Choc en arrivant au concert présenté hier soir par l'ECM+: une file imposante se presse à la billetterie, dans l'espoir de rafler un billet de dernière minute et ce, même si le même soir, deux concerts étaient inscrits dans la série « Hommage à Ana Sokolovic ». Les médias et invités avaient été avisés le matin même que, si non réclamés, les billets promis se retrouveraient dès 19 h 15 à la vente. On sent l'effervescence, l'impatience même. Une salle multiple, comprenant aussi bien des étudiants du Conservatoire et des universités que des couples dans la soixantaine et des compositeurs. Chaque siège finira par être occupé et on ajoutera même quelques chaises à l'arrière du Théâtre Rouge du Conservatoire. Personne ne semble se soucier que le programme, consacré presque entièrement à Xenakis et, par surcroît, à la percussion, soit considéré assez pointu. Au fond, tant mieux, faisons fi des a priori et acceptons d'être déstabilisés!
Le percussionniste Olivier Maranda s'avance et se place devant la première configuration de percussions qui sera la sienne. On oublie trop souvent que les percussions ont offert un terrain de jeu idéal à Xenakis pour développer ses idées. En effet, quelle meilleure combinaison d'instruments peut démontrer toutes les gradations des nuances, du plus délicat pppp au plus fracassant ffff que des peaux. Dès les premières secondes de Rebonds, on sent l'interprète totalement en maîtrise de ses instruments. La précision du rythme est redoutable, mais néanmoins une respiration naturelle s'inscrit au cœur même de chacun des gestes. Cette qualité organique de l'interprétation permet de saisir facilement la structure de la pièce, de la voir s'ériger au fur et à mesure, en un saisissant concentré de l'esthétique de Xenakis, qui nous mène de la beauté presque discrète du plus petit geste à la violence qui se dégage des sommets sonores.
On plonge ensuite dans un autre registre avec Mycenae Alpha, conçue sur l'UPIC, l'étonnant outil compositionnel conçu par Xenakis, qui permet de dessiner le son avant même de le produire, grâce à un stylet qui glisse sur une planche, le tout reliés à un ordinateur. Après avoir visionné un court vidéo dans lequel Xenakis explique le logiciel, la transition se fait tout naturellement vers l’œuvre, qui se dessine littéralement devant nos yeux, par segments d'une trentaine de secondes à chaque fois, avant qu'elle ne se laisse découvrir par l'oreille. Les dessins possèdent une qualité artistique indépendante certaine, mais réaliser que des sons en apparence dissociés peuvent articuler un propos cohérent est particulièrement fascinant.
Antérieure à Rebonds d'une dizaine d'années, Psappha est écrite pour cinq groupes de percussions, même si c'est plutôt la densité du son, le registre qui sont travaillés, soutenus par une pulsation et non pas un complexe dessin rythmique. Était-ce l'effet de l'instrumentation, plus hétéroclite peut-être au niveau des textures, qui allie la qualité particulière des bois, le velouté des métaux et le côté plus viscéral des peaux, la saturation sonore (ou les commentaires complètement décalés, à voix haute, d'une voisine)? J'ai eu plus de difficulté ici à m’immerger dans l’œuvre. Néanmoins, je me suis entièrement laissée transporter par le dernier climax, particulièrement réussi, qui m'a donné l'impression assez troublante d'avoir été fracassée par la vague sur une plage déserte.
L'après-entracte était consacré à une juxtaposition percussions et baryton. Dans Kassandra (en première canadienne), Vincent Ranallo a démontré une époustouflante polyvalence de registres, passant avec aisance du personnage de Cassandre dans l'aigu au coryphée des vieillards d'Argos dans le grave. Si, selon les indications de Xenakis, le baryton - qui joue également du psaltérion - « doit éviter toute expression de sentiments » afin de pas intégrer de sous-texte contemporain au texte d'Eschyle, à aucun moment, je ne l'ai senti désengagé des personnages ou moins investi vocalement. Olivier Maranda s'est révélé un complice particulièrement à l'écoute, narrateur qui prolonge un propos, commente, soutient. (J'aurais apprécié ici que les textes soient partagés dans le programme, personne sans aucun doute ne maîtrisant dans la salle le grec ancien.)
Alors que je me demandais comment le chanteur pourrait interpréter une seconde œuvre, tant j'avais l'impression qu'il avait tout donné, j'ai compris que le jeune compositeur Gabriel Dufour-Laperrière avait décidé avec Peindre le cri de suggérer plutôt que de dire, la voix transmettant la musique d'objets plutôt que possédant une qualité organique. Habilement, il a su renverser la donne, laissant les percussions chanter (notamment par des jeux de résonances des métaux et l'utilisation d'archets sur les peaux) et la voix se moquer de ses habilités naturelles en se fondant dans la trame transmise par le dispositif électronique.
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