vendredi 31 octobre 2008

Hommage à la création musicale

Mercredi soir, l'OSM consacrait un concert hors-série à la musique contemporaine: oui, tout un programme et non pas uniquement la pièce canadienne « d'ouverture » ou la création du moment (qu'on n'entendra généralement plus jamais). Je me doute parfaitement que le mélomane moyen n'a pas dû sauter de joie en lisant le descriptif de la soirée, mais c'était l'un des programmes qui m'inspirait le plus cette saison (comme quoi, encore une fois, tout est question de perceptions). Sur les œuvres au programme, je n'en connaissais vraiment que deux: Orion de Vivier (non plus pièce canadienne parmi tant d'autres mais bien œuvre symphonique importante, toutes catégories confondues) et City Life de Steve Reich que j'avais très hâte d'entendre « live » pour la première fois. (Les enregistrements, c'est bien, mais les concerts, c'est mieux.) De plus, deux chefs différents se partageaient le programme: Susanna Mälkki, directrice de l'Ensemble Intercontemporain de Paris et notre Walter Boudreau national, compositeur, directeur artistique et chef attitré de la SMCQ (Société de musique contemporaine du Québec). J'ai donc choisi avec attention l'amie qui m'accompagnerait ce soir-là (le programme n'étant pas exactement « pour tous ») et qui saurait partager mon enthousiasme pour le programme. Agréable surprise d'entrée de jeu: le public présent n'était pas le même que celui qui fréquente habituellement les concerts classiques. (Décodé: en entrant dans la salle, je n'ai pas eu l'impression d'abaisser d'un seul coup de 30 ans la moyenne d'âge.)

Le concert s'ouvrait avec Lontano de György Ligeti, éternité faite musique, « une coupe de quelque chose qui déjà est commencé depuis toujours » selon le compositeur, une œuvre absolument fascinante, qui permet de percevoir le son en mouvement, en mutation, qui s'écoule, sans rupture tranchante, dans l'espace. Complexe et en même temps extrêmement fluide pour l'oreille, Lontano exige qu'on s'immerge dans le son, qu'on le sente vivre, nous traverser, se jouer de notre perception pour rebondir ailleurs. La battue de Susanna Malkki y était magistrale, d'une précision inouïe mais d'une grande fluidité et toute en subtilité. Un instant, j'ai rêvé que j'étais dans l'orchestre et répondais à ses gestes, son intensité, sa concentration.


Elle dirigeait également le Concerto pour violon d'André Prévost. Avant de plonger dans l'univers de cette page dense mais surtout hautement poétique, nous étions invités à visionner un extrait du Journal d'une création de James Dormeyer, documentaire tournée en périphérie de la création de l'œuvre par la violoniste Chantal Juillet en avril 1998. Ces images nous permettaient fort astucieusement de nous glisser en répétition avec le compositeur (décédé en 2001), d'assister à la première rencontre de ce dernier avec Charles Dutoit, de comprendre que toute oeuvre est en son essence incarnée (on a souvent tendance à l'oublier) et de s'approprier déjà quelques bribes de la partition. Quand les dernières images se sont dissoutes sur l'écran, la violoniste et la chef avaient pris place, belle union entre hier et aujourd'hui. Redoutable pour la violoniste, le concerto reste néanmoins d'une grande clarté, même si conçu dans une forme en apparence libre. La charge émotive de l'œuvre reste importante, particulièrement dans les moments plus tendres. Les dernières minutes proposent un dialogue efficace mais surtout touchant entre la violoniste et son double (elle-même, sur bande enregistrée). Si je ressentais très clairement l'intensité du violon sur l'enregistrement, je trouvais que le jeu de Chantal Juillet restait un peu trop distancié sur scène, toujours un peu sur la réserve, comme si elle n'osait pas pousser l'émotion plus loin.

Lila de Paul Frehner entamait la deuxième partie du concert. J'avais entendu cette œuvre en janvier 2007 lors de la finale du Prix international de composition de l'OSM, à la radio. (Le compositeur s'est mérité le Prix national Claude-Vivier, étant le seul compositeur canadien en lice.) L'animateur avait évoqué un effet stéréophonique (que je n'avais aucunement perçu à l'écoute), que j'étais curieuse d'apprécier en salle mais, comme disait un de mes professeurs jadis: « Il y a eu de bons moments mais de foutus quarts d'heure ». Si certains passages restent intéressants (ceux à la rythmique hindoue par exemple ou certains traitements sonores plus intimes), on ne parvient pas à saisir la grande structure de l'œuvre. À plusieurs reprises, je me demandais où nous en étions, incapable d'en percevoir la cohésion. Quand à la stéréophonie tentée, je ne l'ai perçue clairement qu'à une seule reprise. Sans aller jusqu'à qualifier l'œuvre de « daube » (voir la critique de Christophe Huss), je peux affirmer que je me passerai très bien d'une troisième écoute.

Une vidéo plutôt réussie de Jérôme Bosc accompagnait City Life de Steve Reich, oeuvre datée de 1995 intégrant klaxons, claquements de portières, sirènes, extraits parlés et battements de cœur. Fort astucieusement, les sons préenregistrés deviennent éléments intégrants de la partition, pulsation, ostinato alors que les sonorités des instruments s'y superposent, créant l'illusion par moment que les « vrais » instruments ne sont plus ni moins qu'une projection sonore de l'esprit. L'OSM, en détachement relativement intime, a bien transmis la partition, toujours très actuelle. Je reste par contre vaguement sceptique par rapport à la nécessité d'intégrer l'élément visuel à cette page qui me semble suffisamment forte pour s'en passer (et j'ai fini par me lasser de ce disque EMI qui tournait sans cesse dans la section « It's been a honeymoon »).

La soirée se terminait avec Orion, une commande de l'OSM à Claude Vivier (la création en sera donnée en octobre 1981), dense, mystique, cosmique, à l'orchestration magistrale. Si le concert exigeait une attention soutenue pour en profiter au maximum, il a su démontrer que le répertoire symphonique contemporain est vibrant et surtout pertinent. Il reste à souhaiter que de telles initiatives soient reprises plus souvent par nos organismes montréalais.

La critique de Christophe Huss du Devoir ici...
Celle de Claude Gingras de La Presse là...

2 commentaires:

Anonyme a dit…

C'Est dans ce temps-là que j'aimerais habiter Montréal... je ne connais tellement rien à la musique symphonique contemporaine...

Lucie a dit…

Ça m'aurait fait plaisir de te servir de « guide » là-dessus...