mardi 30 octobre 2012

Printemps spécial

Était-il trop tôt pour écrire de la fiction ayant pour trame de fond le tumultueux « printemps érable »? Était-il utopique de penser pouvoir s'extraire des secousses pour les intégrer à une trame autre, comme l'a par exemple réalisé Moebius en publiant une série de textes sur le 11 septembre (rappelons-le, dix ans après les événements)? Douze auteurs de la maison d'édition Héliotrope ont pourtant répondu présent à l'appel même si - ou peut-être parce que -, lorsque les plumes ont été trempées dans l'encre rouge, le réglement relevait plus de la pensée magique (celle des dirigeants entendons-nous) que de la réalité. Il faut saluer l'audace d'avoir voulu garder un souvenir indigné de l'événement, de le transformer en objet cohérent, attrayant (les textes sont accompagnés d'images signées Toma Iczkovits alias M'sieur Zen), que l'on souhaite garder. S'il rentre difficilement dans un sac à main, il peut néanmoins trôner sur une table à café, histoire de se rappeler que, au fond, nous n'avons pas réglé grand chose en tant que société.

Les nouvelles multiplient les tons et les points de vue: du journal extime/autofiction (« À la casserole » de Catherine Mavrikakis) au sain sarcasme (« La jeune fille et les porcs » de Nicolas Chalifour), en passant par l'impuissance de ceux qui ont dû se contenter d'observer le combat de loin (« Je n'étais pas là » d'André Marois, « Chelsea rouge » de Gail Scott ou « Colère et tremblement » de Michèle Lesbre). Certains ont réussi à se détacher suffisamment de l'événement pour raconter une histoire autre, Olga Duhamel-Noyer ( « La corde ») par exemple, les manifestations devenant simple contrepoint à une trame trouble. Si le livre n'en est pas vraiment un de dénonciation, cette dernière se lit néanmoins en filigrane. Ceux qui ont porté le carré rouge, tapé sur une casserole, pris part à une discussion musclée lors d'un souper familial pourront sans peine superposer leur propre trame narrative à l'une ou l'autre de ces histoires, celles de Simon Paquet (« L'inactiviste », course folle pour participer enfin à une manifestation, juste assez décalé) ou Carole David (« L'atelier rouge ») par exemple.

On retrouve surtout la voix, puissante, unique, des auteurs de la maison que l'on a appris à connaître, à aimer (« Autoportrait en militante » de Martine Delvaux, à la petite musique intérieure si particulière ou « Comme les Hell's » de Patrice Lessard, qui nous permet de retrouver certains personnages de ses deux romans, par exemple), en découvre avec plaisir d'autres (« On n'était pas invités » de Gregory Lemay), en une étonnante courtepointe (rouge) dont les pièces se complètent plutôt qu'elles ne se répètent.

«... tu comprends que le 13 février 2012, tu as cédé le pas à la foule. Tu t'es faite multitude, cortège, assemblée, régiment. Ton imaginaire pris en souricière par ce printemps, ta vie est devenue le stroboscope d'événements dont tu fais l'inventaire comme une ritournelle.
Tu n'es plus la même. Ton visage a changé. Voilà ce que tu vois.
Le printemps t'a réinventée. » (Martine Delvaux, « Autoportrait en militante »)

1 commentaire:

Philippe a dit…

Excellent article! Et continuez comme ca!