Besbouss autopsie d'un révolté raconte autrement l'histoire de Tarek/Mohamed Bouazizi, ce jeune Tunisien de 26 ans qui s'est immolé par le feu, étincelle qui aura permis le soulèvement d'un peuple et le déploiement du Printemps arabe en 2011, un an tout juste avant ce fameux Printemps érable qui a le goût doux-amer des lendemains qui déchantent. Stéphane Brulotte aurait pu choisir de donner une voix au jeune homme, qu'il explique son geste. Il a plutôt choisi de l'utiliser comme éveilleur de conscience, alors que Karim, médecin légiste, doit proposer un rapport qui permettra de soutenir la thèse officielle.
Cela donne un texte dense, oscillant entre violence et tendresse; même lorsque l'on devient martyr, on reste toujours le fils ou l'ami de quelqu'un. Il est question de droits humains, de misère, de faim, mais aussi de la famille, que ce soit celle du disparu ou celle du médecin qui, même si on le devine blasé, ne peut oublier l'horreur de ce qu'il voit jour après jour, que ce soient ce corps calciné, cette petite fille frappée par un chauffard aux fortes connexions politiques ou ces enfants dont l'école s'effondre sur eux. « C'est comme si vous aviez perdu toute forme d'humanité. »
La pièce, un long dialogue entre le médecin et un cadavre qui sert de vaisseau à sa conscience, est ici défendu par le comédien marocain Abdelghafour Elaaziz (qui avait hérité de l'horrible rôle du bourreau dans Incendies) qui, par moments, semble se consumer sur place. Est-ce dû aux nerfs ou le résultat d'indications fautives du metteur en scène Dominic Champagne? Pendant le premier segment de la pièce, l'acteur surjoue, devenant presque possédé, faisant perdre ce faisant au spectateur des bribes de texte. Le vent a semblé tourner après la scène pendant laquelle il s'allume une cigarette, Elaaziz nous offrant par la suite des moments d'étouffante intensité aussi bien que de réelle poésie. Si l'on a choisi ici d'adopter un français international limite franchouillard (ce qui peut se justifier sans peine), il faudra faire attention à ces quelques moments où l'accent québécois a envie de faire une légère incursion dans le discours. (Ceci se réglera sans doute tout seul au cours des prochaines représentations.)
Le texte est fragmenté en tableaux, ponctués avec une grande justesse par la trame musicale d'Alexander Macsween (qui avait aussi fait un aussi remarquable travail dans La fureur de ce que je pense, dans un registre totalement autre), qui permet aussi bien à l'acteur de souffler qu'au spectateur de laisser le texte décanter. On restera toutefois un peu perplexe face aux éclairages d'Étienne Boucher, oscillant entre lumière du jour et pénombre, sans logique réelle. Cherchait-on à transmettre le passage du temps? Le médecin aurait-il pris plus que quelques heures avant de rendre son rapport d'autopsie. On peut en douter.
Quoi qu'il en soit, Besbouss: l'autopsie d'un révolté pose une série de questions brûlantes. Peut-on encore rêver de justice en 2014? Sommes-nous devenus ces chiens qui grondent, mais remettent eux-mêmes leur collier avant de réintégrer leur niche, comme l'évoque Brulottte?
Et si nous avions encore le pouvoir de changer le monde, un geste à la fois?
Au Quat' Sous jusqu'au 17 mai.
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