Je fréquente la scène théâtrale montréalaise depuis plusieurs années déjà mais - j'ai presque honte de l'admettre - je n'avais encore jamais mis les pieds au Centaur, cénacle anglophone du genre. Cela a pris une invitation d'une amie ayant reçu une paire de billets « ouverts » pour que j'en franchisse enfin le seuil. Après avoir consulté la brochure de saison avec une certaine fébrilité, nous avons arrêté notre choix sur Michel & Ti-Jean, une pièce de George Rideout, qui met en scène la rencontre fictive entre le jeune Michel Tremblay (27 ans), tout juste reconnu pour ses Belles-Sœurs et Jack Kérouac, qui tente désespérément de noyer son désespoir dans l'alcool (il réussira quelques mois après, à l'âge de 47 ans).
Avant même l'entrée dans la petite salle du Centaur (le théâtre comprend deux salles), nous écarquillions les yeux; pas que nous n'ayons jamais fréquenté d'anglophones montréalais (je travaille quotidiennement dans les deux langues officielles) mais plutôt parce que le décorum était entièrement autre. En fait, une sortie au Centaur n'a rien du guindé ou m'as-tu-vu parfois associé à un certain théâtre francophone. Il règne plutôt une atmosphère bon enfant, plus décontractée que chic. Le bar tient plus du club privé que du lounge et pourtant, il ne paraît en rien engoncé. Certains entreront même dans la salle avec leur verre ou leur tasse, sans qu'un placier ne fasse une crise d'apoplexie.
Passons maintenant au propos même de la pièce, cette rencontre entre deux géants, en apparence opposés mais dont les enfances témoignent de nombreuses similitudes: familles canadiennes-françaises comme tant d'autres, père imprimeur, mère idolâtrée, enfant en marge de la fratrie, sensibilité à fleur de peau. J'ai beaucoup aimé cet échange improbable entre deux auteurs qui doivent apprendre à s'apprivoiser mais finiront par échanger sur les textes de l'un et l'autre. J'ai été renversée par ce regard anglophone et pourtant presque amoureux de l'auteur (né aux États-Unis, déménagé en Ontario à l'âge de 16 ans, habitant maintenant les Cantons de l'Est) sur l'œuvre de Tremblay, cette façon limpide dont Kerouac « analyse » après une seule lecture le propos même de la pièce de Tremblay, indiquant comment chaque personnage devient un instrument d'un orchestre jazz vaguement déjanté en un geste polyphonique d'une simplicité apparente et d'un remarquable génie.
Le texte virtuose de Rideout est admirablement servi par Alain Goulem en Kérouac plus grand que nature, à la fois dépravé, blasé et profondément meurtri mais qui, pourtant, se laisse toucher par les mots d'un autre, et par Vincent Hoss-Desmarais, qui transmet efficacement la vénération qu'un jeune auteur peut porter à un aîné - jeune auteur qui, même s'il doute, réalise qu'il possède déjà une voix unique. J'ai eu le goût de découvrir Kerouac aussi (pas seulement son mythique Sur la route) mais surtout, pendant près de deux heures, j'ai eu l'impression que les fameuses « deux solitudes » ne faisaient plus qu'une, que de vibrer à un même type d'émotion relevait de l'évidence.
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