J'ai développé au cours de la dernière année un goût accru pour la poésie. Son oralité me rejoint plus directement, prolongement de la parole théâtrale peut-être, de la musique surtout. Ai-je enfin accepté son côté inéluctable, le fait qu'au fond, sans elle, la vie manque de relief, de sens? Certains livres nous attendent, plus ou moins patiemment. C'est ce qui est arrivé avec le magnifique dernier recueil de Carole Forget,
Le sol ralentit sous mes pas, déambulations au musée et au cœur de soi, regards sur les toiles autant que sur les gens que la poète croise, les œuvres évoquées devenant autant de jalons de vie qui lui - nous - permettent de prendre le pouls de son évolution.
« on a parfois le trait si chétif / devant tous on se dessine / sans emblème / petit sillon mauve / à la dérive » (p. 27, 9e visite)
Une rencontre qui se concrétise trop tôt ou trop tard passera souvent inaperçue. Suffisamment intriguée par la très belle critique qu'en avait fait
Le Devoir, je l'avais illico réservé à la Grande Bibliothèque. Une fois récupéré, l'exemplaire relié a attendu quelques jours sur mon étagère de chevet, celle qui accueille les emprunts, et puis un soir, au retour d'une sortie au théâtre, je l'ai ouvert, me disant que je lirais tout au plus quelques pages avant de m'endormir. Rien ne m'avait préparée au choc ressenti. Après avoir parcouru dans ma tête trois ou quatre visites, articulations subtiles du recueil, j'ai ressenti la nécessité de lire les suivantes à voix haute.
« un homme me salue / du haut d’une balustrade / nous nous bouleversons / penchés / l’un dans l’intervalle / de l’autre » (p. 45, 18e visite)
Au fur et à mesure, j'ai marqué plusieurs des pages, propulsée par l'envie de saisir l'instant sur mon petit enregistreur mp3, de les offrir à mon amie poète, avec le même enthousiasme qui m'aurait habité si j'avais découvert une nouvelle partition. Interprète disposant d'un nouveau registre, d'un nouvel instrument, j'ai repris certains segments. La fatigue qui s'installait doucement a sans doute teinté la lecture que j'en ai faite, comme lorsque l'on laisse les doigts caresser un thème aimé une fois le dernier invité rentré chez lui, avec juste un fil de nostalgie.
« on n’entre pas dans le désir / on l’observe » (p. 47, 19e visite)
Les souvenirs finissent toujours par s'estomper, mais pourtant, depuis presque un mois, le récit de ces rencontres, avec les œuvres, avec l'homme (vision sublimée ou relation incarnée, peu importe), avec elle-même, avec le langage, m'habite encore, de façon ténue, en filigrane, en contrepoint, m'a permis d'apprivoiser certaines évidences. J'ai rapporté le livre à la bibliothèque avec une légère réticence, consciente qu'il aurait été injuste de priver un autre lecteur, une autre lectrice, en me disant aussi qu'il se nicherait bientôt sur mon étagère de poésie, que je l'offrirais à d'autres aussi.
3 commentaires:
Ça m'apparait un réel coup de foudre passant par le coeur. Et tu es toujours vivante et même vivant toujours plus.
Être aspirée par de la poésie, cela ne m'est jamais arrivée. Pas encore. Tu as mûrie sur ta branche avant d'y arriver. Où en suis-je ? À l'état de graine, de pépin, de semence ?
L'amie poète dit : très belle lecture que la tienne, chère Lucie. Et j'ai la chance d'avoir les pistes audio héhéhé
À Venise : il suffira de passer à travers l'idée de la poésie, sortie de l'écran de fumée, pour toucher, libérée, son souffle. Cela arrivera, sans prévenir.
Pourtant, la poésie est partout, c'est lorsqu'elle s'écrit qu'elle intimide. Un coeur bat et la poésie respire.
Amitiés
Venise: je pense qu'il ne faut pas trop tenter de rationaliser la poésie. On réagit à certaines pages, pas à d'autres, et c'est tout à fait normal. Il faut se laisser par une voix, ne pas avoir peur de ne pas aimer ça, mais surtout réessayer! :)
Belle amie: merci de croire en la nécessité d'une telle parole.
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