Huis clos étouffant entre la jeune aristocrate Julie, le valet et la cuisinière de son père, Mademoiselle Julie de Strindberg avait causé une véritable onde de choc quand elle avait été présentée la première fois en 1889. Souhaitant la réactualiser, la dramaturge et metteure en scène Yaël Farber a choisi de transposer la pièce dans une Afrique du sud post-apartheid, où tout n'est peut-être plus blanc ou noir, mais où le souvenir du sang (qu'il coule dans les veines ou ait été versé) reste prépondérant.
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La relecture de Farber est particulièrement réussie, tant au niveau du texte que de la mise en scène. Portée par les harmoniques gutturales de Tandiwe « Nofirst » Lungisa, qui devient fantôme ou métaphore de cet autrefois pas si lointain, certains tableaux se révèlent d'une troublante beauté: cage d'oiseau que l'on fait virevolter représentant la prison dans laquelle les personnages sont malgré eux enfermés, vin qui se change en sang puis devient prolongement des racines d'un arbre sublimé, gumboots alignées sagement côté jardin, main de Mantsai couvrant le sein d'Hilda Cronje après qu'ils aient fait l'amour. De fait, les moments les plus forts demeurent ceux où le texte devient superflu, sous-entendu, que le propos se sédimente alors dans l'esprit du spectateur.
Le constat de Farber est brutal, mais curieusement dépourvu de cynisme: « L'amour est impossible dans ce bourbier. » On sort de la 5e Salle avec la conviction d'avoir vu une oeuvre théâtrale forte, qui pêche parfois par ses excès (la matière était sans doute ici trop dense), mais dont le propos continuera de hanter l'esprit.
À la 5e Salle de la Place des arts jusqu'au 3 mai
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