Cette année, j’ai dit au revoir à deux grands, le cours de leur vie respective s’accommodant plus difficilement d’une visite, fût-elle bimensuelle, chez moi, mais surtout d’un lien quotidien –négocions plutôt pour bihebdomadaire – avec l’instrument. Dans un premier cas, l’étudiante, que j’ai dû pousser, parfois de gré, parfois de force, à compléter son cursus pianistique – ses parents étant légèrement exigeants – a réalisé que le collégial en sciences pures n’était pas nécessairement de tout repos. Dans l’autre, ma Rach Star – qui avait causé tout un émoi auprès des fillettes il y a deux ans à peine – a réussi à se convaincre qu’il devrait peut-être plancher avec un tantinet plus de sérieux sur ses études universitaires. Je l’ai laissé partir sans hésitation, en me considérant privilégiée d’avoir pu assister à son éclosion de jeune musicien doué à pianiste convaincant mais surtout d’adolescent réservé et vaguement en marge à adulte ludique et charmant.
J’aurais pu regretter les échanges, les quelques fous rires mais peut-être pas les rappels, fermes mais gentils, assenés avec une régularité presque métronomique, sourire crispé à l’appui. « Cette semaine, pourrais-tu, s’il te plaît, trouver le temps de travailler ton instrument avec un peu plus de sérieux ? J’aimerais vraiment beaucoup. » Mais, franchement, je n’ai pas eu le temps. Par un heureux concours de circonstances, une fois ces places « libérées », le téléphone a sonné et, au fil des semaines, cinq plus jeunes ont remplacé les deux grands. Parmi eux, la sœur d’un élève pas plus motivé qu’il ne le faut (il préfère de beaucoup le hockey au piano) se languissait d’aborder l’instrument. Malgré ses six ans, sa faculté de concentration et son enthousiasme absolument contagieux m’épatent à chaque fois. Quand elle franchit le seuil de ma maison, je sens tout de suite qu’elle y est heureuse, sans réserve, et ce, même quand elle a de la difficulté à s’approprier de nouvelles notes.
Je ne cacherai pas la tendresse que je ressens pour cette autre, cinq ans et demi, que je connais depuis sa naissance puisqu’elle est ma nièce. Vous dire le plaisir d’avoir déposé sa petite main dans la mienne, la première semaine, pour l’amener à l’instrument… Elle habite loin de chez moi et l’horaire de ses parents un tantinet erratique l’empêche de venir de façon régulière. Peu importe. Je chéris ces instants de complicité et, hier, elle était si contente de jouer le duo de l’« Hymne à la joie » de Beethoven avec moi que j’en ai oublié tous mes tracas.
Il y a aussi cet autre, témoignage éloquent des volte-face possibles. Sa mère m’avait contactée en catastrophe, son professeur l’ayant laissé tomber, juste avant le début de l’année scolaire. J’ai réussi à lui trouver une plage horaire, juste avant son copain hockeyeur. Dès le premier cours, le contact s’est établi de façon assez exceptionnelle entre lui et moi, mais la partie était loin d’être gagnée. Vingt minutes après son départ, le téléphone sonnait. Sa mère venait d’ouvrir son calepin de notes et ne comprenait pas pourquoi je ne lui avais pas donné plus de pièces à étudier. Je lui ai expliqué qu’en 30 minutes, j’avais à peine eu le temps de l’évaluer et que je souhaitais qu’il retrouve doucement son rythme de travail. Le vendredi suivant, ayant saisi le message, j’ai donc alourdi considérablement sa charge. Nouvel appel : cette fois, je lui en avais trop proposé et c’était trop difficile ! Je commençais sérieusement à m’impatienter et presque à regretter d’avoir accepté le garçon, pourtant absolument craquant, dans ma classe. Nous avons joué au ping-pong ainsi jusqu’à ce que, une semaine d’octobre, sans crier gare, elle lâche prise et admette que, même si je travaillais de façon très différente du professeur précédent et que je poussais plus, que les résultats étaient plus que probants. Depuis, l’entente entre nous est devenue exemplaire et c’est avec un grand plaisir que j’attends le garçon chaque vendredi. La durée des leçons a été adaptée à la hausse et, même là, nous fixons toujours l’horloge d’un air incrédule quand nous réalisons que le cours aurait dû se terminer 10 minutes auparavant.
Oui, certaines semaines d’enseignement sont difficiles mais, parfois – souvent –, les élèves nous offrent une nouvelle dose d’énergie, de tendresse, de folie, d’inspiration. Il suffit d’y rester attentif.
4 commentaires:
Beaucoup de tendresse dans ton billet... on sent que ça te passionne! Ca me rappelle des souvenirs... mais de l'autre côté de la médaille. Mon pauuuuvre prof les deux dernières années!!! Je pense que j'étais une élève excécrable!!
J'ai peine à croire que tu étais si pire que ça... C'est peut-être tout simplement le mélange (parfois explosif) entre toi et la personnalité du prof, équation pas toujours évidente à vivre! De mon côté, j'ai été relativement choyée mais, je te jure qu'il y a une année où j'aurais tout plaqué là tellement je détestais mon prof!
On sent la passion dans ce que tu écris, surtout vis-à-vis des élèves à qui tu donnes des cours. Voilà une énergie contagieuse !
À ce que je vois, tu as certainement deux élèves à élever pour un élève : la mère ... qu'il faut amadouer. C'est vraiment le mot patience qui me vient en bouche, celle-ci possible seulement si l'amour pour son art est fort qu'il exige le partage.
Peut-on avoir de l'amour de trop à partager ? Non, mais l'expérience qui en découle, oui.
Merci pour ce partage avec nous de ton "toi" prof, j'ai beaucoup apprécié ton billet.
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