. (Les minutes filaient et j'en étais à le texter.) Tout à coup, un jeune homme s'arrête devant moi et me saute presque dans les bras. Trois bises, à la française, sur les joues, le temps que je réalise que j'avais devant moi ma Rach Star, en costard et cravate, véritable carte de mode, qui sortait des bureaux dans lesquels il fait son stage cet été. D'un seul coup, tout m'est revenu: le garçonnet timide, l'adolescent brillant mais toujours un peu incertain, le jeune homme en pleine possession de ses moyens sans jamais tomber dans l'arrogance.

Il avait considéré s'inscrire à l'université en interprétation et nous avions alors eu une discussion sans fard. Je me vois encore lui demander: « Peux-tu t'imaginer faire quoi que ce soit d'autre? Es-tu prêt à passer les prochaines années de ta vie enchaîné au piano, cinq ou six heures par jour, à vivre en marge d'une société qui ne comprend pas grand chose à l'art? Es-tu prêt à tout sacrifier pour transmettre les émotions d'un autre en musique? Es-tu prêt à courir le risque d'en vouloir à la musique de ne pas t'avoir accueilli comme tu l'aurais souhaité? » Il a pris quelques jours pour y repenser, a préféré l'amour assuré de la musique à une possible gloire et a choisi l'économie.

À l'entracte, je ne lui aurai au final posé qu'une seule question essentielle: « Est-ce que tu joues encore? » Il m'a parlé de son Étude transcendantale de Liszt, moins parfaite que jadis, avec un regard vaguement coupable. Je me suis dit en me rasseyant qu'il y avait de fortes chances que cette rencontre l'ait repoussé dans les bras de la musique. Le reste, au fond, n'avait que bien peu d'importance.

2 commentaires:

Caroline Rodgers a dit…

Eh! Moi aussi j'en ai voulu à la musique pendant longtemps après mes études...je pensais que j'étais la seule à vivre ce phénomène. Dans le fond c'est un processus de deuil avant d'y retourner en la regardant d'un autre oeil.

Lucie a dit…

C'est un phénomène qui arrive trop souvent... Peut-être parce qu'on n'est jamais aussi blessé par ceux (ou ce) qu'on aime.