dimanche 26 octobre 2008

La petite fille silencieuse


J'aime que le monde soit devenu un immense village global. Il y a quelques semaines à peine, j'ai rencontré un pianiste allemand, de passage à Montréal. Après quelques minutes à peine de discussion, je sentais une profonde connexion. Nous avons échangé sur la musique, sur la vie et éventuellement, sur la littérature. (J'étais curieuse de connaître sa lecture du moment.) Il m'a parlé d'un coup de coeur récent, d'une voix différente, de personnages atypiques, d'une façon sensible de traiter des choses musicales. Évidemment, j'ai demandé qu'il m'indique le titre du livre illico. Puisqu'il l'avait lu en allemand, il m'a noté une traduction approximative (qui s'est avérée exacte). Après des recherches Internet le soir même, je constatais que le livre avait été aussi traduit en français chez Actes Sud. Le lendemain, je faisais un détour par la bibliothèque et le glissais dans mon sac.

Évidemment, dès que je l'ai eu en main, j'y ai plongé. Il m'avait gentiment averti que les 150 premières pages étaient suffisamment nébuleuses mais de m'accrocher. En effet, quel choc! On plonge dans un univers vaguement surréaliste dans lequel Kasper Krone, un clown célèbre, tente de sauver une petite fille aux pouvoirs assez saisissants, prise en otage (du moins le croyons-nous d'abord) dans un engrenage terrifiant. Cela aurait pu être un simple thriller mais c'est en réalité bien plus que cela. D'abord, Krone entend tout, ou presque. Pour lui, une personne, une rue, un édifice possèdent leur musicalité propre, un peu comme s'il pouvait lire leurs auras sonores. « Son secret était tragique, en do mineur, en rapport avec les enfants, elle n'en avait pas, le perfectionnisme en la majeur ne s'était pas encore assoupli. En vieillissant, on intègre la tonalité située à l'opposé dans le cercle des quintes, l'équivalent accoustique de ce que nous appelons "maturation". Quelque chose en elle avait entravé le processus. » (p. 106)
Mais Krone n'est pas un saint, malgré son recours fréquent à une prière bien particulière, qui n'a que peu à voir avec la religion comme nous la connaissons. Il cache une peine d'amour, des interrogations métaphysiques, un lien filial plutôt inusité, sans que cela l'empêche de dégager une certaine arrogance. À travers une série de rebondissements si multiples qu'il aurait presque fallu que je note chacun afin de reproduire un portrait aussi réaliste que possible de la situation, de rencontres tantôt incongrues, tantôt touchantes et parfois d'une violence (physique ou émotive) saisissante, il n'a qu'un seul but: honorer la promesse qu'il a fait à KlaraMaria (la petite fille silencieuse du titre): veiller sur elle. Personne ne s'en tirera indemne, le lecteur pas plus que les personnages. « La désespérance en mineur. C'est Mozart qui l'a découverte et l'a développée. Dans Don Juan, autour de l'homme de pierre. Avant Mozart, il y avait toujours une issue. On pouvait toujours demander de l'aide à Dieu. Avec Mozart, un doute s'immisce à l'égard du divin. » (p. 169)
Peter Hoeg (qui a notamment écrit Smilla et l'amour de la neige, que je note dans ma LAL, qui a inspiré le film du réalisteur Billie August) possède une rare maîtrise de l'écriture polyphonique. Roman d'aventures, profondément musical (les pages dédiées à la Chaconne en mineur de Bach sont parmi les plus touchantes que j'aie lues), réflexion sur notre société de consommation qui s'essouffle à vouloir courir après un impossible assouvissement, réflexion philosophique sur le monde de l'enfance et du spectacle, La petite fille silencieuse est tout cela à la fois. Tout au long des 455 pages, j'ai été confrontée à ce que je croyais juste, ai hésité à savoir où se dressait la frontière (bien mince) entre rêve et réalité, entre angoisse et sérénité, entre indifférence et violence, entre cohérence et délire.
Ceux qui jettent un coup d'oeil attentif à mes cotes de lecture réaliseront que, pour la première fois depuis l'ouverture de ce blogue, j'ai franchi le cap symbolique du quatre étoiles. La dernière fois que j'ai ressenti un tel choc de lecture, c'était après avoir terminé Le temps où nous chantions de Richard Powers, un livre dans lequel la musique jouait là aussi un rôle essentiel. Il n'y a certainement aucune surprise ici. (C'est d'ailleurs le livre que j'ai recommandé à cet ami tout récemment. Après tout, les coups de coeur sont faits pour être partagés!)
Plusieurs lecteurs semblent avoir été déstabilisés par le foisonnement d'intrigues et la multiplicité des lignes. Je l'admets volontiers: ce livre n'est pas pour tous. Rose-Marie Pagnard du journal suisse Le Temps, semble avoir eu la même perception que la mienne. À lire ici...

4 commentaires:

Claudio Pinto a dit…

Ah ce que tu me donnes l'envie de lire ce roman !

Un autre dans ma PAL...

Anonyme a dit…

"Roman profondément musical"... il faut que je lise ça!!

Anonyme a dit…

Merci Lucie, je vais le commander tout de suite!!
Bonne journée x

Wictoriane a dit…

une amie m'a parlé de ce livre...je l'avais oublié de ma lal !!! il y retourne.