mercredi 8 octobre 2008

Guillaume Corbeil: L'art de la fugue


Je l'avoue, j'ai d'abord été séduite par le titre de ce recueil de nouvelles (il faut quand même ne pas être trop barré pour détourner ainsi le nom d'une œuvre-phare du répertoire baroque) et puis le quatrième de couverture m'a convaincue. Enfin, un auteur optait pour une façon différente de présenter ces courtes histoires, en les traitant comme si elles étaient matériau d'une composition musicale.

Dès son prologue, sous-titré Aria (référence ici plutôt aux Variations Goldberg), Guillaume Corbeil met cartes sur table. « J'imagine que c'est là que m'est venu le besoin d'écrire: pour créer des lieux qui me seraient pour toujours étrangers. Pour faire exister des endroits où je ne serais pas, et des personnes qui ne seraient pas moi. Pour décrire des gestes autres que les miens, et réfléchir à propos de choses qui ne me sont jamais passées par la tête. Si j'écris, c'est pour devenir quelqu'un d'autre que moi, pour me nier en consacrant ma tête à autre chose que mes tracas et mes pensées à moi. Au fond, tout ça est anti-biographique. » (p. 12)

Avec une maîtrise remarquable pour un premier écrit, Guillaume Corbeil nous plonge dans une succession d'univers, en apparence disparates mais au fond facettes multiples d'un même entité. Le sujet est présenté, puis son contre-sujet, avant d'être renversé, suggéré, cité (parfois, ce n'est qu'un mot, un adjectif) dans une autre nouvelle n'ayant en apparence aucun lien avec la précédente. Il glisse par exemple des répétitions de mots, de situations, de lieux, précédemment évoqués. Plutôt que simple florilège d'histoires multiples, le recueil devient parfaitement unifié, comme si chaque voix avait été traité de façon à s'intégrer à une autre, à la mieux révéler, à lui servir de contrepoint.

Certaines nouvelles sont particulièrement réussies, dont L'œil droit du cyclope, terrifiante d'actualité malgré son caractère décalé, les deux variations de Elles détestaient Madrid dans laquelle la mort devient simple passage obligé, la délicate et tendre Le relais, l'envoûtante Annexe à la genèse, exercice de style très réussi qui traite le néant comme un tout mais se veut critique caustique du poids des institutions. « Le projet doit aussi contenir des locaux pour accueillir l'orchestre symphonique et les conservatoires de musique et d'art dramatique, tous les trois dépourvus de lettre majuscule et localisés depuis leur fondation, mais de manière temporaire seulement qu'on ne manque jamais de rappeler, dans un vieil abattoir désaffecté dans le Nord de la ville. » (p. 76)

Le style de Guillaume Corbeil est dense mais fluide, ludique, malgré l'absence de dialogue et les longues phrases qui m'ont parfois rappelé Saramago, la structure du recueil suggérant plutôt Si par une nuit d'hiver un voyageur de Calvino. On sort de la lecture avec l'impression d'avoir vécu une expérience tout à fait inhabituelle, les motifs se greffant dans la mémoire comme des parcelles de phrase musicale. Le jeune auteur aura-t-il le souffle nécessaire pour s'investir dans un roman? J'ai hâte de le découvrir.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Bien entendu, l'idée me plaît... probablement pour les mêmes raison qu'elle t'a plue au départ! :) Et ce que tu en dis ne nuit pas, en plus!

Anonyme a dit…

Arf, il va bien falloir que je le lise, à défaut de bien comprendre les tenants et aboutissants de la fugue (musicale).

Lucie a dit…

Tu admettras qu'il y a là une belle synchronicité des thèmes! ;-)

Martin a dit…

Un recueil de nouvelles magnifique! Parmi les recueils québécois qui me sont passés entre les mains, c'est un de ceux que j'ai préférés. J'ai ressentis, en le lisant, quelque chose de semblable à ce que j'avais ressentis en lisant Dickner pour la première fois: un mélange d'admiration et de sympathie profonde, comme si je découvrais une fraternité possible à travers les mots. Je crois qu'il faut considérer Guillaume Corbeil comme un joyeau de la relève littéraire québécoise.

Martin a dit…

En relisant «Le relais», dernière nouvelle du recueil de Guillaume Corbeil, une parenté évidente m'a soudain sauté aux yeux: si la filiation mentionnée par Lucie avec Calvino est tout à fait appropriée, celle avec Baricco me semble encore plus directe; même poésie fantaisiste qui n'a pas la naïveté de nier les apsects parfois cruels de la vie, le tout ponctué de réflexions tout à fait justes sur la condition humaine. C'est d'une grande beauté et d'une réelle profondeur. Je dois me retenir pour ne pas employer de trop grands mots... mais disons que c'est assurément ma révélation de l'année et je lui souhaite vraiment le Prix du Gouverneur général.

Lucie a dit…

Martin: Je comprends fort bien ton émotion. J'en parle en grand bien à tout le monde que je croise qui se dit intéressé par la littérature de qualité.

Oui, pourquoi pas avec Baricco aussi... tout cela aurait beaucoup de sens puisque j'adore Baricco et que j'ai tout lu de lui.

Pour le GG, la compétition est féroce et beaucoup de « gros » noms... Quoi qu'il arrive, il peut être fier d'avoir été choisi pour faire partie de cette liste sélect.

Martin a dit…

C'est précisément parce que les «gros noms» ont moins besoin de ce prix pour faire parler d'eux que je le souhaite à Corbeil...