jeudi 8 mars 2012

Apprendre

Mon horaire d'enseignement étant modulé autrement cette semaine, j'ai pu libérer deux fins d'après-midi et inverser les rôles. Plutôt que de jouer à la police des fausses notes ou des intentions musicales déficientes, j'ai choisi de passer quatre heures en compagnie de Johann Sebastian Bach, celui de Gilles Cantagrel. En sortant de la première conférence, j'étais déjà en train de texter fébrilement quelques étudiants et amis, histoire de  les convaincre de la nécessité de se glisser en salle le lendemain. (Au final, j'aurai convaincu une étudiante à la retraite, qui m'a remercié de mon insistance.)

Après près de deux heures à explorer la pré-histoire de l’œuvre (ce qui a inclus quelques incursions dans les domaines de la physique et de l'astronomie!), nous avons plongé dans les pages mêmes de cette immense somme. En deux jours, j'aurai griffonné quatre pages, non pas de notes en tant que telles, mais de repères, de questionnements, d'affirmations, de pistes de réflexion. 

Celui que Cantagrel ose appeler affectueusement l'« intellectuel voluptueux » n'a pas fini de m'éblouir, de m'élever en tant qu'interprète, pédagogue, passeuse. De baigner de façon concertée, concentrée, dans l'univers de Bach en compagnie de son ami cher (parce qu'on sent combien le musicologue aime profondément Bach l'homme et non seulement le compositeur) m'a fait réaliser combien, même lorsque l'on pense connaître quelque chose - ou quelqu'un -, au fond, on ne sait rien.

Souhaitant démontrer comment certaines tonalités transmettaient les particularités d'un affect, d'une « passion de l'âme » comme on les appelait alors (ah! ce mélancolique si mineur!), Cantagrel a choisi de nous faire écouter quelques fugues que je ne connaissais pas intimement (parce que, non, je n'ai pas joué - encore - les 48 préludes et fugues). Une révélation dans certains cas, tant ces œuvres sont profondément modernes et se rapprochent plus qu'on ne saurait le croire des avancées de Schoenberg. (Ainsi, ce thème de la 24e fugue du premier cahier, qui fait entendre les douze demi-tons de la gamme, brillante démonstration de ce que le tempérament « adouci » permet de réaliser.)

Les entendre au clavecin m'a aussi fait prendre conscience d'un seul coup que l'on  pouvait prendre le temps d'exprimer un thème, que l'on n'avait pas besoin de jeter de la poudre aux yeux quand on amorce un prélude, combien il est inutile de privilégier une pulsation métronomique avec les élèves. En effet, l'instrument proscrit de par sa nature toute rigidité rythmique, l'expressivité du texte pouvant se réaliser essentiellement à travers des retards et des accélérations de tempi.

Aucun doute dans mon esprit: si je devais partir sur une île déserte avec une partition, une seule, ce serait l'intégrale du Clavier bien tempéré. Je n'aurai jamais fini d'en faire le tour et c'est tant mieux.

4 commentaires:

Adrienne a dit…

alors Bach au top 1 pour toi? si tu l'emmènes sur ton île déserte ;-)
ces dernières années, notre radio classique flamande (Klara) organise un TOP 100 pour lequel les auditeurs votent et chaque fois Bach en sort vainqueur... ;-)

Lucie a dit…

Mozart est l'homme de ma vie, mais si je devais partir avec une seule partition, ce serait le Clavier bien tempéré. C'est un peu différent :)

Danalyia a dit…

La musique de J.-S.Bach est incroyablement nourrissante pour l'esprit - si j'osais, je dirais "pour l'âme". On s'en aperçoit chaque fois que l'on aborde la moindre de ses partitions. Mais sur l'île déserte, je crois que j'emporterais les sonates pour violoncelle et piano de Beethoven. Avec, bien sûr, toutes les musiques que j'ai en mémoire, pour les avoir longuement travaillées ou écoutées...

Lucie a dit…

Choix intéressant...