Avant de clore l'année avec une petite rétrospective demain, je tenais à revenir quelques instants sur deux recueils de nouvelles d'auteurs québécois, lus la même journée (l'une des rares de semi-tranquillité que j'aie eu jusqu'ici).
Je lisais pour la première fois Gilles Jobidon, dont on m'avait dit le plus grand bien. Dans D'ailleurs (VLB éditeur), il nous propose un voyage en sept escales dans des lieux parfois lointains (délicieux « Ly Sanh », l'histoire touchante d'un enfant qui apprend à vivre après la perte de sa grand-mère), dans des époques improbables (« Le tiroir bleu », dont l'argument est fascinant mais qui m'a un peu perdue en route), dans des univers à la Hemingway (« D'ailleurs », une grinçante peinture de caractères) ou franchement sombres (« À suivre » et « Elsewhere », qui se dévoilent en couches multiples). Il réussit à nous toucher et à nous faire rire à la fois avec « N.Y. » (la chute est particulièrement craquante), nous laisse parfois sur notre faim (« Le pull »). L'écriture est soignée, multiple dans les tons choisis, ponctuée d'images bien ficelées. Un auteur que j'ai pris plaisir à découvrir et auquel je retournerai sans doute.
J'ai enchaîné cette lecture avec Personnages en voie de disparition de Robert Lalonde, sans doute l'auteur québécois que j'ai le plus fréquenté cette année, séduite par Le monde sur le flanc de la truite. J'avais lu à sa sortie dans une librairie la nouvelle « Le meilleur ami de l'homme » (c'était la plus courte du recueil), que j'avais trouvé terriblement efficace, mais j'avais résisté à l'achat du livre alors. Il y a quelques semaines, un ami me prêtait le recueil, me confiant ne pas être dans l'état d'esprit nécessaire pour l'apprécier. J'attendais d'avoir quelques instants de paix relative pour m'y plonger, Robert Lalonde ayant cette faculté de ralentir le temps dans ses écrits, de nous confronter à la nature environnante, à l'instant qu'il suffit de saisir pour tenter de l'arrêter. Le recueil comprend certaines nouvelles particulièrement maîtrisées. La touchante « Espèces en voie de disparition » raconte l'histoire d'un amour de jeunesse arrêté en plein vol par le destin. Dans « Première neige sur la batture », nous assistons aux derniers instants d'un homme qui se sait condamné mais qui choisit de vivre jusqu'au dernier souffle. Certaines sont un peu plus faibles, il est vrai. « Here comes the sun », « L'accidentée » et « Des nouvelles d'Afrique » m'ont sans doute moins interpellée. Si je n'avais qu'à en choisir une, j'opterais sans l'ombre d'une hésitation pour la plus longue du lot, « Un chalet, un autre, toujours le même », une histoire d'amour passionné, fusionnel, déchirant, entre le narrateur, jeune comédien (possiblement une vision sublimée du jeune Lalonde) et Daniel, un être particulièrement torturé par ses amours homosexuelles. Là où Brokeback Mountain (tant le film que la nouvelle d'Annie Proulx) jouait la carte du non-dit et du sous-entendu, Lalonde choisit la voie de l'intensité, de la densité, de l'immensité. Alors je me suis jeté sur lui et tout a été comme toujours, l'un prenant le dessus, puis l'autre. Ça ne pouvait pas être autrement. Nous étions, encore à chaque fois dans le combat, semblables, équivalents, d'égale force. C'était comme si nous ne nous affrontions pas l'un l'autre mais chargions ensemble, attaquions ensemble un même adversaire, un même ennemi, un même frère. À savourer à petites doses, mais sans modération.
1 commentaire:
Robert Lalonde est un écrivain que j'aime beaucoup.C'est toujours un beau moment de lecture quand je m'installe avec un de ces livres. Comme tu l'écris si bien : il a cette faculté de ralentir le temps dans ses écrits...
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