dimanche 4 juillet 2010

La leçon de musique

Parfois, trop rarement, il y a des soirées où la musique est reine, tous les éléments en place et on n'a d'autre choix que de soupirer d'aise, de ponctuer une modulation surprenante d'un oh! mental (surtout, ne pas déranger le pianiste!), de savourer le moelleux d'une batterie, de s'émerveiller devant le délié d'un solo de contrebasse. Il y a des soirs où on reste bouche bée, les oreilles si accablées de beauté  qu'il est inutile de même songer à écouter la plus petite inflexion musicale signée de qui que ce soit d'autre, tant tout a été dit.

Hier soir était l'un de ces immenses instants, qui les contiennent tous, une rencontre au sommet qui n'avait rien de belliqueux. Keith Jarrett nous a offert un piano moelleux, liquide, aérien, une touche magnifique, une sonorité jamais forcée, une respiration musicale remarquable. Les 3000 spectateurs de la Salle Wilfrid-Pelletier étaient suspendus à ces doigts qui savent tout faire, appendices magiques d'un corps toujours en mouvement, tantôt sautillant, tantôt si recroquevillé sur lui-même que sa tête semble avoir été escamotée. Avec ses complices de toujours ou presque, Gary Peacock, fringant comme un jeune homme malgré ses 75 ans, et Jack DeJohnette, tantôt suave, tantôt effervescent, Jarrett a su dialoguer, énoncer, démontrer, séduire, sans qu'aucune parole ne soit jamais prononcée.

Un peu moins de deux heures après le début du spectacle, le public fébrile espère un rappel, peut-être deux. À la place, Jarrett se l'est joué caractériel et a insulté le ou les spectateurs n'ayant pas respecté la sacrosainte consigne de l'interdiction de prendre une quelconque photo de cette « dream team ». L'émotion retombe d'un seul coup. On quitte la salle, un peu déçu quand même, se demandant ce qu'on aurait encore pu entendre si les circonstances avaient été parfaites, mais complètement inspiré par cette leçon de musique.

En entrevue il y a quelque temps, Jarrett confiait: « Trouvez-moi un pianiste qui a une touche. Certains décident quelle touche ils devraient utiliser, mais... Je n'en ai pas encore entendu avoir cette touche qui est celle de l'acte amoureux, qui ne présuppose aucune préparation intellectuelle. La touche présuppose un flot, un ruissellement qui témoigne exactement de ce que ressent le musicien au moment où il joue. Bien sûr, certains pianistes ont des idées convaincantes voire brillantes... Pour ma part, ce n'est pas l'idée en soi qui m'intéresse. Je m'intéresse à la musique dans sa globalité. Cette touche dont je parle comprend bien sûr la maîtrise technique, mais aussi le cœur, le risque. »
Quand tout a été dit...

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