Peu d’interprètes défendent la musique de notre temps avec un sérieux
aussi irréprochable que la pianiste Louise Bessette, qui soulignera ses
trente ans de carrière en offrant, lors d’une même journée, non pas un,
mais trois programmes différents. Biographie étoffée, critiques
dithyrambiques, discographie riche d’une vingtaine d’enregistrements,
organisation remarquée de l’événement Automne Messiaen 2008; ce parcours
en apparence sans faute peut facilement intimider.
Pourtant,
deux minutes en sa présence suffisent pour comprendre que, si elle
respire l’air parfois raréfié de la création, elle n’éprouve aucune
difficulté à s’incarner dans le quotidien. Absence de faux-semblant, de
circonvolutions, de phrases creuses, énergie plus que contagieuse : son
regard brille comme celui d’une enfant qui s’apprête à souffler ses
bougies d’anniversaire et son rire franc balaie tout sur son passage.
On ne lui donnerait pas plus de 40 ans; pourtant, selon l’Encyclopédie de la musique au Canada,
elle est née à Montréal en 1959. Sa grand-mère maternelle et sa mère
ayant toutes deux occupé le poste d’organiste de l’église de la
Visitation, il semble naturel de proposer à la petite Louise, cinq ans,
de s’initier au piano. Admise au Conservatoire de musique de Montréal en
1971, elle y accumulera cinq premiers prix, sous la tutelle de Georges
Savaria puis Raoul Sosa. Ce dernier la fera tout naturellement basculer
de la Sonate de Berg à la « Première communion de la Vierge » (tirée des
Vingt regards sur l’Enfant-Jésus) de Messiaen. « Je n’en sentais
pas la complexité », dit-elle, comme si le choix avait alors relevé de
l’évidence. Elle était néanmoins consciente que les autres pianistes lui
enviaient déjà la facilité avec laquelle elle apprivoisait ces œuvres.
Les succès s’enchaînent : Concours de musique national
Eckhardt-Gramatté, Concours international de musique contemporaine de
Saint-Germain-en-Laye, Concours international Gaudeamus pour la musique
contemporaine à Rotterdam, prix Flandre-Québec. « Je ne me suis jamais
questionnée sur ce parcours, sur ce que j’aurais voulu réaliser. Je
faisais ce qui me plaisait, résume-t-elle. J’aime bien évoluer hors des
sentiers battus, découvrir. » Ses pairs ont salué sa virtuosité et sa
vision à de nombreuses reprises et elle a accumulé de nombreux prix
Opus, dont un doublé « Interprète » et « Événement musical de l’année »
pour l’Automne Messiaen 2008. Pas moins d’une cinquantaine de musiciens,
ensembles et organismes avaient en effet pris part à cet événement
rassembleur, dont le Quatuor pour la fin du temps, devenu ARTefact
(composé de Simon Aldrich, Yegor Dyachkov, Jonathan Crow et Louise
Bessette), associé au premier concert présenté le 31 mars.
Quatre œuvres seront entendues en primeur ce jour-là. « Les
créateurs sont la voix d’un pays et chaque création est un grand moment
de musique », explique celle qui croit que la première d’une œuvre lui
offre une deuxième naissance. On entendra Les Cinq Éléments de Michel Boivin pour piano solo, City Songs d’Ana Sokolović, qu’elle interprétera avec sa dédicataire Olga Ranzenhofer, une nouvelle œuvre de Michael Oesterle et Les Sabliers de la mémoire de Serge Arcuri, compositeur dont elle a découvert l’univers en 2004 à travers Fragments, que l’on retrouve sur l’album ATMA Migrations, lauréat en janvier dernier d’un prix Opus.
La pianiste de long cours proposera ensuite un récital solo articulé autour de la Suite no 9, « Ttai » de Scelsi et Les Planètes de
Walter Boudreau. « Scelsi est un compositeur avec lequel j’ai beaucoup
d’affinités, au monde très intérieur. Boudreau, au contraire, a écrit
ici une œuvre explosive. Après un début très violent, la musique se
dépouille peu à peu, nous menant à une fin magique. » Le dernier
programme, première collaboration avec Peter Hill, sera consacré à la
redoutable version quatre-mains du Sacre du printemps de Stravinski et – conclusion naturelle – aux Visions de l’Amen de Messiaen.
« J’apprécie beaucoup le travail avec les compositeurs, explique
celle pour qui nombre d’entre eux ont écrit. Le métier d’interprète est
très riche et nous y mettons beaucoup de nous-mêmes. Quand nous pouvons
partager avec le compositeur, c’est une chance. L’interprète ne fait-il
pas partie de l’émotion ? Chaque compositeur arrive avec ses questions,
ses craintes, ses joies, ses angoisses, son monde. Il est toujours très
enrichissant de discuter avec lui. Il reste ensuite à intégrer dans
chaque œuvre ce que les compositeurs ont transmis. »
Quand elle n’est pas en train de déchiffrer de nouvelles œuvres,
elle enseigne au Conservatoire, s’occupe de son fils de 12 ans, lit ou
pratique le taïchi, qu’elle a intégré à son approche du clavier. « Il y a
beaucoup de profondeur dans le taïchi : langage des mains, respiration,
détente, concentration, mémoire et intériorité. À l’instrument, je suis
toujours consciente de l’importance du corps, de sa détente, si je veux
pouvoir produire un beau son. Le taïchi m’a permis de le conscientiser
de façon plus concrète. »
On la croisera peut-être aussi au concert – pour « entendre les
collègues » – ou en voyage, véritable passion chez elle. « Peu importe
où je suis, la musique est toujours en moi; j’entends des choses dans ma
tête, réfléchis à des œuvres, des interprétations. » Une fois de retour
devant son piano, les images surgissent, s’intègrent à une page
particulière, prennent une vie autre. « C’est important de voir la
beauté du monde. Il est peut-être rempli d’horreurs, mais il ne faut
jamais perdre de vue sa beauté. »
Cet article se trouve dans le numéro courant de La Scena Musicale.
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