samedi 17 mars 2012

Pianiste collaborateur

La nature de mon instrument fait que ma relation avec lui se vit en général dans la solitude. Je m'assois (le plus difficile reste de s'en convaincre, après, cela va tout seul), je travaille, je répète, je fustige, je décortique, je trouve des façons de contourner le problème, je le règle si tout va bien (sinon je sors mon langage grossier), puis j'aborde une nouvelle section. Oui, vingt (mille) fois sur le métier, remettez votre ouvrage. Question d'habitude, de discipline, on s'y frotte et on s'y fait.

Et puis, parfois, heureusement, il y a le plaisir du partage: quand je présente une nouvelle pièce à un élève, quand un(e) ami(e) me demande de lui jouer une page en particulier ou me laisse carte blanche et, bien sûr, quand je dois jouer en concert. J'ai réalisé à l'âge de 14 ans que j'aimais jouer avec un(e) autre. L'idée de diviser la pression par deux, par trois, par quatre, m'a tout de suite séduite, mais aussi les heures de répétition préparatoires en commun, moments qui permettent d'essayer de nouvelles approches, de réfléchir à une interprétation de façon commune, de rigoler bien souvent. Sans oublier le simple plaisir de réellement dialoguer à travers les instruments.

Mardi dernier, je jouais en concert avec un saxophoniste, que je connais depuis des lustres. Nous ne sommes pas réellement amis; quand nous ne jouons pas ensemble, nous ne nous écrivons pas, nous parlons rarement. Pourtant, à force de le fréquenter en répétition et sur scène, j'ai appris à le connaître. Sa fixation pour le métronome m'a horripilée pendant un temps; maintenant, elle me fait sourire. Depuis le temps, il a compris que, le jour du concert, il devra de toute façon se fier à mon sens de la pulsation plutôt qu'à un tic-tac mécanique. Ses expressions pourraient parfois sembler manquer de fini; pourtant, je sais combien il est cultivé. Il n'aime rien tant que de parler d'interprétations remarquables, de pureté de sonorité, des grands instrumentistes d'aujourd'hui, mais aussi du passé. Il a lu tout Dostoïevski, aime marcher sur le bord du Richelieu. Quand il fait de l'insomnie, il écoute des vidéos de musique classique. Mais surtout, quand il approche son instrument de ses lèvres, il se transforme illico en musicien. Il lui arrive de rater une entrée parce qu'il m'écoute trop attentivement. Il s'impatiente contre lui-même quand une note grave ne sort pas correctement ou que son anche se révèle pâteuse. Il ricane quand mes doigts s'emmêlent, mais jamais méchamment.

Lors de la répétition pré-concert, nous avons retrouvé la Sonatine (écrite à l'origine pour violon) de Schubert. Dès la première lecture l'année dernière, nous étions sur la même longueur d'ondes. Aucune hésitation au niveau des respirations, les contrastes s'établissaient d'eux-mêmes, les rubatos ne semblaient jamais artificiels. Certains pourraient considérer l’œuvre moins importante dans le catalogue du compositeur, mais j'aime la façon dont elle nous unit,  nous permet de dialoguer à cœur ouvert, d'aplanir tout différend, de transmettre la beauté pure du langage. Nous avons terminé le premier mouvement et il n'a pu s'empêcher de s'exclamer: « C'est l'fun de faire de la musique! » Je me suis contentée de sourire...



Une des œuvres au programme de ce concert... Le troisième mouvement est ici.

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