Le second, Leo Podolswky, vilipende, avec un malin plaisir. Après avoir comparé la pianiste à un produit high tech haut de gamme, il précise:« Au vrai, ce qui soudain nous atteint et nous déchire, ce ne sont pas les notes de Scarlatti: c'est leur présence parmi nous. C'est ce miracle d'une musique à l'état natif, telle qu'on peut parfois la pressentir en lisant les notes de la partition, dans le silence toujours menacé de notre monde intérieur, ou de ce qu'il en reste. Et la beauté, ce qu'on appelle la beauté, c'est sans doute cela: la présence pleine et entière de ce qui fut, de ce qui est mort, de ce qu'on n'atteindra jamais; la prolifération cristalline d'une parole engloutie, le dessin pur et net, immobile, immortel, de ce qui pourtant s,efface et meurt et fuit, comme un visage dessiné dans l'eau, subsistant à jamais. » (p. 8-9)
Pendant quelques jours, les deux critiques s'opposent par blogues interposés, dans une audacieuse relecture du roman épistolaire signé Étienne Barilier. Au fil des attaques, le lecteur réalise qu'il y a anguille sous roche, que ce ne sont pas seulement deux critiques qui défendent leur point de vue (ce qui donne néanmoins plusieurs pages magnifiques sur l'expérience de concert, le rôle du critique et la vitalité toute relative de la musique classique à notre époque), mais deux hommes qui ont été liés, qui souhaiteraient peut-être renouer en partie ce lien qu'ils ont laissé se distendre au fil des ans. Délaissant le blogue, les deux laissent peu à peu tomber les masques, par courriels interposés. Les pseudonymes disparaissent, le ton change, le lecteur est conduit ailleurs, dans ce qui se révèle une véritable réussite du genre. Bis!« La comparaison pourrait être poussée encore plus loin si nous étions désobligeant: de même que les ordinateurs, chaque année, ont davantage de mémoire et de puissance, les pianistes classiques, à chaque génération (c'est-à-dire, là aussi, chaque année) ingurgitent des programmes plus énormes et les jouent avec des moyens plus tonitruants. Il est assez compréhensible qu'une grande maison de disques, en perdition comme les petites, ait tout misé sur ce nouveau phénomène qui, contrairement à ses prédécesseurs chinois, possède le charme incontestable de l'oxymore: ce corps plutôt menu, à la gestique plutôt discrète, déchaîne les mêmes ouragans sonores que les batteurs d'estrade, les broyeurs d'ivoire et autres éléphants d'Asie qui l'ont précédée dans la gloire médiatique. » (p. 10-11)
Acheté à Paris (mais maintenant disponible au Québec), pour être lu dans le cadre du challenge Des notes et des mots.
Si vous voulez vivre en différé quelques grands moments de la présente édition de La Roque d'Antéron, Arte Live Web propose ici quelque captations, dont celle de Tigran Hamasyan ou d'Aldo Ciccolini (qui joue le Troisième de Beethoven et le Concerto de Schumann).
5 commentaires:
Ca a l'air bien intéressant ! Merci pour les liens vers le festival à voir ou à revoir sur Arte, j'adore (re)découvrir tout ça sur internet !
Ah oui, c'est très tentant, tout ça. J'ai un peu peur que ce soit un peu technique pour moi, par contre... je me trompe?
Karine: je pense que tu as le vocabulaire nécessaire pour apprécier. Bien sûr, au début surtout, il y a des références à certains pianistes du passé, mais je ne pense pas que tu serais perdue.
Lucie,
Voilà un livre qui a tout pour me tenter grâce à ta façon de nous le présenter.
Je crois qu'il va falloir que je mette la main dessus sans tarder!
Lali: Je suis certaine que tu l'aimeras! :) Si tu as de la difficulté à le trouver, fais-moi signe et je te prêterai mon exemplaire.
Enregistrer un commentaire