mercredi 14 avril 2010

De la pluralité des interprétations

Il y a deux jours, j'ai demandé à un ami, de passage à Montréal, de donner un cours à l'une de mes élèves avancées. Je sais pour en avoir discuté avec lui abondamment que nos visions ne sont en rien antagonistes, disons plutôt complémentaires. Alors que j'aime Schumann, il vénère Brahms. J'idolâtre Mozart, il préfère Beethoven. Je comprends Debussy presque viscéralement, il le laisse perplexe. Rien de grave; simplement de quoi alimenter les conversations. J'étais donc curieuse de voir sous quel angle il aborderait la pièce (le dernier mouvement de la Fantaisie opus 17 de Schumann), nullement inquiète qu'il pourrait ébranler les fondations de l'édifice érigé avec cette jeune femme au cours des dernières semaines. Je me suis assise confortablement dans mon sofa et j'ai apprécié une autre approche, en toute simplicité.

Dès le début, j'ai été étonnée par la ligne qu'il a choisi d'aborder, négligeant d'abord les détails techniques ou interprétatifs pour partager sa vision de l'œuvre, de façon imagée et par moments presque poétique. L'étudiante étant particulièrement interpellée par la littérature, le lien s'est donc établi entre eux en quelques instants. Une fois l'esprit ouvert, il s'est mis à travailler sur le corps, axant une partie de ses remarques sur la façon dont elle devrait utiliser le poids de celui-ci pour libérer les bras, les épaules, les poignets, sans que le son ne semble transmis par une souris.

Cet ami enseigne essentiellement à des débutants et quelques élèves intermédiaires. J'ai bien senti que, enfin, il était heureux de pouvoir partager ses connaissances à un autre niveau. Parce que, oui, on finit par se lasser de répéter, semaine après semaine, « fa dièse! », de quémander quelques minutes de travail supplémentaire quotidien ou d'essayer de trouver une nouvelle image pour faire comprendre à un enfant de huit ans que les trous entre les mesures ne sont pas une option. Le temps a filé à vitesse grand V et, n'eut été d'une autre élève qui débarquait chez moi peu après, peut-être que la leçon se serait prolongée.

Comment la jeune pianiste réussira-t-elle à intégrer tout cela à son jeu? Les semaines, les mois qui viennent nous le diront. Une chose est certaine: j'ai enseigné les trois heures suivantes avec une énergie renouvelée, portée par une autre vision que la mienne.

4 commentaires:

Adrienne a dit…

oui, je comprends cette "énergie renouvelée", quelle que soit la matière qu'on enseigne, il y a de nombreuses choses qui sont pareilles...
par contre pour ce qui est de Debussy, je suis du côté de votre ami, il me laisse perplexe (et oserais-je le dire à une fan, parfois il m'irrite... mais c'est dû à mon inculture)

Lucie a dit…

Les goûts ne se discutent pas et je n'entrerai pas en guerre pour défendre Debussy. J'aime sa façon de traiter les accords comme des couleurs et le côté très évocateur des pages. C'est au fond un littéraire :) ... Mais c'est aussi peut-être parce que j'en ai beaucoup joué et ce, dès l'enfance.

Adrienne a dit…

quand je parle de mon inculture, c'est sans fausse modestie, je n'ai reçu aucune formation musicale, et je le regrette! c'est ça, à mon avis, qui m'empêche d'apprécier des choses un peu moins évidentes, comme Debussy: je ne le comprends pas, c'est pourquoi j'avais réagi à cette "perplexité" de votre ami musicien (qui avait quelque chose de rassurant pour moi ;-))

Lucie a dit…

Je pense qu'il faut réagir essentiellement de façon viscérale à la musique en tant qu'auditeur. Après, on peut apprécier de l'analyser, d'en démonter les rouages mais sinon, la musique reste un langage. Peut-être aussi est-ce les pièces de Debussy entendues avec lesquelles on aura moins d'affinités. J'aime beaucoup le répertoire pour piano (bien sûr!) mais aussi des trucs symphoniques atmosphériques comme le Prélude à l'après-midi d'un faune.