Six heures, six personnages, six regards, six tons différents. Une seule histoire, qui se révèle par pans au lecteur, qui tour à tour le laisse perplexe, le séduit, le pousse à émettre des hypothèses, le force à retourner sur ses pas pour réaliser que la solution se trouvait là, sous ses yeux, tout ce temps. Avec ce premier roman, Nicolas Gilbert relève avec succès le pari audacieux de transposer une architecture musicale en un geste littéraire convaincant, à la fois déstabilisant et maîtrisé.
Le regard que Gilbert pose sur le milieu de la musique contemporaine peut sembler décapant, mais jamais dépourvu d’une certaine tendresse. Quiconque a déjà vécu de l’intérieur l’angoisse pré-représentation s’y retrouvera entre chaque ligne. « Oui, c’était clair, et je m’en doutais depuis longtemps : une scène n’était ni plus ni moins qu’un échafaud. À chaque instant, partout dans le monde, des musiciens, des danseurs, des acteurs mouraient sur scène, foudroyés. » (p. 59) L’auteur s’inspire de la galerie de personnages qui gravitent autour de cette sphère inutilement raréfiée, les magnifie, les caricature, pour ultimement révéler la fragilité qui se tapit au cœur de chacun d’eux, de chacun de nous.
La dextérité de Nicolas Gilbert ne tombe que très rarement dans les excès – l’utilisation du plus-que-parfait du subjonctif par Sophie, la serveuse, par exemple, fût-elle d’une certaine façon la clé de voûte de cet édifice ou l’inclusion de cette étrange nouvelle centrée sur les objets, tributaire de la réflexion sur le hasard prônée par Cage ou Xenakis, deux inspirations du compositeur. L’auteur érige, pétrit le langage comme s’il devenait matériau sonore, nous en rend jusqu’à un certain point captif consentant. « Parler de l’écoute, jouer avec elle, c’est tenter de provoquer chez l’auditeur différents types d’écoute qui interagissent, se confrontent, s’entrechoquent. Pour obtenir une large palette de modes d’écoute, il faut utiliser une large palette stylistique, ne pas avoir peur des extrêmes à tous les niveaux. Par ce genre d’attitude compositionnelle, on prend possession de l’auditeur, on le guide et on lui permet de se découvrir. » (p. 90) Une fois le livre refermé, on continue de s’y projeter, de libérer les liens habilement noués. On réalise que l’on s’est laissé berner, mais avant toute chose, que ce Récital nous a touchés. Bis!
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5 commentaires:
J'ai aimé aussi, même s'il me manquait définitivement des éléments pour apprécier les subitilités et les références. Si je me suis parfois sentie dépassée, dès que j'ai décidé de "laisser couler", j'ai passé un très bon moment de lecture!
Je pense en effet qu'il fallait accepter de lâcher prise à un certain moment, un geste très musical, ça aussi!
Bonjour Lucie, juste un petit commentaire pour te dire que, tout comme ce fameux "Récital", ton blogue fait honneur à notre intelligence, ça fait du bien aux neurones et à la sensibilité artistique, merci!
Laurence, je suis très touchée par ton petit mot. Merci infiniment!
;-)
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