lundi 7 mai 2012

Apprendre... toujours

La compression d'horaire des derniers jours, avec le colloque, la couverture du Festival Vues d'Afrique (je vous reviens bientôt avec deux autres recensions) et la gestion des répétitions pré-concert d'élèves a relevé par moments de l'utopie la plus pure. J'admets que, vendredi en début de soirée, quand les derniers élèves ont quitté mon home après la répétition générale, je me suis posée de sérieuses questions. Pourquoi n'avaient-ils pas réussi à assurer? Les avais-je si mal préparés?  Ne leur avais-je consacré assez d'énergie, au milieu du tourbillon? Devais-je considérer de laisser l'enseignement du piano à d'autres? N'étais-je pas complètement cinglée de vouloir jouer Vallée d'Obermann en ces circonstances? Je me suis dit qu'il y avait certainement une leçon à tirer de tout cela, mais je n'avais pas prévu laquelle.

Hier matin, je me suis éveillée, fébrile, comme tous les jours de concert. J'ai juré contre l'imprimante qui ne collaborait pas, ai fini par mater la bête et glissé des dizaines de programmes dans une pochette. Dans le métro, je me suis plongée non pas dans un livre, comme à l'habitude, mais dans ma partition, réfléchissant à certaines inflexions, entendant intérieurement le texte, assurant certaines progressions harmoniques. J'ai quand même eu le temps de saisir un ou deux regards interrogatifs, sans que personne n'émette le moindre commentaire. Juste avant le concert, alors que j'échangeais avec la mère d'un élève, je me suis préparée au pire, à la possibilité que, peut-être, il y aurait des glissements de terrain fâcheux, que je devrais peut-être consoler l'un ou l'autre. Et puis l'heure a sonné.

Crédit photo: Lucie Renaud
Un petit laïus de présentation, histoire de rappeler certaines consignes de déplacements (vieux planchers de bois obligent). Premier imprévu: une mère se lève spontanément, pour s'adresser au public, me remerciant d'avoir une fois encore organisé un tel événement. Sourire vaguement troublé de ma part. La première élève, quatrième d'une fratrie, que je connais depuis sa conception, s'est avancée, visiblement traumatisée, si petite,  ne pensant pas pouvoir « faire comme les grands ». Grâce à quelques câlins et la présence de sa maman bonne fée à ses côtés, elle a fini par accepter de plonger. Impression de vertige partagée. Le concert pouvait maintenant vraiment commencer.

Tous, l'un après l'autre, se sont avancés, se sont assis à l'instrument, ont joué le tout pour le tout. Bien sûr, quelques imprécisions rythmiques se sont greffées, ainsi que quelques flous de mémoire (sans qu'aucun pourtant ne s'arrête). Mon cœur bondissait dans ma poitrine à chaque fois, mais je combattais vaillamment. C'était à mon tour de pratiquer le fameux lâcher-prise. Je n'aurais de contrôle que sur mon interprétation et rien d'autre. Je me suis accrochée, parce que la musique était présente, dans la délicatesse d'un phrasé, dans la profondeur d'un accord, dans une respiration assumée, dans les sourires, dans les regards de connivence échangés.

Quand les flashs des caméras des parents ont cessé de crépiter, après la traditionnelle « photo de famille », je me suis rappelé qu'au fond, je faisais un métier fabuleux, que je n'étais pas encore prête à arrêter de transmettre, de partager, de rire avec eux, de grincer des dents à l'occasion... d'apprendre.


2 commentaires:

Venise a dit…

Oh que c'est un beau texte, beau parce qu'il dit si bien la vie.

Tout remettre en questions à la dernière minute, peut-on aussi appeler cela le trac !?

Lucie a dit…

Tu penses que ce n'était « que » le trac, mon questionnement? Peut-être... Quand j'étais dedans, par contre, j'avais l'impression que c'était plus profond.

J'admets volontieres que je suis ravie cette semaine de n'avoir qu'à sourire aux élèves qui viennent au cours et de leur dire: « Bon travail! On apprend une nouvelle pièce maintenant? »