Certains soirs, on sait plus ou moins ce qui nous attend quand on se glisse en salle; d'autres, pas du tout. Une nouvelle copine souhaitait voir Tempest: without a body du chorégraphe Lemi Ponifasio, originaire des Iles Samoa, spectacle de clôture du Festival Transamériques. Un clip, son enthousiasme; tiens, pourquoi pas.
D'un seul coup, sans avertissement, nous avons été plongées dans un bruit d'une force incroyable, explosion, implosion, big bang, moment duquel germera la vie ou ultime instant avant la destruction d'un monde? Le cœur se débat, les tympans ont besoin d'être protégés, puis du chaos nait le mouvement, à peine perceptible au début, et c'est là que tout bascule pour le spectateur. On essaie de décrypter, de déchiffrer les mouvements, de juxtaposer un propos narratif, puis on abdique, toutes défenses abattues. On commence alors à percevoir le spectacle autrement, par les sens, de façon presque organique, comme si, pendant de longs instants, on restait immobile dans un lieu sauvage plus ou moins déserté, ressentant la moindre pulsation, le souffle du vent, l'herbe qui se couche, le rayon de lune qui se fraie de temps en temps un chemin.
On devient abasourdi par la déconstruction des corps, la façon dont ceux-ci semblent devenir glaise, liquide chatoyant, bloc. Enveloppée par une trame bruitiste qui ne ne laisse que bien peu de répit (un son surround aurait été des plus appréciés ici, histoire de libérer l'influx sonore à l'oreille droite, sursollicitée, vraisemblablement à cause de la localisation de nos sièges dans la salle), je me suis sentie tirée dans deux directions opposées: les stimuli sonores augmentaient de façon significative mon rythme cardiaque tandis que les mouvements et les jeux de lumière de Helen Todd, absolument magnifiques, sculptés et poétiques, créaient l'effet entièrement contraire. Je me suis posée d'ailleurs la question à savoir si l'insertion de moments de silence dans la trame n'auraient pas été souhaitables... Peut-être Lemi Ponifasio souhaitait-il au fond tendre le spectateur jusqu'au paroxysme, pour le forcer au questionnement, à la prise de position, à une volonté de changement.
Je ne prétends pas avoir décrypté les multiples strates du propos ici, tant philosophiques que politiques, même après avoir lu ce matin l'entrevue avec le concepteur offerte en guise de programme. Une chose est certaine: je continuerai d'y réfléchir et certaines images fortes (la « danse » horizontale de ce corps qui semblait se liquéfier, la tablette de craie qui se fracasse sur la tête de l'artiste, le synchronisme éloquent de ces « grands-prêtres », le chant qui finit - enfin - par les réunir et nous lier à eux...) continueront de me hanter demain, dans deux mois, l'année prochaine... et ça, c'est précieux.
Le prépapier d'Aline Apostolska dans La Presse...
Une vidéo de certains moments-clé du spectacle...
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