Si, comme moi, votre coeur balance entre musique et littérature, vous avez probablement déjà été interpellé par certains romans (trop rares) mettant en lumière des musiciens. Au nombre des lectures mémorables au fil des ans, je devrais inclure, outre l'incontournable La vie de Liszt est un roman de Zsolt Harsanyi (entre biographie et littérature de fiction), La voix des anges d'Anne Rice (sur le monde des castrats), An Equal Music de Vikram Seth (une histoire d'amour improbable au sein d'un quatuor à cordes), Franz et Clara de Philippe Labro (parsemé de réflexions d'une grande poésie sur la transmission et la réception des oeuvres musicales) mais surtout, Le temps où nous chantions de Richard Powers (Éditions du Cherche-midi, 2006), l'un de ces trop rares livres que l’on voudrait ne jamais voir se terminer et que, pourtant, on se sent forcé de lire de façon compulsive. David, jeune scientifique juif fuyant le nazisme et spécialiste de la relativité, rencontre, au légendaire concert extérieur de Marian Anderson à Washington, Delia, chanteuse noire issue de la bourgeoisie de Philadelphie. Malgré les différences d’éducation, les tensions raciales qui imprègnent tout le livre et l’incompréhension des gens qui les entourent, ils fondent une famille, qu’ils élèvent dans la tradition de la musique classique. Les soirées en famille sont passées à chanter, à jouer au jeu des citations musicales (les mélomanes ferrés se délecteront), à partager cet amour qui les définit de façon plus juste que leur couleur de peau. Jonah, l’aîné, deviendra chanteur classique, puis un des premiers « baroqueux »; Joey (le narrateur) optera pour une carrière de pianiste, tandis que Ruth choisira la voie de l’activisme politique avant de retrouver la musique, plus tard dans sa vie. La musique ne sert pas seulement de toile de fond à cette grande fresque américaine qui couvre une soixantaine d’année, elle en est le cœur vibrant. Richard Powers (qui a suivi des cours de chant pendant de nombreuses années) décrit avec une rare finesse les airs musicaux qu’il évoque et les émotions qu’ils suscitent, rend presque simple la physique quantique (il a étudié en physique et a travaillé en informatique avant de se consacrer à la littérature), mais sait surtout peindre les soubresauts de la vie qui comble autant qu’elle déchire.
Dans ce même registre (mais beaucoup moins touffu), je viens de terminer la semaine dernière La société des jeunes pianistes de Ketil Björnstad. Artiste norvégien particulièrement prolifique (il a écrit de nombreux ouvrages de poésie, des romans, du théâtre mais aussi des musiques de film en plus de voir enregistrées nombre de ses oeuvres), il signe ici un roman très personnel (premier titre traduit en français) qui rejoint d'une certaine façon son propre parcours de jeune pianiste (il a fait ses débuts avec l'Orchestre philharmonique d'Oslo en janvier 1969, période du récit). Portrait d'une certaine jeunesse à la fois désabusée et exaltée qui vit en marge de la société, le roman m'a avant tout séduite par sa réflexion sur la pertinence du langage musical et sur les choix qu'on doit poser pour devenir interprète (Rebecca abandonnera au lendemain de ses débuts, la musique ne pourra pas sauver Anja de ses démons, Selma Lynge entretient une relation à la limite du malsain avec ses étudiants). Quand on a eu à poser ces même choix jadis, même s'ils étaient moins déchirants, on ne peut que se sentir interpellé par certaines des affirmations. « Rien n'est anormal quand il s'agit de musique classique, mon cher. Nous évoluons dans une arène destinée aux infirmes comme aux génies », souligne d'ailleurs Selma Lynge, pianiste étoile devenue pédagogue, ayant abandonné sa carrière par amour. Le livre foisonne d'histoires parallèles, de destins entrecroisés qui s'entrechoquent parfois, évoqués en demi-teintes malgré l'intensité des émotions sous-jacentes.
On déplorera par contre certaines maladresses malencontreuses du traducteur, notamment dans les titres d'oeuvres (la « Révolutionnaire » de Chopin devient par exemple « Étude de la révolution ») et les tonalités (la Fantaisie de Schubert est ainsi « transposée » en fa dièse plutôt qu'en fa mineur).
1 commentaire:
En effet, ça semble intéressant! C'est un monde à part que celui-ci. J'ai bien hâte de le lire pour m'y infiltrer un petit peu!!
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