La musique et l’écriture ont été de tout temps les deux pôles de la vie créatrice de l'auteure. Ce site se veut donc un hommage à la musique (particulièrement classique) et à la littérature, mais aussi au théâtre et aux autres manifestations artistiques.
Quand on sait écrire des chansons, peut-on transmettre ses acquis à un récit qui exige plus de souffle? Pas nécessairement. Il faut le reconnaître d’emblée : Mon amoureux est une maison d’automne peut difficilement être considéré un grand roman, le travail sur l’écriture n’étant pas entièrement assumé. (Un éditeur aurait-il accepté ce texte dans cet état précis si l’auteure avait été moins connue? On peut s’interroger.) Pourtant, on pénètre facilement dans l’univers de Florence, artiste-peintre, mère de deux enfants qu’elle adore, blessée profondément par le décès de sa propre mère, qui se laisse porter ou combat, selon les jours, sa bipolarité.
Cette bipolarité est intimement tissée à la vie amoureuse de la narratrice. Entre Renald, également artiste, père de ses fils, la relation épisodique qu’elle entretient avec le sculpteur Armand qui ravage tout sur son passage, cette attirance difficilement contrôlable pour Simon, en couple mais ouvert à l’admiration d’une autre, la séduction offre à Florence la décharge d’adrénaline nécessaire à la création, à l’acceptation du deuil, et lui permet d’oublier les sévices sexuels dont elle a souffert enfant.
« Dans sa main, j’ai senti ma vie se blottir. Mon cœur s’ouvrir. Ma sexualité s’épanouir. Dans sa main, je suis tombée amoureuse. Je me suis assise dans l’auto de location, figée par le coup au cœur que je venais de recevoir. »
En choisissant de parler de sujets tabous – la mort, l’inceste, la dépendance affective, la bipolarité –, Mara Tremblay fait preuve d’un courage qu’on ne peut que saluer. Néanmoins, en plongeant dans ce roman qui ne se veut pas autobiographique selon l’auteure, on a l’impression de parcourir un exercice de catharsis, écrit dans l’urgence, plutôt que de découvrir un véritable objet littéraire. On bute sur les répétitions inutiles, la narration décousue (qui, assumée dans sa non-linéarité, aurait pu devenir convaincante), la surenchère du pronom personnel je, l’essoufflement du propos. De façon paradoxale peut-être, ces réserves n’empêcheront vraisemblablement pas le lecteur de se reconnaître au détour d’une phrase percutante ou d’une réaction de la narratrice. Et si l’effervescence de la société dans laquelle nous vivons nous avait tous rendus bipolaires?
Ce livre a été lu dans le cadre de l'opération Masse critique Québec organisée par Babelio.
Peut-on décrire Montréal en sonnets? Peut-on laisser cohabiter dans un même recueil ses visages francophone et anglophone?
« Montréal est un univers, le sonnet est un jeu et le jeu est une façon différente d'affronter l'univers, de le fixer pour un instant dans sa course », explique Jean O'Neil dans le préface de la réédition de ce recueil publié à compte d'auteur et donné en 1983 à 500 chanceux! Oui, certains des lieux évoqués ont changé, parfois même de nom (le boulevard Dorchester est devenu René-Lévesque par exemple), mais peu importe, on reconnaît la ville et on aime s'y perdre - ou peut-être bien s'y retrouver - quelques instants. Je partage ici Museum, hommage à certains de nos grands peintres.
Museum
Le premier magicien se nomme Alfred Pellan
Le plus pathétique Marc-Aurèle Fortin
Celui qui peint en rond s'appelle Tousignant
Et le graveur anonyme est Sindon Gécin
Borduas McEwen Molinari Lyman
Mousseau Roberts Cosgrove Ferron et Toupin
Riopelle Bougie Bonet Tatoussian
De Tonnaucourt Ayotte Simard Daudelin
Barbeau Raymond Rhéaume Arsenault Bellefleur
Surrey qui aimait peindre sous les réverbères
Ignorant tout des fantaisies de Jean Dallaire
Dumouchel Hurtubise Duquette Giguère
Beaulieu Alleyn Gadbois J'en passe et des meilleurs
Ont fait de Montréal des sonnets en couleurs
« Quelquefois nous échangions des disques, plus rarement des livres, autant de signes qui prolongeaient un peu la présence. Parler de livres et de musique permettait aux mots de peser moins. »
L’auteur belge François Emmanuel a commis il y a quelques années un très beau roman, La leçon de chant,
découvert tout récemment grâce à Caro_Carito. Il y est question bien sûr
de chant mais surtout d’acceptation du passé, même s’il nous ronge
(Clara, la cantatrice dont le narrateur raconte le parcours, voit son
instrument compromis un soir, alors qu’elle devient trop envahie par de
douloureux souvenirs), de la frontière si floue entre amour et amitié,
du temps qui passe implacablement, qui parfois nous permet de nous redéfinir, des liens familiaux qui peuvent tantôt nous envelopper de tendresse, tantôt nous plonger dans le désarroi, de la nécessité
de créer pour s’extraire d’un quotidien.
« … j’entrevoyais un seul instant d’autres raisons à nos rencontres, d’autres mots derrière ses mots, peut-être une note tenue, inouïe, inaudible, sous la rumeur paisible de nos conversations. »
Le style de l'auteur est précis, mélodieux, profondément rythmique. Selon les moments, il propose des phrases longues, presque suspendues, alors qu'à d'autres, comme les émotions qui s'emballent, les mots se bousculent, se découpent en phrases courtes, presque hachées. Si on y lit de très belles descriptions sur le geste musical, je retiendrai surtout le doigté avec lequel l'auteur évoque la femme, aussi bien dans l'abandon que lorsqu'elle tente de protéger ses failles.
« Découvrant que la femme hoquetant ce chagrin sec était une femme en son secret, forclose, que ce qu’il avait cru posséder d’elle ne tenait qu’en de vagues images, n’étaient leurs rares moments d’amour physique lorsqu’elle consentait à de brusques tressaillements, et que lisant la déprise sur ses lèvres, l’abandon dans la lumière de ses yeux, il croyait enfin la posséder tout entière, exulter et mourir à cette exultation, dans un moment très bref et toujours illusoire, comme une dague perce un corps dont toute la vie s’échappe. »
Un dossier propose, en annexe, la partition évoquée de Schubert, des toiles qui prolongent l'émotion et une piste de lecture. Une plus qu'agréable découverte.
Je fais mes emplettes dans des supermarchés détenus par des intérêts canadiens et ai toujours refusé de mettre les pieds chez le supergéant américain (et ce, malgré les pubs répétées tentant de me convaincre que des emplois sont créés ici grâce à lui). Je fréquente le milieu de la musique contemporaine québécoise, aime fureter dans les archives du Centre de musique canadienne pour y découvrir des œuvres, me tiens au courant des dernières sorties jazz. Je lis québécois - et canadien - et glisse toujours, quand je voyage à l'étranger, des titre d'auteurs d'ici et quelques disques classiques qui mettent en lumière les interprètes canadiens.
Pourtant, quand il s'agit de consommer de la pop québécoise, j'ai un peu de mal. Depuis le 1er janvier, je n'ai acheté que deux albums: Pierre Lapointe seul au piano (procuré le jour de sa sortie, que j'ai offert en cadeau illico) et Un serpent sous les fleurs de Yann Perreau, que je trouve particulièrement achevé. Sinon, qu'ai-je acheté sur iTunes? Il faut l'admettre, c'est plutôt hétéroclite. Solo Piano de Gonzales, Remembrance de Ketil Bjornstad, You had me at goodbye de l'Epsen Eriksen Trio et deux albums du Tord Gustavsen Trio (des albums de jazz scandinave, donc), Not for piano de Francesco Tristano (de l'électro, mais interprétée et trafiquée par un pianiste de formation classique), deux albums de Das Rilke Projekt (et j'ai reçu le plus récent en cadeau il y a deux mois), deux albums de Marianne Trudel, A Fable de Tigran Hamasyan, les Suites pour violoncelle seul de Bach de Jan-Guihen Queyras et les Variations Goldberg dans la lecture de Simone Dinnerstein, The Moment, premier album d'Atomic Tom, le premier et le dernier albums d'Olafur Arnalds (classé « alternatif » dans un cas, « classique » dans l'autre, essayez de comprendre pourquoi!) et Modern Music de Brad Mehldau et Patrick Zimmerli (jazz/musique contemporaine pour deux pianos). J'ai aussi beaucoup écouté 3e temps de Grand corps malade, cadeau d'une amie, et craque toujours pour Broken hearts & Madmen de Patricia O'Callaghan et du Gryphon Trio, mon dernier coup de cœur.
J'appréhendais un peu mon passage à l'Autre gala de l'ADISQ lundi soir, soirée pendant laquelle les prix classiques sont remis, en même temps que ceux en électro, musique alternative, musiques du monde, album d'humour, rap, hip hop, albums pour enfants, instrumental, alouette... bref, certainement une soirée « un peu de tout », les cliques de l'une ou l'autre de ces sphères se mélangeant plutôt mal. Quand, comme l'année dernière, se côtoient sur le tapis rouge un rappeur bâti comme une armoire à glace, à peine alourdi par son bling bling, une ou deux vedettes pop et un pianiste classique qui trouve qu'il y a décidément beaucoup trop de bruit ici, difficile de trouver spontanément un sujet de conversation, à part celui - fort évident - que tous deux aiment la musique. Et puis, quand le moment fort musical d'un gala est la performance (fort divertissante au demeurant) d'On est né nu de Damien Robitaille, ça va mal à shoppe.
Et bien, agréable surprise cette fois-ci. L'autre gala était passablement plus convaincant que ceux des trois dernières années, à cause du lieu peut-être (le St-Denis se prête mieux à un événement du genre que le Métropolis), certainement de l'animatrice (Catherine Pogonat, très efficace), du pacing de l'événement (à aucun moment, je n'ai eu envie de consulter ma montre) et des invités musicaux.
J'ai ainsi beaucoup apprécié le côté éclaté mais travaillé de Random Recipe, un groupe improbable, dans lequel deux filles débordantes d'énergie se greffent à deux gars vaguement décalés (tous possédant une formation musicale solide, acquise notamment dès le primaire à l'École Le Plateau selon mes sources).
Si je n'ai vraiment pas tremblé en écoutant le rock un peu réchauffé de Galaxie, j'ai évidemment apprécié la performance de Pierre Lapointe de 27-100 Rue des Partances, l'une de mes chansons préférées de l'auteur-compositeur-interprète. Sinon, j'ai vibré aux rifs endiablés d'Alain Caron (ex-UZEB), ai été transportée par l'énergie brute d'Elage Diouf et ai craqué pour juxtaposition Diane Tell/Anodajay (rappeur dont j'ignorais jusque là tout).
Bilan de cette soirée : plutôt que de pester contre une pop qui ne me représente en rien, c'est peut-être bien dans les « autres » catégories de la musique québécoise qu'il faudra que je pige à l'avenir, plus proches de ce qui m'allume. Il n'est pas dit que je ne glisserai pas quelques titres des artistes ici mentionnés dans ma bibliothèque iTunes...
Marc Ory nous avait fait découvrir les dédales de la Venise du 18e siècle, à travers l'histoire inusitée d'un couple de jumeaux siamois chanteurs d'opéra dans Zanipolo. Cette fois, il nous propose plutôt un voyage dans le 21e siècle, plus précisément en 2030, alors que Paris est occupée par les Chinois. Science-fiction? Dès le début, le lecteur doute. L'auteur évoque-t-il ici quelque chose d'inconcevable? Peut-être pas tant que cela, si l'on examine avec attention la montée de la Chine en tant que puissance politique et surtout économique dans les dernières années, revers pas si improbable au passé colonisateur de la France.
Il faut saluer l'adresse avec laquelle Ory nous plonge dans cette métropole qui, malgré la présence de l'occupant et la véhémence de la résistance, demeure une ville de culture, les musées y jouant un rôle essentiel - et la production de lingerie fine un rôle secondaire non négligeable. Une histoire d'amour à la Roméo et Juliette, condamnée dès ses premiers instants, entre explorateur français et jeune femme chinoise, récit miroir, est juxtaposée à la trame futuriste, offrant un délicat équilibre. Le style est volontairement précis, efficace, rapide, quand on baigne dans le 21e siècle, plus éthéré et « écrit » lorsque l'on bascule un siècle en arrière.
Les portraits de personnages sont adroitement esquissés. On rêve de voir l'amour récompensé, petit Pierre guérir (on sera déçu, mais peu importe), découvre avec fascination ce qui anime les protagonistes, s'attendrit à la pensée de ces robots de maison qui, non seulement s'occupent du ménage ou de la gestion de la prise de médicaments, sourient à ses maîtres, ont besoin d'écouter des histoires. Néanmoins, alors qu'on souhaite se laisser emporter par un récit rondement mené, on trébuche parfois dans des descriptions muséales longuettes et des analyses politiques ambigües. D'autre part, le propos continue d'interroger, plusieurs jours après que l'on ait refermé le livre (ce qui explique en grande partie pourquoi j'ai attendu une semaine avant de publier ce commentaire). Il aurait été si simple pour le lecteur de prendre parti si les personnages des Chinois du roman, loin d'être des extraterrestres sans foi ni loi, ne possédaient pas eux aussi une réelle densité. Et si tout cela était possible? L'amour pourrait-il triompher de la haine, de l'oppression? Où commence la démesure? Fonçons-nous tout droit vers l'inévitable? Comme dans Zanipolo, l'auteur privilégie les zones de gris et refuse la facilité. Comment pourrait-on lui reprocher?
Les voyages ont ceci de particulier (et de formidable) qu'ils déstabilisent entièrement votre horaire, que ce soit la semaine de votre périple lui-même, celle qui précède (passée à courir) ou celle qui suit (passée à rattraper les impondérables). Cela donne une drôle d'impression de compression ou de dilatation du temps, selon le moment de la journée choisi pour s'y arrêter.
Alors, cinq jours plus tard, qu'en reste-t-il? Des images d'expos (Munch à Pompidou, Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde au Quai d'Orsay, Cézanne et Paris au Palais du Luxembourg, Les expressionnistes allemands à la Pinacothèque, le Musée des instruments de musique à la Cité de la musique), des lieux, des sourires d'amis plein la tête, auxquelles se superposent des trames sonores typées, de Beethoven à Reich, en passant par Lulu de Berg, Chopin, Schumann, Elvis et Quilapayun), différentes selon les jours et heures. J'extraie ici deux moments forts, histoire de prolonger un tant soit peu l'instant.
Quelques heures à peine après mon arrivée en sol français - et après une sieste de 45 minutes -, je me suis dirigée vers la salle Pleyel pour entendre Pollini. J'avais déjà fait le voyage plus ou moins pour lui il y a deux ans, il me semblait naturel d'une certaine façon de le retrouver, dans son cycle « Perspectives ». D'entrée de jeu, il a fait preuve d’une belle poésie dans la création de Manzoni (pour voix, alto, clarinette, piano et percussions) qui comprenait plusieurs solos en douceur du piano, mais ce n'était là qu'une entrée en matière, avant la traversée de trois sonates de Beethoven, opus 53, 54 et 57. Un instant ou deux, j'ai eu peur que le rendez-vous ne soit raté. En effet, son premier mouvement de la « Waldstein » était précipité et nous avons eu droit à quelques glissements et imprécisions (Pollini qui avale les notes plutôt qu'il ne les partage) puis tout s’est replacé dans le mouvement lent, particulièrement expressif. Le finale était subtil et, encore et toujours, d’une facilité déconcertante (notamment les glissandis de sixtes à la fin).
J’ai ensuite découvert la très courte sonate opus 54, que - haro sur moi! - je n’avais apparemment jamais entendu en entier (seulement le premier mouvement) et ai pu apprécier une énergie digne de Scarlatti dans le second mouvement. Malgré son expression plus concentrée, j'ai été renversée de découvrir qu'on y retrouvait le même travail sur la décomposition d’accords, si typique du compositeur (et toujours aussi maîtrisée), que dans ses voisines.
L’Appassionata restera le moment fort du concert. J’aurais aimé que Pollini prenne le mouvement central un peu moins rapidement, mais sinon, c’était là du grand Beethoven, qui justifiait le prix du billet, le voyage et l’absence de sommeil. Quel grand artiste, encore et toujours, malgré son côté parfois un peu plus froid, reproché bien souvent et quelle élégance racée. De longues minutes d’ovation (il est revenu cinq fois sur scène saluer) mais pas de rappel. En même temps, que peut-on ajouter après une telle somme? Toute note supplémentaire aurait probablement été de trop.
Dans un tout autre registre, je dois parler de ma visite du domaine de
George Sand à Nohant. Quelle émotion de fouler le sol même qui avait
accueilli Chopin, Delacroix, Flaubert, Dumas fils, tous invités de
George Sand. En compagnie d'une guide passionnée par l'histoire d'amour
entre George et Frédéric - et d'un car rempli de Polonais, venus sans
doute d'une certaine façon en pèlerinage -, j'ai ainsi visité le salon,
la salle à manger, la cuisine, la chambre de George, celle des
petites-filles de George (qui continuait de l’habiter même dans la
trentaine), les deux théâtres (dont un de marionnettes), la chambre
qu'occupait Delacroix quand il venait en visite.
Celle de Chopin (bien
plus grande que celle de George, mais qui contenait deux pianos Pleyel),
avec sa porte traitée au crin de cheval pour couper les sons ambiants
de la maisonnée, a été scindée en deux par après coup et transformée en
bureau de travail et bibliothèque, mais elle possédait deux immenses
fenêtres (photo), qui donnaient sur le sud, desquelles il pouvait entendre la
diligence passer et rêver par exemple que sa sœur débarquait. (Elle a
passé un mois à Nohant avec son mari après la mort de leur mère mais n’y
est jamais retournée.) Je me suis ensuite promenée dans le verger, ai
avalé une pomme (provenait-elle d'un arme qui avait donné des fruits il y
a près de 200 ans?), en ai profité pour faire quelques clichés et suis
revenue autre, consciente que ce détour par la campagne berrichonne
était impératif.
Avec ce premier recueil, Philippe Drouin nous propose de plonger dans l’univers de trois enfants qui, même s’ils ne le réalisent pas encore, deviendront poètes. Des années plus tard, on ne les connaîtra que par un simple patronyme – Höderlin, Rimbaud, Supervielle – mais ils en sont encore à apprivoiser le verbe, le rythme, guidés par leur première muse peut-être, celle qui les accompagne lors de leurs premiers pas, leur professeure.
« La maîtresse ramène la clarté et les lilas. Elle monte le grand escalier menant à la classe. J’entends chaque ménage de sa respiration, le son frais de son cœur qui échappe à la pluie. Le désir est le premier instrument du poème. » (p. 28)
Même s’il aborde ici trois univers bien différents, Philippe Drouin nous offre un recueil unifié par une même pulsation, un souffle musical. Les images se répondent, comme des leitmotive, d’une section du triptyque à l’autre : les fleurs et leurs parfums, les cuivres qui transmettent tantôt sons, tantôt textures, ces femmes légèrement éthérées qui permettent aux mots d’éclore, mais aussi une réflexion également sur l’écriture elle-même.
« Le poète libère les métaphores / Dans les marges de son cahier /Afin d’empêcher l’esclavage / Des verbes vivre et mourir » (p. 51)
Je pourrais citer aussi :
« Depuis septembre, je rêve de me soumettre au parfum des mots, j’enregistre sur une feuille des séismes réguliers, de forte magnitude. Le poème est si vaste que je deviens son ombre. J’écris pour qu’on ne me célèbre plus. » (p. 60)
On referme ce recueil, à l’esthétique minimaliste mais d’une réelle densité, avec une seule envie : s’y replonger aussitôt.
Trois fois en ligne que la technologie me fait défaut en Europe. Serait-ce un coup monté pour que j'accepte le sevrage, que je me détache de cet écran, que j'apprécie la vie autrement? C'est bien possible. Grâce à la complicité de Caroline, j'ai pu transmettre deux des trois fichiers attendus par mon dédié webmestre Maxime pour le numéro courant de La Recrue, l'autre ayant voyagé à partir d'une médiathèque. Je reviens donc avec quelques jours de retard sur notre Recrue du mois, Patrice Lessard, et son premier roman Le sermon aux poissons.
La voie de la facilité n’est certes pas celle choisie par Patrice Lessard avec ce premier roman touffu, dans lequel le lecteur doit accepter de se perdre, oublier les repères syntaxiques usuels, se plier autrement à la musique des mots, se laisser porter par le côté aléatoire et éphémère des rencontres. Si l’on a fréquenté un tant soit peu l’univers de Saramago, on acceptera sans doute plus facilement le lâcher-prise, le rythme imposé, la non-linéarité du propos. L’auteur lui-même fera quelques clins d’œil directs au géant portugais de la littérature (ainsi qu’à Pessoa) dans son récit.
« On ne le voit pas, dit Antoine, on ne peut pas dire qu’on le voit, ce mort n’a pas de visage pour nous. C’est vrai, mais ça ne veut pas dire que nous n’avons pas d’yeux, conclut Clara. On se serait cru dans un roman de Saramago. » (p. 15)
Lessard propose au lecteur une quête protéiforme. En cherchant son téléphone perdu, Antoine tente de se forger une nouvelle identité mais aussi de retrouver le souvenir de Clara, retournée à Montréal, celle qu’il tente de susciter dans le regard, dans le corps de toutes les femmes qu’il croise, qu’il se rappelle avoir aimées, une nuit, un mois, une année.
« Qu’est-ce tu fois là? demanda-t-elle, J’ai perdu un truc, répondit-il, elle dit, Ta femme? Il la trouva vraiment vache de le lui rappeler, il dit, Oui, c’est ça, ça me fait beaucoup de peine, toutes les autres femmes sont désormais pour moi totalement insignifiantes » (p. 115)
Pendant qu’Antoine se perd dans les dédales de Lisbonne, il croise nombre de personnages plus ou moins étranges qui, eux aussi, tentent d’extraire un certain sens de leur vie, prêchant (parfois presque dans le désert, compte tenu de l’incompréhension de leurs semblables) pour convaincre les autres que leur vie vaut la peine d’être vécue puisqu’elle peut être narrée, qu’elle s’inscrit dans une certaine continuité, fut-ce cette dernière imprégnée de pans d’ombre.
« Depuis que je vis à Lisbonne, je parle beaucoup moins qu’avant, le silence m’est devenu une espèce d’idéal dans ce monde où tout le monde crie. Pour fuir l’aveuglement, pour trouver des réponses (qui le plus souvent n’existent pas) au marasme de leur vie, les gens sermonnent, cherchent à convaincre leurs semblables qu’ils ont raison, peut-être pour se convaincre eux-mêmes, et nous les suivons trop souvent en oubliant qu’en ne voient pas plus clair que nous. » (p. 259)
Lessard signe ici un premier roman audacieux et exigeant qui ne laissera pas le lecteur indifférent. Dans cette ère de relatif conformisme, on ne peut que saluer le geste et avoir hâte de découvrir comment il réussira à se redéfinir en tant qu’auteur dans un prochain ouvrage.
Comment résister à l'invitation d'une ville qui vous offre la même semaine trois programmes Steve Reich (Cité de la musique), un récital de Pollini (qui comprend la création d'Il rumore del tempo pour alto, clarinette, percussions, soprano et piano de Giacomo Manzoni et trois sonates de Beethoven) et la répétition générale de Lulu de Berg à l'Opéra Bastille? Surtout quand, en périphérie, il y a une expo Munch à Pompidou, Cézanne au Palais du Luxembourg et Beauté, morale et volupté dans l'Angleterre d'Oscar Wilde au Musée d'Orsay?
Exactement, on cède. On essaie de faire rentrer 30 heures dans 24 pour ne pas (trop) travailler là-bas, on espère ne rien oublier dans la valise, on prend une grande respiration et on s'envole pour une petite semaine. Alors, ne vous surprenez pas trop si vous ne me croisez pas ici, sauf le 15, pour vous rappeler que c'est jour de Recrue. Paris m'attend...
Rufus Wainwright demeure l’un de ces êtres polymorphes qui rejettent les
étiquettes. Musicien, auteur, fils, frère, ami, amant, père, porté
aussi bien par la musique folk que les pages opératiques, le romantisme
pur que le classicisme assumé, il transmet l’émotion brute, la traduit
en deux accords, l’offre à l’autre avec toute la délicatesse et la folie
dont on le sait capable. Ce soir, à la Maison symphonique, deux géants se rencontrent, deux
univers se complètent, le sien et celui du grand William Shakespeare. On y entendra notamment la première montréalaise de ses Five Shakespeare Sonnets, deux pages tirées des Nuits d'été de Berlioz, l'ouverture du Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn et, bien sûr, nombre de ses compositions.
Je vous le propose, dans deux registres fort différents, d'abord avec le vibrant et intime The Art Teacher.
Et dans l'effervescence pure, avec You Go to my Head, tirée du spectacle Rufus does Judy (pièce qu'il fera ce soir, à mon grand plaisir).
Premières d’œuvres, collaborations cinématographiques, reconnaissances : la dernière année s’est révélée fertile pour Gabriel Dharmoo. Quelques jours après avoir reçu le prix Robert-Fleming du Conseil des arts du Canada, l’Académie de musique du Québec remettait au jeune artiste de 30 ans, lors du gala soulignant le 100e anniversaire du Prix d’Europe, son Prix de composition Fernand-Lindsay 2011, visant à encourager le perfectionnement à l’extérieur du Québec.
Gabriel Dharmoo insiste sur la nécessité de redéfinir le rôle du compositeur :
« Il doit dépasser le simple fait d’écrire des notes. Il faut y croire, avoir une attitude positive, discuter avec le public au concert, émettre des opinions qui ne sont pas seulement fondées sur des perceptions, demeurer ouvert sans se compromettre en tant qu’artiste. »
Il établit un parallèle avec Cecil Taylor, qui admettait en entrevue : « Personne ne m’a demandé de faire ce métier ! » Il est donc nécessaire de se renouveler avec chaque œuvre créée, mais aussi de faire partie intégrante de sa communauté :
« L’économie est importante, c’est vrai, il faut savoir la gérer, mais elle doit servir au bien commun de tous, dit-il. Le rôle de compositeur est pertinent dans une société; pas nécessairement utile, pratique, mais essentiel, surtout si on lui reconnaît une dimension sociale. »
En ce 1er octobre, la musique et ceux qui la défendent sont mis en lumière grâce à la Journée internationale de la musique, un événement créé en 1975 par Lord Yehudi Menuhin. Le violoniste souhaitait que cette journée « constitue
un accomplissement de nos activités et devienne un événement visant à
enrichir la connaissance de notre art autant qu'à renforcer les liens de
paix et d'amitié qui unissent les peuples grâce à la musique ». Une fois par année, il fait bon de s'en rappeler.
Je vous propose donc quatre vidéos, trois univers, parce que la musique est faite pour être partagée, sinon, elle ne reste qu'une série de signes plus ou moins incompréhensibles sur une feuille de papier couverte de portées.
Daniel Variations de Steve Reich, gracieuseté de la Cité de la musique, qui présentera cette année encore, du 11 au 18 octobre, une « semaine Reich », justement quand je ferai un saut dans la capitale française. L'oeuvre est un hommage au journaliste Daniel Pearl, enlevé et assassiné par des extrémistes islamistes au Pakistan en 2002, qui avait une formation classique en violon.
I saw a dream. Images upon my bed & visions in my head frightened me My name is Daniel Pearl Let the dream fall back on the dreaded I sure hope Gabriel likes my music, when the day is done.
Deux lectures du classique Almost Blue. Celle de Chet Baker...
... et celle d'Elvis Costello.
Et Francesco Tristano, un pianiste luxembourgeois inclassable, qui joue aussi bien Bach, Cage que du techno, que j'ai découvert en lisant un magazine gratuit consacré à la musique classique lors de mon voyage hivernal à Berlin. Vive le village global!