lundi 27 février 2012

Un léger désir de rouge

Toulouse a 28 ans. Trapéziste, elle participe à des tournées avec Odilon, son partenaire de scène et de vie. Jusqu'à ce qu'elle reçoive un diagnostic de cancer, y laisse un sein. Incapable de la soutenir dans ce combat, d'accepter la nouvelle topographie de son corps, ses limites, il quitte alors l'amazone, la laissant seule, face à l'envahisseur, à la solitude, au doute, à la douleur.
« L’eau douce se noie dans l’eau de mer quand elle la rencontre. C’est dans l’ordre des choses. La Toulouse d’avant, l’amoureuse, l’amante, doit rentrer dans l’ordre des choses. Elle doit se couleur dans la Toulouse de l’heure, l’atteinte, la laide. N’est-ce pas, Moumbala? Mais l’amoureuse résiste. Il faut la lobotomiser, je dis, il faut extirper toutes les images de  bonheur de son crâne, tous ses souvenirs de jouissance, pour qu’elle n’ait plus de sursauts d’espérance. » 
Le propos aurait pu tomber dans le misérabilisme, mais Hélène Lépine a su avec Un léger désir de rouge éviter tout écueil. D'abord isolée dans cette maison normande qui les a vu grandir, elle et sa fratrie improbable (chaque membre porte le nom de la vie dans laquelle il a été conçu), Toulouse se questionne, tente de se réapproprier son corps, son univers, en se confiant à Moumbala. Ces missives à ce correspondant imaginaire, à l'Afrique sublimée, double inversé, autant que les écrits de l'ancêtre François-Marie qu'elle fait siens lui permettront de s'ancrer, de s'encrer dans cette vie qui n'a que si peu à voir avec celle d'avant. Elle se redéfinit à travers une amitié naissante, des déchirements et des rapprochements familiaux, un appartement dans la grande ville, une nouvelle pratique de son art, avant de pouvoir s'ouvrir à la possibilité de redevenir femme, entièrement.
« Rien, sinon les mots. Sans les mots que je t’écris, Moumbala, sans ceux de François-Marie, je m’embourberais dans l’ornière des manques. Les mots, un socle. »

Toujours somptueuse, la langue d'Hélène Lépine se veut à la fois dénudée et chargée. Les phrases s'emboîtent parfaitement les unes dans les autres. Les images d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui nous transpercent aussi bien qu'elle nous transportent. On y perçoit le murmure de la nature, la berceuse du fleuve, le mouvement des oiseaux, les jeux des enfants, les voix de celles qui combattent dans le silence, de ceux qui croient encore pouvoir changer le monde, un geste à la fois. Toutes se répondent, de façon onirique, presque organique, en un contrepoint poétique au souffle d'une remarquable puissance.

5 commentaires:

Mina a dit…

Depuis le temps que je voyais ce livre dans le petit espace lecture en cours, j'étais vraiment impatiente de connaître ton avis et la teneur de ce si joli livre au titre si attirant! Je suis conquise et l'ajoute à ma liste, le style semble aussi beau que la couverture.

Lucie a dit…

C'est vraiment un très bel objet, dans tous les sens du terme. J'ai hâte de lire ce que tu en auras pensé :)

Venise a dit…

Je vais le lire bientôt. D'après ce que tu en dis, Lucie, il devrait me plaire.

Karine:) a dit…

Pour ma part, je sais que je ne pourrais pas. Les romans avec beaucoup de maladie dedans, c'est impossible dans mon cas. Je suis beaucoup, beaucoup trop hypocondriaque. Je sais que je manque des choses intéressantes, par contre..

Lucie a dit…

Venise: je pense qu'il te plaira, en effet.

Karine: il est certain que la maladie joue un rôle important dans ce livre... Je lirai probablement son roman précédent, car j'ai beaucoup aimé le style.