« Donc, oui, j’accepte de t’écrire une petite composition, mais à condition que tu me laisses raconter l’histoire à ma façon. Au début, ça te semblera tout mélangé, mais fais-moi confiance, tu finiras par comprendre. »
Voilà en quels termes Samuel Gaska se justifie quand son
ancienne amoureuse Catherine le contacte pour qu’il écrive la musique de scène
de sa prochaine pièce. C’est sans doute aussi à cet instant précis, presque au
milieu de cet étrange objet littéraire qualifié de récit, que l’on commence à
saisir la démarche de l’auteur.
Même s’il est compositeur, le narrateur entretient une relation
alambiquée avec la musique. Cette langue que l’on dit universelle, au fond, il
ne l’a pas choisie. Son père, immigrant d’origine polonaise, lui a plus ou
moins imposée. Pourra-t-il s’affranchir de cet héritage encombrant? Osera-t-il
s’extraire de sa vie et enfin prendre son envol, comme cette oie à laquelle son
nom fait référence – mais aussi tous ces oiseaux qui peuplent chacun des
chapitres de ce livre? Finira-t-il par admettre que l’œuvre ne définit pas
l’homme?
« … un nom n’est jamais le nôtre, ni une œuvre, c’est plutôt nous qui leur appartenons et qui devons les incarner du mieux que nous le pouvons, le temps de leur donner corps et qu’ils nous délaissent. »
Étienne Beaulieu dispose assurément d’une plume
exceptionnelle, que l’on voudrait par moments contraindre, tant elle semble se
disperser, comme ces rayons de lumière qui traversent les vitraux. Le fil narratif
se révélant fragile, on se demande parfois si l’auteur n’aurait pas dû adopter
une autre forme pour transmettre ses réflexions sur la filiation, l’immigration
et les liens que l’homme doit maintenir avec la nature. Un recueil de poésie –
ou même d’aphorismes – n’aurait-il pas pu distiller plus efficacement l’essence
du propos? La musicalité de la langue n’aurait-elle pas été mieux servie par
une scission des éléments?
Comme plusieurs pages sérielles de Schoenberg, Trop de lumière pour Samuel Gaska se laisse
difficilement apprivoiser. On croit en cerner le contour, pour constater que la
musique nous échappe aussitôt. Pourtant, on se surprend à y repenser, à vouloir
en extraire des clés de compréhension. La vie, la mort, la création, ne sont-elles
pas au fond que fragmentations complémentaires d’un même concept insaisissable?
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