mardi 20 mai 2014

Turandot: un feu roulant

Photo: Yves Renaud
Graeme Murphy a peut-être réussi l'impossible: mettre sur pied une mise en scène d'opéra si efficace qu'elle puisse fonctionner peu importe où, peu importe la distribution. Venant du monde de la danse, il a posé un regard entièrement renouvelé sur la notion même de la mise en espace, de la gestion du mouvement et de la scénographie. Oui, par moments, c'est un peu tape-à-l’œil et cela ressemble à un  « show de boucane », mais on ne s'ennuie pas une seule seconde, trop occupé à regarder les costumes, à scruter les mouvements des choristes (fort bien préparés au demeurant par Claude Webster), à saluer la dextérité avec laquelle Ping, Pang et Pong (Jonathan Beyer, Jean-Michel Richer et Aaron Sheppard) semblent glisser sur la scène, s'enrouler de parchemin ou se laisser porter par ceux-ci quand ils deviennent d'étonnantes balancelles, à guetter la prochaine extravagance de ce deus ex machina d'une diabolique efficacité. 

Photo: Yves Renaud
Oui, on pourra trouver ridicule que l'empereur soit juché au-dessus d'une structure immense, qui ne peut que rappeler le personnage de Winnie dans Oh les beaux jours de Beckett, ne pas comprendre pourquoi le costume de Timur, père de Calaf, semble sorti d'une production des Dix commandements ou trouver la gestuelle de Kamen Chanev (Calaf) étrangement statique quand il tente de répondre aux énigmes alambiquées de la cruelle Turandot. Pourtant, on se prendra au jeu, en se disant que Wagner aurait sans doute été plus que troublé par cette nouvelle façon d'approcher la Gesamtkunstwerk, assurément très 21e siècle. Bien peu d'endroits ici pour se « poser » en tant que spectateur, laisser la musique de Puccini se stratifier en nous (sauf peut-être lors du dernier air de Liu). Nous sommes à l'ère du 2.0 et oublions souvent de regarder les surtitres, l’œil (presque trop) stimulé par ce déploiement fastueux, digne de la fascination qu'exerçait jadis le « cinéma des attractions ».

Photo: Yves Renaud
La distribution est sans faiblesses. Si Galina Shesterneva en met parfois un peu trop côté vocal, elle campe une Turandot implacable jusqu'à ce qu'elle accepte son amour pour le prince. Kamen Chanev en Calaf dispose d'une voix puissante qu'il n'a pas eu besoin de pousser, mais semble bouger avec moins d'aisance que d'autres. La reine de la soirée au niveau vocal demeure incontestablement Hiromi Omura en Liu (la foule ne s'y est pas trompée et l'a ovationnée plus longtemps que les deux chanteurs incarnant les rôles principaux), absolument impeccable tant vocalement qu'au niveau du jeu. L'Orchestre métropolitain, efficacement mené par Paul Nadler, s'est révélé à la hauteur et nous a même offert quelques moments de réelle émotion.


  

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