Prendre le temps... Apprendrai-je un jour à dire « non », un mot pourtant tout simple: trois lettres dont deux fois la même? Mais, bon, oui, ce n'est pas toujours au point. J'enseigne, j'écris, je ne refuse jamais un projet stimulant (mais je devrais vraiment apprendre à refuser ceux qui entrent dans la catégorie « bof » ou pire, « beurk », il y a des limites aux concessions dites « alimentaires »). J’ai, tout comme plusieurs d’entre vous, une maison (très souvent en désordre), une famille (dont les humeurs des membres ne sont pas toujours faciles à gérer), un chien (légèrement névrosé mais qui, heureusement, aime la musique) et des amis (véritable soupape). Tous les dimanches soirs, j’hésite entre l’auto-flagellation (« Comment se fait-il que je n’aie pas eu le temps de tout faire? ») et un désir flagrant d’évasion (« À moi, Tahiti et Bora Bora! »).
Pourtant, s’il y a une chose que j’ai réalisée en gagnant de l’expérience (à défaut de sagesse), c’est que les choses dont nous sommes le plus fiers sont souvent celles qui nous ont pris le plus de temps. Quand j’ai commencé dans l’enseignement du piano, je m’attendais que – évidemment, quelle question! – les étudiants auraient travaillé pendant des heures et me démontreraient par leurs progrès éloquents la pertinence de mes conseils avisés. Hum… Après quelques semaines (mois, années) légèrement frustrantes, j’en suis venue à la conclusion qu’il faudrait que j’abaisse mes attentes. Oui, jadis autrefois, je pratiquais deux heures par jour (de gré ou de force, bien souvent, un jour peut-être je vous raconterai comment tricher le ssytème). Non, cela ne représente plus la réalité d’aujourd’hui.
Maintenant, j’ai pris exemple sur une copine qui me confiait ne plus rien attendre de son couple et choisir d’être surprise par les attentions de son conjoint (quand il y pense). Je n’attends rien des élèves mais espère toujours secrètement être surprise. Dès que je dénote un progrès, si minime soit-il, soit au niveau du rythme, de la lecture, de l’interprétation, de l’enthousiasme de l’élève, je me dis que la journée devient mémorable. Je le dis d’ailleurs régulièrement aux élèves quand ils me comblent de leur attention musicale : « Ça valait la peine de se lever ce matin! Wow, c’était super! » Je constate que ce relatif détachement me permet aussi de mieux investir le temps que je passe en la compagnie de l’élève. Je choisis plutôt de leur apprendre à travailler, une note, une mesure, une page à la fois, pour que, demain ou dans dix ans, ils puissent voler de leurs propres ailes.
Je prends aussi le temps de connaître leurs personnalités et leurs vécus, forcément étonnamment différents. J’en ai un particulièrement espiègle, une autre d’une intensité parfois troublante, une troisième légèrement exaltée, un quatrième plutôt silencieux mais qui a toujours des choses étonnantes à révéler quand on s’y attarde… La liste est longue et n’est probablement significative que pour moi, que pour eux. « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose qui fait ta rose si importante. » Je vous laisse, une élève m'attend. Au programme: le Concerto K. 466 de Mozart. Comment dire non à ça?
3 commentaires:
Tiens, j'avais plein de trucs pour tricher aussi, quand j'étais petite (le temps des horloges à aiguilles, ça avait ça de merveilleux!! Et en plus, avec les jours, on était drôlement en avance pour tous les Rendez-vous par la suite)!! Malheureusement, j,étais loin d'être une élève modèle et je devais faire le calvaire de mes professeurs...
Mais j'adore lire tes considérations musicales et enseignantes! Ca fait voir l'autre côté de la chose!
Et flûte, l'art d'aborder plusieurs thèmes de front !
Le thème des limites. Le thème des attentes, très bien élaboré celui-là. Très d'accord, quand on réussit à amoindrir ou diminuer nos attentes, que j'appelle aussi un détachement, on cueille ce qui s'offre. Plus d'attention pour ce qui est, plus que ce qui devrait être.
Et puis, le thème de la femme occupée, l'amante de la musique mais exigeante vis à vis sa performance (diminue aussi tes attentes vis à vis toi !).
On voudrait avoir le temps de tout faire, et pourtant, c'est un moteur d'avoir plus de choses à faire devant que derrière !
Karine: j'ai jamais trafiqué les aiguilles de l'horloge. Je m'en souviendrai dans ma prochaine vie! lol
Venise: diminuer mes attentes? Ouch... difficile quand c'est imbriqué dans le code génétique. ;-) Plus sérieusement, je pose déjà des gestes qui affecteront mon horaire de la saison 2009-2010... en souhaitant que je m'y tienne.
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