Les frontières entre théâtre et autres formes artistiques
sont si souvent abolies maintenant que l’on oublie parfois le plaisir de retrouver
un texte pour lui-même. Voilà certainement ce que nous propose la relecture
fort réussie de Claude Poissant de Marie
Tudor de Victor Hugo. Victor Hugo écrit lui-même dans sa préface de la
pièce : « Il y a deux manières
de passionner la foule au théâtre : par le grand et par le vrai. Le grand
prend les masses, le vrai saisit l'individu. Le but du poète dramatique, quel
que soit d'ailleurs l'ensemble de ses idées sur l'art, doit donc toujours être,
avant tout, de chercher le grand, comme Corneille, ou le vrai, comme
Molière ; ou, mieux encore, et c'est ici le plus haut sommet où puisse
monter le génie, d'atteindre tout à la fois le grand et le vrai, le grand dans
le vrai, le vrai dans le grand, comme Shakespeare. »
J’avais craint un instant d’être face à un texte vaguement
ampoulé, qui aurait mal vieilli. Au contraire. Dans cette ère où les puissants règlent
leurs comptes de façon plus ou moins propre, à coups d’enveloppes brunes et de
délations, la trame narrative de cette pièce, montée pour la première fois en
1833, n’a pas pris une ride, car nous avons droit à un véritable thriller
psychologique avant l’heure. Plutôt que de servir platement l’Histoire, Hugo la
détourne, proposant une réflexion sur le rôle des femmes en politique. Marie
1ere (« la sanglante ») n’est pas que reine, elle est avant tout
femme. Elle se sait condamnée à un mariage politique, mais son cœur et son
corps sont troublés par les charmes de son bel amant, Fabiano Fabiani
(personnage fictif), honni à la cour, essentiellement parce qu’il n’est pas
anglais. (Le peuple aura beaucoup de difficulté également à accepter son mari à
Philippe d’Espagne.) Quand elle apprend qu’il la trompe avec Jane, une jeune
paysanne adoptée par Gilbert, modeste ouvrier, tombée amoureux d’elle au fil
des ans, elle décide de se venger. L’affaire semble en apparence facilement
réglée, mais Hugo intègre à la pièce de multiples rebondissements, ce qui la rend
captivante de bout en bout.
La mise en scène soignée de Claude Poissant n’encombre pas
inutilement la trame. Les éclairages d’Erwann Bernard habillent la scène avec subtilité,
multipliant les zones d’ombres, ce qui ajoute une dimension supplémentaire de
mystère à la pièce. Les changements de scène sont ponctués par un petit groupe
de musiciens, qui interprètent une partition originale de Philippe Brault.
Julie Le Breton campe ici une reine à l’humeur changeante, implacable dirigeante,
mais démunie en tant que femme bafouée, pourtant prête à tout pour repousser l’exécution
de son amant volage. David Savard en Simon Renard se révèle particulièrement
intéressant, la fragilité frondeuse de David Boutin en Gilbert offrant un
contrepoids nécessaire.
Les classiques traversent le temps. On a parfois besoin de
se faire rappeler pourquoi.
Jusqu'au 12 février au Théâtre Denise-Pelletier
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