Je suis à 100 % pour la démocratisation de l'art et salue haut et fort toutes les initiatives qui permettent de le déplacer dans un lieu autre, plus accessible, comme ces concerts de musique classique dans les cafés (le Poisson rouge de New York a très bien compris la tendance), ces lectures de poésie sur les places publiques (encore trop peu fréquentes) ou des initiatives qui exigent une participation active du spectateur (comme
Bells 13, par exemple, ou le Spa philosophique qui sera proposé par le FTA cette année). Par contre, quand le quidam fait le choix d'une expérience théâtrale ou musicale dans un lieu disons plus
« encadré
», je m'attends à ce que certaines règles de simple bienséance soient respectées.
Trois discordances en une même semaine me poussent ici à prendre la parole, toutes liés de près ou de loin à un usage abusif du cellulaire. Si l'écoute a été étonnante tout au long du spectacle du
Cloud Dance Theatre, on n'aura certes pas pu en dire autant lors du post scriptum, un (assez) long segment pendant lequel un des interprètes dessinait une série de cercles concentriques avec un râteau. La dame devant nous ne pouvait-elle vraiment pas attendre pour consulter son FB? Avait-on besoin à ce moment précis de cette pollution visuelle, alors que nous venions de participer à quelque chose qui se rapprochait de la méditation?
Déjà, la veille, nous avions failli faire la peau à un charmant (hum...) technophile qui avait passé la représentation de
Norman à texter et/ou vérifier ses courriels. Oui, il penchait un peu son écran, pensant contenir une partie de l'émission lumineuse sans doute, mais il n'avait pas réalisé que, juchés quelques centimètres au-dessus de lui, nous pouvions suivre le moindre de ses sursauts téléphoniques. Ma voisine, complètement excédée bien évidemment (le spectacle était tout sauf ennuyeux), lui a vertement (mais poliment) fait la leçon en sortant. Il l'a regardée façon piteuse. Le message est-il passé? Sa capacité de rétention a-t-elle fait qu'il a tout oublié une fois sorti dans la salle? Mystère...
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Cela n'était rien par rapport à ce qui s'était passé la semaine précédente lors du concert du LA Phil à la Maison symphonique, lieu à l'acoustique exceptionnelle, un froissement de mouchoir pouvant y prendre une tangente exponentielle. La salle était bien évidemment bondée et nous avons été surpris, mon ami et moi, de constater que deux places étaient demeurées libres à côté de nous. Nous avons avancé en rigolant - mais n'y croyant pas vraiment - que les personnes, sans doute âgées (stéréotypes, quand vous nous tenez!) avaient eu peur d'écouter la
Première Symphonie de Corigliano, une oeuvre composée - gasp! - en 1989, donc certainement inécoutable. (Le souvenir de cette interprétation restera dans mon panthéon, comme la lecture qu'avait tiré de cette poignante symphonie Jacques Lacombe et l'OSM en 2004.) Eh bien, nous avons été déjoués. En effet, après l'entracte, un couple est apparu à nos côtés: jeune trentaine, bien habillé, fort excité de se retrouver là semble-t-il (ou tout simplement émoustillé par le premier segment de sa soirée). Cela a pris peut-être six secondes avant que le cellulaire de madame ne soit dégainé et qu'une dizaine de
selfies soit pris. Sourire de monsieur, moue sexy de madame, cheveux balayés vers l'arrière, mettons-nous en scène. Impossible d'attendre bien sûr pour se connecter sur FB et Twitter (et sans doute Instagram, Pinterest, alouette...) Partageons, partageons...
Les lumières se tamisent. Nous en sommes tout au plus à la réexposition du premier mouvement de la symphonie de Tchaïkovski au programme (qui aura été certes moins mémorable que celle de Corigliano). Une petite soif de madame, qui a pensé à tout. Elle extirpe la bouteille de plastique de son sac à main (froissement du contenant dans la main bijoutée), en avale une gorgée (crissement - à peine perceptible pense-t-elle sans doute - de la bouteille). En parfaite hôtesse, elle en propose même à monsieur (évidemment pas dans la section
fortissimo, cela aurait été trop aimable). Une fois rafraîchis, les tourtereaux peuvent poursuivre leur exploration, non pas du répertoire symphonique, mais du corps de l'autre. Quoique prétendent certains critiques montréalais, la salle n'est jamais entièrement dans le noir à la Maison symphonique et, hum, disons que côté intimité pour se rouler un patin, on repassera (et tout cela pour un billet dont le coût valait 8 ou 10 sorties au cinéma!). Une fois la dernière note déposée, incapable d'applaudir, mon ami s'est tourné vers moi, excédé:
« Ce n'est pas la
Cinquième de Tchaïkovski que nous venons d'entendre, mais l'ouverture-fantaisie
Roméo et Juliette!
» Une semaine après, il n'en était toujours pas revenu. (Précisons ici que, non, il n'a aucun cheveu gris, car il fait partie de la génération C, née avec une compréhension instinctive de la technologie.)
Devrait-on demander au public de déposer son cellulaire au vestiaire? Devrions-nous intégrer un segment étiquette de concert au milieu des mises en garde au sujet des cellulaires au début de spectacle? Doit-on accepter que notre monde est devenu si individualiste que nous en avons oublié comment vivre en société? Dois-je cesser de fréquenter théâtres et salles de concert? Suis-je vraiment si vieux jeu? Autant de questions pour l'instant sans réponses. Mon téléphone intelligent les connaît peut-être, lui...