mercredi 15 octobre 2008

Enthéos: ... Des nourritures terrestres

Suite à un événement traumatique, Thomas s’est perdu, il se cherche. Ses cauchemars le hantent. Il tente de les fuir dans la drogue. « Il a brûlé son passé au fond de lui. Mais l’incendie l’a laissé froid. Il ne s’y est pas réchauffé. Il marche, vêtu des lambeaux de son âme. Son âme divisée. » (p. 53) Grâce aux textes qu’il s’approprie, à son directeur de thèse le professeur Lamarche, mais surtout grâce à Elsa Fontaine qui l’ouvrira de nouveau à la possibilité d’aimer, il parvient à s’incarner un peu plus, à s’apaiser, à se sentir enthéos, à retrouver le divin en lui.

Ce premier roman de Julie Gravel-Richard nous ouvre les portes d’un univers qui, à première vue, pourrait en décontenancer plus d’un : celui de la théologie et des études grecques. Avec l’enthousiasme du pédagogue qui sait comment séduire son élève, elle nous en dévoile des pans, nous donne l’impulsion nécessaire pour souhaiter s’y plonger plus avant, mieux s’approprier le « partage de la connaissance ». J’ai retrouvé avec plaisir certains des héros que j’avais aimé fréquenter jadis, lors de mes cours d’institutions latines. Je me suis aussi passionnée pour Les nourritures terrestres d’André Gide – livre abordé lors de rencontres étudiantes auxquelles j’aurais bien aimé participé – qui se retrouvera dans mes must de lecture.

J’admets certaines réticences face au style haché de l’auteure, qui évoque à merveille les battements affolés du cœur lorsqu’on s’éveille d’un cauchemar. J’aurais souhaité qu’il serve de ponctuation, d’impulsion, plutôt que devenir pulsation en soi, brisant selon moi par moment la musicalité de la langue de l’auteure. Quand enfin les phrases s’élançaient plus librement, je respirais mieux, je les laissais se déposer en moi, je les sentais enfin vivre entièrement. « Alors qu’il marche d’un pas vif vers le pavillon universitaire, Thomas ne voit autour de lui que ce feu éclaté en couleurs diverses. L’automne s’est emparé de la nature. Le feu est partout. Sauf en lui-même. » (p. 36)

En terminant, la spécialiste en moi a été légèrement déstabilisée par certaines incohérences musicales (même si je comprends fort bien que le lecteur moyen n’y verra que du feu). Si j’ai beaucoup apprécié la sensibilité avec laquelle Julie Gravel-Richard décrivait les états d’âme de Thomas lors du concert, le nom de Myriam, fût-elle violon solo d’un ensemble, n’aurait jamais été apposé sur l’affiche d’un tel concert, surtout pour le Stabat Mater de Pergolesi, dont la partie de violon n’est pas essentiellement virtuose. (On y aurait plutôt retrouvé le nom des chanteurs solistes.) Par contre, le choix de l’œuvre s’inscrit tout à fait dans le prolongement du roman, le texte du Stabat Mater, repris par nombre de compositeurs, évoquant la souffrance de Marie lors de la crucifixion de Jésus. Il m’a pourtant été difficile d’associer l’étincelle créative, la passion présumés de Myriam à une page si douloureusement intérieure. Mais ces réserves restent légères et je lirai avec plaisir le prochain roman de cette auteure.

Pour lire les commentaires de lecture des autres membres de La Recrue et mieux connaître cette auteure, très passionnée et fort attachante dans la « vraie vie », c'est par ici...

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Ce livre a été pour moi un coup de coeur et une excellente surprise! J'ai vraiment aimé... au point de l'offrir à quelques copines!!!

Danaée a dit…

Lucie, j'ai reparlé autour de moi de tes remarques très pertinentes concernant mes incohérences concernant le Stabat mater et le rôle de Myriam. Et tous sont bien intéressés.

Tu sais, j'ai un ami violoniste (et prof d'université à Baltimore), un grand connaisseur de musique avec qui j'ai renoué récemment, mais il était trop tard pour lui faire lire le manuscrit. Le roman était publié.

Éventuellement, j'essaierai d'être plus rigoureuse quand je ferai référence à des domaines que je connais moins!

Mais sache que j'ai brossé un tableau un peu général, avec des flous artistiques. Même dans mon propre domaine, il y a des sujets que j'effleure de façon superficielle... Par exemple lorsque je parle de la vision de la mort chez les Grecs. Tout n'était pas aussi noir que je le fais dire à Elsa. Mais pour le roman, je n'avais pas le goût de tomber dans toutes les nuances. Certains "puristes" et spécialistes de mon domaine me l'ont reproché!

Enfin.

Quant au style... je me sens bien avec lui. Je l'aime vraiment. Peut-être qu'il s'assouplira avec le temps ou qu'il prendra un autre rythme plus adapté au prochain roman. Mais je n'ai pas l'impression d'avoir vraiment du "contrôle" sur mon style. Contrairement à ce que certains en ont dit, il n'est pas "travaillé". Il est spontané.

Lucie a dit…

Danaée: Pour les incohérences musicales, tu n'es certes pas la première ni la dernière! Mais je répète combien j'ai aimé lire ces impressions de concert de « néophyte », elles dégageaient une réelle chaleur et c'est ça qui m'a le plus touchée.

J'ai fini par me couler dans ton style et en prendre le rythme, parce que je me suis attachée à Thomas et aurais bien aimé le côtoyer dans la « vraie » vie!

Ces réserves ne m'empêcheront pas de recommander ce roman.