Beethoven et moi, on ne peut pas parler d'un coup de foudre. Oui, bien sûr, toute jeune, j'ai travaillé le fameux (l'infâme?) Für Elise mais cela prendra ensuite quelques années avant que je n'ose me réattaquer à autre chose. Pendant trois années, j'ai eu le plaisir (hum!) de décortiquer son opus 2 no 1 dans le cadre des cours de matières théoriques du samedi matin. La première année, pour ne pas décourager personne, on s'était attaqué aux cadences. La deuxième, on avait poussé un peu la chose aux membres de phrase (à l'époque, on parlait encore de phrases « féminines » et « masculines » plutôt qu'interrogatives et conclusives!). On avait aussi décortiqué le menuet trio que la classe avait assimilé (avec brio je trouve... hum!) à l'autoroute des Laurentides. Le vendredi soir, le traffic est vers le Nord (importance à la main droite), le samedi dans les deux sens (deux mains égales), le dimanche vers le Sud (vous avez deviné, la main gauche est la vedette ici). Je dois dire que, même aujourd'hui, j'ai de la difficulté à regarder cette page de musique sans rire.
Mon professeur m'avait éventuellement fait travailler l'opus 90, considérée plus « accessible ». Pouvez-vous me chanter le thème du premier mouvement sans regarder votre partition? Moi non plus. Pas exactement une révélation, donc. Éventuellement, quelques années (et de multiples sonates de Mozart plus tard), j'ai eu le droit de m'attaquer à une « vraie » sonate, l'opus 110, l'avant-dernière. Ne l'ayant pas retravaillée depuis des lustres, j'ai eu le goût de m'y replonger il y a quelques jours, après qu'un ami m'en eût parlée. Quand même, quelle oeuvre!
Beethoven est devenu un géant, on y sent la transcendance, les déchirements de la souffrance mais surtout la grande force de caractère de cet homme immense. Comme toujours, avec un thème en apparence anodin, il édifie une cathédrale. L'Adagio ma non troppo du dernier mouvement est renversant, d'une douleur presque insupportable et pourtant, Beethoven, nous la rend si humaine. Quelques mots ponctuent ma partition dans ce mouvement: passion, doute, transcendance, pleurs. Quand la fugue s'amorce, c'est comme si une prière montait enfin jusqu'au ciel, comme si Beethoven avait accepté l'inévitable, la fin du parcours (quelques mois plus tard, il signera son ultime sonate). Après un retour du thème douloureux, Beethoven renverse le sujet de la fugue, qui devient aussi irréel qu'un mirage. Même s'il continue de nous édifier, cette fois-ci, le traitement du sujet nous ancre dans la profondeur de soi avant de nous mener avec subtilité vers l'apothéose, nous laissant pantelant et exalté à la fois.
Mon amour pour Beethoven s'est bâti lentement, comme il édifie ses oeuvres. Je me suis d'abord rebiffée, ai refusé d'admettre sa voix, ai boudé ses oeuvres parce qu'elles étaient trop « populaires ». Je n'avais pas encore compris les subtilités de son langage, la façon instinctive qu'il a de peaufiner un petit motif de trois notes et de le transformer en une statue magnifique, comment il réussit à tout exprimer dans ses mouvements lents mais n'hésite pas à le rejeter du revers de la main dans un éclat de rire dans ses scherzos déjantés, sa façon de s'ancrer dans la tonalité (sa fascination pour les motifs en accords!) pour ensuite tenter de la faire éclater, comme s'il voulait extraire un diamant d'un tas de roches. Avec le temps, j'ai souffert suffisamment pour ressentir ce qu'il me chuchotait toutes ces années à l'oreille, je me suis sentie suffisamment forte pour accepter son amour, son rire parfois tonitruant, ses inconstances, ses explorations, son essence.
5 commentaires:
Moi, si peu familière à la musique à part de me laisser aller à l'écouter sans jamais rien transformer en mots, de lire vos billets musicaux ouvre mon horizon. Merci.
Autre chapitre ; je continue à me demander si j'ai bien compris mon incapacité à cliquer sur votre liste de lecture avec ses étoiles. Elle reste fermée à tous mes clics et je trouve cela dommage, il y a plusieurs livres dont j'aimerais entendre parler sous votre plume.
Merci Venise pour ce passage...
En effet, la liste n'est pas « interactive », par contre certains titres ont été traités ici et là. Je vais voir si je peux activer des liens sur ces articles à l'intérieur même du site (vive la technologie...hum!). Sinon, il restera peut-être à me demander quels titres t'intéressent, j'ai tout ça de noté dans mon calepin de lectures! ;-)
En passant, inutile de me vouvoyer. Entre amies de la littérature...
Ah, cette technologie,je ne l'exploite pas suffisamment (j'avoue que je ne lui consacre pas le meilleur de ma patience !), alors elle m'exploite. Je suis à peu près certaine qu'il y a moyen d'activer ces liens, ce qui serait tout à l'avantage de votre blogue à mon avis. Demandez, oups, demande à des pro, comme à Carole, lorsqu'elle sera revenue de son "absence".
En attendant, c'est "Sondes ton coeur, Laurie Rivers" (que je suis en train de lire) qui m'intéresse et là, je viens seulement de réaliser que je peux cliquer sur Hadassa de Myriam Beaudoin, laquelle lecture m'intéresse puisque, tu le sais j'espère, nous l'attendons aux Correspondances d'Eastman.
De ce clic, je m'en vais lire tes commentaires sur son oeuvre.
Bonjour Lucie
Intéressant ton cheminement beethovenien...Je dois dire que j'ai commencé à aimer Beethoven quand j'ai compris que tout ce qu'il y avait à faire c'est de jouer ce qui est écrit...(ce qui ne rend pas la chose particulièrement évidente...)
...Et comme j'emprunte l'autoroute des Laurentides presque chaque jour je ne pourrai jamais plus le faire sans entendre le Scherzo de l'opus 2 no 1 :-)))))
coucou lucie. je ne suis pas une pianiste émérite comme toi, juste pour participer, te dire que curieusement je suis venue tard aussi aux sonates de Beethoven (ah le conservatoire et ses oeuvres imposées jusqu'à la nausée!) après avoir découvert celles de Schubert. maintenant j'ai plaisir à rejouer "les Adieux", "l'Aurore"... il m'a fallu en apprendre la respiration. maintenant j'aime bien écouter des versions différentes.
en tout les cas tu en parles bien. à bientôt.
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