Les professeurs qui utilisent la même méthode pour tous leurs élèves m'effraient. Je comprends certes que, lorsqu'on donne depuis 10 ans un cours de maths et que, vraisemblablement 1+1=2 (certains philosophes ont tenté de prouver le contraire, mais peu importe), on peut vivre sur ses réserves et, oui, pourquoi pas, proposer le même devoir trois, voire six années de suite. Par contre, quand on a devant soi un aspirant pianiste, je crois qu'il est impossible de concevoir que tous, en deuxième année de cursus, devront jouer le petit menuet de Petzold en sol majeur (faussement attribué à Bach). Nous disposons d'un répertoire quasi infini, dont nous n'aurons jamais fait le tour, alors, comment peut-on considérer s'embourber volontairement dans de telles ornières?
J'ai cette année dans ma classe beaucoup de jeunes débutants (entre 5 et 7 ans). Oui, cela exige des trésors d'invention pour assoir le plus jeune (« Quoi, tu veux que je recommence? Mais on vient de le jouer deux fois! Non, je veux pas! » ), de persuasion pour faire lire l'autre (qui a pris bien des mauvais plis en une année et se fie à son oreille ou sinon aux chiffres sur la partition), d'attention surtout, pour être certaine que l'édifice que nous construisons ne s'écroulera pas dans deux mois ou cinq ans - et ce, sans savoir si l'élève poursuivra ou non. Cela prend une certaine volonté (une volonté certaine même) pour viser l'excellence, un terme malheureusement galvaudé de nos jours.
Je ne suis pas une de ces profs tortionnaires (vous voyez le stéréotype, certain âge, cheveux gris, chignons, visage de bois) et donnerais plutôt l'impression contraire, mais j'ai beaucoup de difficulté à accepter les gens qui ne vont pas au bout de leurs limites et ce, peu importe celles-ci. J'ai quelques élèves doués que je peux pousser au maximum (« Tu me travailles les sections A à F pour la prochaine fois »), d'autres plus lents que j'encadre plutôt (« Je ne te sens pas très à l'aise; revoyons tout ça !»), un pur-sang un peu fou qui apprend à la vitesse de la lumière mais se rebiffe dès que je lui parle de discipline (« Oui, je comprends bien que tu es un interprète, mais cela ne t'empêche de respecter le texte et le compositeur! », un imaginatif qui a toujours des histoires incroyables à me raconter (« C'est super, tout ça, mais là, on joue ta pièce, d'accord? »). Il y a évidemment tous les autres. Il faut savoir être à l'écoute, comprendre ce dont l'élève a besoin, puiser dans son savoir (et idéalement une vaste bibliothèque de partitions) et proposer en conséquence. Il faut surtout refuser l'immobilisme et le statu quoi. Pourquoi ai-je l'impression que 99 % de la population se moquerait de moi si je leur lançais cette phrase dans une soirée mondaine? Peu importe. Il faut pouvoir assumer ses convictions.
5 commentaires:
Quel courage et surtout quelle énergie, il faut pour bien s'occuper des autres !
Ton billet m'a fait plaisir à lire et m'a rassuré sur le fait qu'il y avait des personnes avec des raisonnements intelligents et empathiques. Merci!
C'est vrai que cela requiert une bonne dose d'énergie et d'enthousiasme, mais surtout d'empathie je pense. Être à l'écoute, ça ne se joue pas qu'à l'instrument. :)
Pourquoi mais la peur et la certitude du danger... Au point que l'on oublie l'ivresse de la découverte, d'aller de l'avant, de découvrir et l'autre et soi, que cela va aussi nous changer irrémédiablement.
c'est vrai, c'est du sur mesure, le travail de prof, quelle que soit la matière... il m'arrive de le dire et jusqu'à présent ça n'a pas suscité de moqueries ;-)
Caro: ce que tu écris n'est pas que pertinent pour l'enseignement! :)
Adrienne: laisse-les se moquer alors! Nous, on connait la chanson! :)
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